La Kabylie renoue avec les urnes

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Après le farniente qui a accompagné les lourdes journées de Ramadhan, les partis politiques et les candidats indépendants qui postulent à des postes électifs pour le scrutin du 24 novembre prochain sont entrés officiellement dans la vraie bataille électorale à partir de jeudi dernier.

Juste après le référendum du 29 septembre sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale que les populations de la Kabylie ont majoritairement boudées- pour des raisons liées à l’actualité immédiate faite de surenchères et de déclarations maladroites-, les prétendants aux sièges des APC et des APW ont consacré le mois de Ramadhan à peaufiner les listes électorales et les dossiers administratifs.

Cela n’a pas empêché certains ténors de la politique concernés directement par ce scrutin d’investir le champ médiatique dans le but d’exposer leur vision et leur position par rapport à une élection qui, de prime abord, présente des enjeux limités pour des organisations qui ont des prétentions nationales. Mais, à examiner de plus près ces joutes électorales, leur caractère de simplicité se volatilise aussitôt pour des considérations aussi sérieuses que diverses.

La reprise du processus électoral en Kabylie n’a en effet rien d’anodin au regard du passé récent qui a caractérisé cette région. Passé fait de troubles, d’émeutes, de sang et de mort. Les événements du Printemps noir d’avril 2001 ne pouvaient laisser la voie libre à des élections nationales qui allaient se dérouler un an et demi plus tard, c’est-à-dire en octobre 2002.

Le Mouvement citoyen qui avait alors conduit la contestation s’était- en communion parfaite avec les populations- opposé à toute sorte d’élection avant la satisfaction de la Plate-forme d’El-Kseur adoptée par les aârchs en juin 2001. Et c’est armés du principe sacro-saint « scellée et non négociable » qui a longtemps accompagné ladite plate-forme que les archs et les citoyens s’étaient opposés aux élections de 2002.

Les tentatives d’ouverture des centres de vote et d’acheminement des urnes vers les villages furent accueillies par de graves troubles, et l’opération de vote a été, dans la plupart des localités, tout simplement neutralisée. Les résultats ne surprirent personne. Des taux de participation ridicules, des candidats déclarés élus avec moins d’une dizaine de voix exprimées.

Cela avait tout l’air d’une farce que les pouvoirs publics auraient pu et dû arrêter à temps si la sagesse et le courage politique avaient alors prévalu. Il en alla tout autrement. Les aârchs furent ragaillardis dans leur position et le principal acteur politique influent dans la région, le FFS, fera l’objet de critiques acerbes pour avoir participé à une « mascarade électorale » qui le déconsidérera aux yeux de l’opinion kabyle.

En tout état de cause, la « voie électorale » dans une conjoncture aussi tendue et aussi complexe que celle de la Kabylie de 2002 était certainement le remède le moins approprié qui ne pouvait apporter ni apaisement ni perspectives d’avenir. Et c’est pourquoi, les aârchs campèrent sur leur position. Mieux, ils exigèrent la révocation des nouveaux élus affublés de la peu flatteuse épithéte d’ « indus-élus ».

Le néologisme sera définitivement consacré dans le bréviaire du Mouvement citoyen pour constituer un leitmotiv de revendication dans toutes les réunions restreintes ou des interwilayas. Le statut quo persistera jusqu’en été 2004 lorsque le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, lancera un appel au dialogue en direction du Mouvement citoyen. Ce dernier y répondra favorablement au cours d’un conclave tenu à Raffour sous réserve de la satisfaction de quelques points préalables appelés « incidences ».

Cependant, les tiraillements enregistrés dans la mouvance aârchiste, dus à de sourdes allégeances politiques, allait consacrer une scission du Mouvement en deux ailes. Celle qui se lancera dans le dialogue avec le Chef du gouvernement portera toujours la revendication de la révocation des « indus-élus » tout en s’arc-boutant sur le point qui s’avérera le plus complexe et le moins consensuel : l’officialisation de la langue tamazight.

Ouyahia ce serait engagé, d’après les aârchs, à accéder à cette demande. Bouteflika précisera, à partir de Constantine, que l’Algérie ne peut avoir deux langues officielles. Cet accroc jettera un peu de froid entre le gouvernement et l’organisation des aâchs. A partir d’Ath Ouarthilane, cette dernière lance un appel à la grève générale pour le jour du référendum (29 septembre) et ne donne aucune consigne de vote. Les délégués qui se sont exprimés dans certains médias gardent toujours l’espoir d’une reprise de dialogue avec le gouvernement.

Du côté des pouvoirs publics, la concrétisation de la mesure portant dissolution des assemblées locales en Kabylie a requis un petit artifice juridique adopté par l’APN par lequel le code communal et le code de la wilaya ont été remaniés respectivement au niveau des articles 34 et 44. Les futurs élus et les citoyens sont, eux, en attente de véritables lois sur la commune et la wilaya qui conféreraient aux assemblées locales plus de prérogatives dans un système plus décentralisé.

Au vu des limites géographiques dans lesquelles sont circonscrites les prochaines partielles, l’on peut être quelque peu surpris par l’engouement et l’activisme des partis politiques perceptibles bien avant le début de la campagne officielle. C’est que, depuis toujours, la Kabylie est considérée comme un bastion et un vivier politique de grande importance. Comme l’avait constaté un ancien leader politique, « c’est un peu le thermomètre de l’Algérie entière ».

La future configuration politique de la région ne peut cependant être établie avant l’annonce des résultats du jeudi 24 novembre, et cela même si l’opinion et certains médias avancent un retour honorable du FFS, des places respectables pour le FLN et le RND, un accès problématique pour le RCD, et des strapontins pour le PT, le MSP et les Indépendants. Le plus important, sans doute, reste le retour à la normale, c’est-à-dire la réconciliation du citoyen-électeur avec l’urne, ce qui est à mille lieues de ce que certaines forces aigries appellent la « normalisation ».

La région a bien besoin de calme et de stabilité pour pouvoir tracer ses propres perspectives de développement. Elle veut aussi croire que le chômage, la drogue, le suicide, le banditisme, la déperdition scolaire, ne sont pas des fatalités. Outre une intervention forte de l’Etat par des projets de développement et par l’incitation à l’investissement privé, la gestion des collectivités locales représente un segment important de la vie publique sur le plan de l’économie, du cadre de vie, de la culture et de l’expression de la citoyenneté.

A. N. M.

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