Illusions perdues

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Par Amar Naït Messaoud 

C’est à la fin d’une série d’élections- étalées de mai à décembre 2012-, qui ont consacré le renouvellement de l’APN, du Conseil de la nation et des assemblées locales (APC, APW) que, paradoxalement, la scène politique algérienne s’emballe, grouille de mille délires, s’  »anime » et s’enflamme! Certes, les germes d’un tel emballement étaient perceptibles lors des choix des candidatures au sein des formations politiques, pendant les campagnes électorales et au cours de l’installation des nouveaux élus dans leurs fonctions. Un certain malaise, qui couvait déjà au sein de certains partis depuis plusieurs mois, voire des années, à trouvé son terrain d’éclosion durant ces différentes échéances électorales. Ces dernières préparent deux autres échéances majeures: le référendum sur la révision constitutionnel- censé intervenir pendant l’année en cours- et l’élection présidentielle d’avril 2014.  Sans aucun doute, les rendez-vous électoraux ont consommé bien des énergies, fait baver candidats et ouailles et fait remonter en surface, dans les villages et quartiers les plus retirés du pays, les légendaires clivages tribaux et les grandes alliances familiales.  L’emballement dont il s’agit depuis quelques semaines, ce sont ces démissions, évictions et autres retournements que vivent les partis au sommet de leur pyramide. Après Hocine Aït Ahmed, c’est Ahmed Ouyahia qui quitte le navire du RND. Les dissidents du FLN viennent d’innover en installant un tribunal, symbolique sans doute, qui jugera Belkhadem de  »crimes politiques », et en l’invitant à suivre tout de  suite l’exemple d’Ouyahia. Les contestataires du FFS, qui ont tenu une réunion samedi dernier à Tizi Ouzou, font entendre un son de cloche un peu grave en insinuant, mieux encore, en le disant expressément, que Aït Ahmed aurait été « démissionné » par ceux qu’ils appellent le  »cabinet noir » du pouvoir. Même si l’idée paraît s’arrimer à la thèse-rumeur?- émise au printemps 2012, à savoir que le leader du FFS aurait négocié un deal avec le pouvoir réel pour un  »quota » de députés, elle ne manque pas de laisser sans voix tous ceux qui ont suivi le parcours du parti et de son leader depuis 50 ans déjà. Un parcours fait d’opposition radicale et intransigeante. En tout cas, c’est là une thèse qui est difficile à faire avaler aux militants, et même au reste de  l’opinion. De plus, l’idée de cabinet noire est loin d’être l’apanage du groupe des contestataires du FFS. Le premier à en user est une personnalité proche du système; il s’agit de feu M’hamed Yazid à la fin des années 80, lorsque le général Larbi Belkhir officiait à la présidence. Depuis lors, on sème ce  »concept » à tout va pour justifier des situations qui paraissent mystérieuses ou énigmatiques, ou bien, juste pour prétendre casser l’ennemi politique. En tout cas, une similitude dans la procédure de départ de Aït Ahmed et d’Ahmed Ouyahia de leurs partis semble, pour le commun de ceux qui suivent la scène politique dans notre pays, une véritable incongruité. En revanche, la ressemblance, car nourrie par la même logique de sérail, est tout à fait plausible, voir parfaite, entre Ouyahia et Belkhadem; bien que les deux figures- sur le plan du profil professionnel et de l’envergure intellectuelle- soient diamétralement opposées. Et puisque l’on se permet tous les décryptages, quitte à sonder les voies les plus impénétrables du monde politique, pourquoi ne parle-t-on que très peu du départ de Saïd Saâdi? C’est-à-dire, pourquoi dans les analyses qui mettent toujours en cause ce fameux  »cabinet noir », ne mêle-on pas son retrait à cette fatale « dynamique » ou cascade de ce qu’on insinue comme étant de fausses démissions?  

Si la classe politique algérienne est logiquement appelée à se refaire, à se reconstituer sur de nouvelles bases, l’analyse politique, elle également, devra être refondée pour être extirpée des généralisations, des approximations et des  »fils à la patte » que l’on retrouve dans plusieurs rédactions. Il est vrai que les présidentielles de 2014, avec l’épais brouillard qui en dessine les horizons et les incertitudes qui pèsent sur ses  »procédures », hantent aussi bien les hommes politiques que les observateurs ou analystes de la chose politique. Mais, cela ne doit pas ouvrir les portes à toutes formes d’anathèmes ou de guerre verbale qui brouillera davantage l’atmosphère face aux grandes interrogations des citoyens.  Au vu de l’insoupçonnable agitation qui s’empare du monde politique algérien- partis, instituions, journalistes,…-l’on est pris dans un tourbillon qui risque de nous ramener à nos premières classes- sans doute oubliées depuis 1989- au sein desquelles on est censé apprendre comment le pluralisme politique est né dans notre pays. En effet, c’est à l’aune de cet examen, que l’on pourra diagnostiquer les articulations entre les partis agrées et le pouvoir réel, et les atomes crochus entre tous les cercles officiels ou informels avec la rente. Il semble que le maître-mot est l’autonomie: très peu d’acteurs qui s’agitent aujourd’hui à hue et à dia  jouissent de l’autonomie professionnelle, personnelle, de carrière et de réflexion pour se permettre de ne pas subir, lorsque le vent tourne, les foudres et la colère du principe qui donne agréments et prébendes. Le pluralisme, issu de la césarienne d’octobre 1988, nous a appris bien des leçons; leçons apparemment perdues sous les coups de boutoir des années du terrorisme et des années fastes du baril à 120 dollars.  

A. N. M.

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