Le silence pesant d’Aït Ahmed

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L’on peut dire que ce qui, dans la mouvance dissidente du FFS, devait arriver, arriva !

À la seule différence que les regards braqués, la semaine passée, sur la place de l’ancien Hôtel de ville de Tizi-Ouzou où se déroulait un meeting d’une aile dissidente de ce parti (Zenati, Kerboua, Bouhadef, Bouakouir,…), sont aujourd’hui sollicités à avoir un retour d’écoute venant de la part de celui qui, justement, a été exclu de ce meeting, en l’occurrence Karim Tabbou. Dans la fébrilité qui anima son verbe et son action, depuis les législatives du 10 mai dernier où il a été élu député du parti, Tabbou s’est positionné d’une façon inattendue, en opposant radical à la direction du parti qu’il accuse d’avoir bradé les principes fondateurs du FFS. L’activisme dont l’ancien premier secrétaire est animée depuis deux mois, particulièrement en livrant régulièrement aux médias des «morceaux choisis» d’arguments et de chefs d’accusation, lui a valu l’excommunication de la part de la direction du parti, incarnée par Ali Laskri, et la ‘’défiance’’ des anciens dissidents qui l’on éloigné du regroupement de Tizi-Ouzou. Avant-hier, Tabbou et une soixantaine d’autres militants du FFS ont annoncé leur démission du parti. L’ancien premier secrétaire justifie ce geste radical par la fait qu’«il ne se reconnaît plus dans ce parti ; le malaise est très profond. Il y a au sein de l’appareil ceux qui sont en train de construire un autre parti sous le sigle du FFS vendu au pouvoir. Le parti est aligné et de manière claire, sur les positions du pouvoir». Un autre démissionnaire du parti, Redha Hamdani, fait observer que, «après les élections législatives, nous avons pu observer une aliénation totale du FFS. Il est sorti carrément de sa ligne. Nous ne pouvons plus rester dans un parti qui cautionne la fraude électorale e qui se réjouit des résultats du Conseil constitutionnel. C’est une question d’ordre éthique. La FFS fait partie du passé». Les griefs qui ont mobilisé depuis mai dernier, par un effet boule de neige, des dizaines de militants du FFS contre la direction de leur parti, ne manquent pas de surprendre les observateurs d’autant plus que, à part quelques anicroches qui ont émaillé la confection des listes électorales, tout paraissait baigner dans l’optimisme d’une éventualité- non confirmée- d’une quarantaine de sièges à l’APN. Outre les supposés et invérifiables conciliabules qui auraient ramené le parti à «se jeter dans les bras du pouvoir», selon l’accusation lancée avant-hier par Chabane Bouhitem, membre du Conseil national, le FFS a indéniablement souffert de la manière atypique par laquele il est géré. Le parti a été volontairement ou à son corps défendant, intimement associé aux aventures et mésaventures que la vie politique dans notre pays a imposées aux acteurs politiques particulièrement à partir de l’instauration du pluralisme en 1989. L’exil volontaire de Hocine Aït Ahmed a obligé les structures du parti à imaginer une présidence tournante confiée à un premier secrétaire. Comme des fusibles, à chaque grand virage ou remous porteurs d’enjeux de la politique nationale, le premier responsable ‘’résident’’ se voit éjecté de son poste sans autre forme de procès. Il est vrai que même avec un tel vertigineux manège, l’autorité du président du parti n’a jamais été bravée. Au contraire, tous les ‘’courants’’ du parti-administrateurs en activité ou différents dissidents laissés sur la touche à chaque séisme dans le parti-ont recours à l’arbitrage du président. Ce dernier, même dans l’incapacité de satisfaire tout le monde ou de trouver des solutions définitives à certains problèmes organiques récurrents dans les structures du parti, qui lui sont, demeurera toujours entouré de son charisme habituel. On dira toujours de lui qu’il est ‘’mal informé’’ ou ‘’mal conseillé’’. Néanmoins, les lézardes créées par le séisme de la participation du parti aux législatives de mai 2012 n’ont probablement pas d’équivalent dans l’histoire récente de celui qui se sent ennobli par l’expression ‘’le plus vieux parti de l’opposition’’.

Nouvelles ambitions politiques ?

L’accumulation des malentendus charriés par la noria des présidences tournantes (premiers secrétaires), l’éloignement prolongé du président du parti de la scène algérienne et, phénomène qu’il ne faut pas négliger, la montée de sourdes et légitimes ambitions de jeunes militants du parti à la recherche d’un poste de responsabilité y compris celle de la présidence du parti, ouvrent immanquablement le bal de tous les désordres organiques. L’autonomie du poste de premier secrétaire a un prix, et certains éléments issus de la centrifugeuse du parti sont là pour en témoigner. À la recherche d’une autonomie à la mesure de ses ambitions, le représentant du parti en Algérie est sans doute tenté par l’aventure d’une autre structure politique dont il sera la seul chef d’orchestre, d’autant que, dans le cas présent en 2012, la succession est apparemment ouverte, ne serait-ce que dans les esprits. Est-on fondé à placer l’entreprise de Karim Tabbou, celle de fonder un nouveau parti politique, comme faisant partie de cette logique d’«autonomisation» et de succession ouverte ? L’avenir proche nous le dira. En tout cas, par-delà ce que nous réserve le manège de la vie politique nationale, l’idée même de démission paraît d’une séduisante modernité politique qui, plus que l’alternance au pouvoir chantée sur tous les toits, sanctionne des bilans de gestion à mi-parcours. Combien de militants, élus, ou ministres auraient dû se résoudre à cet acte civique et citoyen pour se mettre en conformité avec leurs convictions, si tant est qu’ils en aient ? Cependant, il se trouve qu’en lieu et place de convictions politiques, on a affaire plutôt à ce qu’on appelle un ‘’bail’’ ou un mandat. Rentrer chez soi peut pourtant faire garder la tête haute à son auteur. C’est un acte qui pourrait faire réfléchir la hiérarchie sur de mauvais choix opérés ou sur d’éventuelles erreurs d’aiguillage, comme il est censé pousser son auteur à un repli qui sera à l’origine d’une nouvelle floraison intellectuelle (écrire des mémoires, des études techniques,…) ou politique (fonder un nouveau parti, comme dans le présent cas de figure). Oui, on peut réussir sa reconversion politique à condition, cependant, de toujours appartenir à «cette opposition qui s’appelle la vie», selon le mot de Balzac. Bien sûr il est fait cas ici d’ambitions d’un militant cadre. Pendant ce temps, la base reste partagée entre deux groupes dissidents et une direction décriée sous un silence pesant du chef charismatique.

Amar Naït Messaoud

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