Accueil Évènement Choc des civilisations ou syndrome d’impuissance ?

Réactions des Musulmans à la diffusion du film jugé “anti-islam” : Choc des civilisations ou syndrome d’impuissance ?

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Par Amar Naït Messaoud

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Dans le contexte du climat délétère- aussi bien sur le plan culturel que politique- au sein duquel évoluent actuellement les sociétés de l’aire culturelle arabo-musulmane, climat qui est, c’est le moins que l’on puisse dire, peu propice à l’éclosion des grandes idées, il est peu surprenant que des réactions épidermiques et émotionnelles de la dimension de celles qui sont en train de s’exprimer ces derniers jours imposent leur actualité et défraient la chronique sur des territoires où les avatars du ‘’printemps arabe’‘ montrent chaque jour les déceptions et les frustrations des peuples. Ce sont des déceptions nourries, dans leur grande partie, par la tournure réactionnaire et conservatrice prise par le climat révolutionnaire qui a présidé aux premières manifestations du soulèvement de la rue à partir de la fin de 2010. Si le film L’Innocence des musulmans, qui a soulevé l’ire et le délire des musulmans, peut être classé dans la catégorie des actes de provocation, comme s’en plaint une partie de l’ “élite’‘ cléricale qui officie dans la maison de l’Islam, ne serait-ce pas une raison de plus pour s’élever au-dessus d’une telle volonté d’alimenter une nouvelle guerre de religion par le moyen du cinéma et, du même coup, enlever à ses auteurs l’occasion de se faire une célébrité factice? La faiblesse criante du niveau culturel des masses musulmanes, y compris dans les questions théologiques, les a rendues perméables à toute forme de manipulations qui viendraient aussi bien du pouvoir politique que d’obscurs muphtis. L’élévation de la cagoterie et de la dévotion ostentatoires en règles de comportement, alimentées par le carburant d’un prosélytisme désuet, a trouvé dans l’économie du pétrodollar dans certains secteurs de la vie publique, à commencer par les programmes scolaires et certaines mosquées, le tremplin idéal. Indubitablement, les manifestations publiques de pratiques nouvelles en matière de religion, et la prolifération des donneurs de leçon de morale sont la partie la plus visible d’un phénomène de régression sociale qui consacre quelque part la fracture et le délitement des structures communautaires. En Algérie, l’on a eu le loisir d’assister à des pratiques ‘’innovantes’‘ importées à partir de certaines mosquées du Moyen-Orient via la parabole; pratiques qui font fi aussi bien de nos valeurs traditionnelles qui ont fondé la spiritualité de nos aïeux, que de l’esprit critique devant conduire les pas de la jeunesse dans le nouveau siècle dont on a consommé plus d’une décennie. Des adolescents, qui ont quitté l’école trop tôt et que leurs parents continuent à nourrir et à loger, s’élèvent contre les pratiques de leurs ancêtres au point des les déclarer ‘’impies’‘. La fin de l’illusion égalitariste – charriée pendant des décennies par les schémas d’organisation ‘’socialiste’‘-, la fin de la bipolarisation Est-Ouest et la recherche inaboutie d’une ‘’idéologie’‘ de rechange pour réparer les injustices et ancrer de nouveaux espoirs, ont imparablement conduit les sociétés les plus fragiles à des replis identitaires et communautaires dont on commence à peine à mesurer les dégâts. Les peuples du Sud, et particulièrement ceux des pays musulmans, n’ont trouvé pour remettre en cause les dictatures qui les gouvernent et les rapports de force avec les pays développés que le refuge ‘’utérin’&lsquo,; fait du souvenir flou mais doucereux d’un monde idéal, plein de béatitude, volontairement magnifié vécu dans les premiers temps de l’Islam. Mouloud Mammeri a eu, pour cette dérive historique, cette lucide observation: “Tout se passe comme si, une société qui sent qu’elle n’a plus de prise sur l’histoire, interprète ses propres blocages en terme de destin. Dans une espèce de réaction masochiste, elle tourne contre elle-même la conscience irritée de son impuissance, attribue ses échecs ou ses manques à une pratique insuffisamment stricte des rites et, faute de pouvoir agir sur les événements, bat sa coulpe et exige d’elle-même encore plus de tension absurde ou de crispation sclérosante. Elle a renoncé aux affres du doute, donc à ses chances, pour le monolithisme d’une foi qui confond la pureté de l’intention avec la rigidité de la pratique“. (in introduction à Poèmes kabyles anciens-Maspero 1979). De son côté André Malraux, après avoir examiné du regard aigu de l’intellectuel critique la les tensions, les injustices et les luttes ayant jalonné le 20e siècle,-luttes auxquelles il prit part physiquement en Chine et en Espagne-, fera observer que le vingt-et-unième siècle“sera religieux ou ne sera pas”. Il voyait en la religion une sorte de valeur-refuge face à la faillite des idéologies qui ont soutenu les systèmes totalitaires et l’arrogance du grand capital, deux processus d’évolution sociale des temps modernes qui ont laissé peu de place pour le rôle des structures familiales et qui ont induit un délitement irrémédiable de toutes les solidarités traditionnelles (par l’accélération de la rupture de l’ordre tribal, l’encouragement de l’exode rural, l’urbanisation incontrôlée et la consécration du salariat comme quasi unique mode d’acquisition de revenus). En associant le regard et les analyses d’autres intellectuels, comme Mohamed Arkoun, Abdelmadjid Meziane et d’autres figures connues ou peu vulgarisées, l’on se rend compte que les réactions épidermiques des peuples musulmans, face à aux productions culturelles de l’Occident ou à d’autres attitudes politiques et économiques de cette même aire géographique, relèvent plutôt d’un combat d’arrière-garde qui est loin de rehausser l’image de l’Islam aux yeux des pays ou des auteurs incriminés, comme il est loin également de pouvoir constituer une alternative culturelle viable à une régression historique que le “Printemps arabe’‘ semble malheureusement confirmer. Que gagne-t-on à s’attaquer aux ambassades américaines? Oublie-y-on que, contrairement, aux pays arabes, l’administration américaine ne produit pas et ne contrôle par les créations artistiques? Une réaction civilisée à la sortie du film objet du “scandale’‘ aurait sans doute amené ses auteurs à une meilleure perception de ce qui, sans base solide, on appelle aujourd’hui le dialogue des civilisations.

A.N.M.

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