Mettre fin aux confusions

Partager

 Par Amar Naït Messaoud

Près de cent mille associations, plus exactement 96 144, sont enregistrées sur l’ensemble du territoire national, couvrant tous les secteurs d’activité et tous les domaines de la vie. Un chiffre qui, pris dans l’absolu, nous plonge dans une espèce d’optimisme béat quant à l’animation et à la dynamique imprimées au corps de la société. En établissant, la semaine passée, un tel bilan devant les députés de l’Assemblée populaire nationale, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, a aussi révélé que pas moins de 5 134 associations locales ont été créées et agréées en 2012 à travers l’ensemble du territoire national,  »activant dans les domaines social, humanitaire, culturel, scientifique, féminin et sportif », selon les propos du ministre. Sur la centaine de milliers d’associations, 15 790 sont considérées à caractère religieux. Tout en remaniant de fond en comble la loi de 1990 sur les associations, en adoptant la nouvelle loi (12-06 du 12 janvier 2012), le gouvernement demeure toujours à la recherche du texte organique devant régir la création d’associations à caractère religieux. C’est d’ailleurs au sujet de ce retard que le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales a été interpellé jeudi dernier, par les parlementaires de la deuxième Chambre.  »Après un examen minutieux, un projet de loi organique, relatif aux associations à caractère religieux, et les statuts y afférents ont été dégagés, en attendant de les soumettre au gouvernement », a expliqué le ministre. Les pouvoirs publics tiennent ainsi à soumettre les associations à caractère religieux à l’article 47 de la nouvelle loi sur les associations, qui stipule que  »sous réserve des dispositions de la présente loi, la constitution d’association à caractère religieux est assujettie à un dispositif particulier ». En expliquant les thèmes retenus pour les associations à caractère religieux, le ministre en a évoqué quatre, à savoir: association de la mosquée, association de l’école coranique, association des rites de la religion musulmane et association religieuse pour les non musulmans. Pour cette dernière catégorie, il s’agira sans doute d’aller dans le sens du confortement de la loi 06-09 du 17 avril 2006, portant approbation de l’ordonnance 06-03 du 28 février 2006, fixant les conditions et les règles d’exercice des cultes autres que musulman. Même si la Constitution établit que la religion de l’État est l’Islam, elle reconnaît néanmoins la liberté de conscience. L’ordonnance citée plus haut mentionne textuellement (article 2) que  »l’État algérien, dont la religion est l’Islam, garantit le libre exercice du culte dans le cadre du respect des dispositions de la Constitution, de la présente ordonnance, des lois et règlements en vigueur, de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits et libertés fondamentaux des tiers ». De même,  »l’État garantit également la tolérance et le respect entre les différentes religions ». Dans son article 3, l’ordonnance précise que les « associations religieuses des cultes autres que musulman bénéficient de la protection de l’État ». Un patent paradoxe est à relever dans le texte de cette ordonnance: au lieu que les dispositions pratiques de l’exercice du culte soient confiées au ministère de l’Intérieur, comme cela se fait dans le reste des pays du monde, elles sont, dans notre cas, prises en charges par… le ministère des Affaires religieuses.  » Il est créé auprès du ministère chargé des affaires religieuses et des Wakfs, une commission nationale des cultes, chargée en particulier de veiller au respect du libre exercice du culte, de prendre en charge les affaires et préoccupations relatives à l’exercice du culte et de donner un avis préalable à l’agrément des associations à caractère religieux » (article 9). L’on sait que, malgré un arsenal juridico-administratif jugé plutôt libéral, l’exercice des autres cultes ne manque pas de soulever moult questions au vu des pratiques sur le terrain de la réalité. Ce qui est dit et écrit à propos du pseudo-prosélytisme évangéliste, particulièrement en Kabylie, les malheureux incidents qui se sont produits au cours de ces dernières années pendant le mois de Ramadhan, lorsque des non jeûneurs ont été conduits manu militari dans des commissariats, et quelques dérives extrémistes contre des églises de fortunes nous renseignent sur le chemin qui reste à faire dans le domaine de la tolérance, du respect de l’autre et du tant vanté dialogue des cultures et des religions. 

Dérives salafistes

Il est bien flatteur que l’intellectuel algérien Mustapha Chérif ait été reçu par le pape dans le cadre des efforts faits justement dans le sens de ce dialogue des religions. Il est encore louable de rappeler les efforts d’une autre personnalité Abdelmadjid Meziane, ancien ministre et écrivain, se situant toujours dans cet idéal de rapprochement entre Musulmans et Chrétiens. Mais, cela ne doit pas demeurer un simple alibi intellectuel qui fasse l’impasse sur les conséquences pratiques qu’un tel comportement implique. L’autre sujet qui a fait débat au cours de ces derniers mois est cette polémique sur le salafisme, laquelle a valu son poste au porte-parole du ministère des Affaires religieuses. Un parti de cette obédience s’est constitué et attend son agrément. Les dérives salafistes sont signalées un peu partout dans le pays; leurs auteurs sont sans doute confortées par la nouvelle situation de nos voisins tunisiens où la « révolution » du Printemps arabe est détournée, malmenée, voire assassinée, comme a été assassiné l’opposant de gauche, Chokri Belaïd, il y a quelques mois. L’Algérie, qui a vécu l’enfer du terrorisme islamiste, n’est pas encline à recevoir des leçons de ces nouveaux mentors du salafisme. Au contraire, les autorités tunisiennes sollicitent les Algériens dans la lutte anti-terroriste. De grands pas ont été faits par la société dans le sens du rejet total de l’idéologie extrémiste. Reste aux pouvoirs publics et aux instances idéologiques de l’État (écoles, mosquées, institutions culturelles, médias,…) de jouer le jeu en se mettant au diapason des aspirations des Algériens à vivre pleinement leur citoyenneté dans la paix, la démocratie, la justice sociale et la reconnaissance du droit à la différence.                            

 A. N. M.

Partager