La vie et l’opposition

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Par Amar Naït Messaoud

«L’histoire se fait pendant que nous apportons notre modeste contribution à son déroulement». C’est là une autre «maxime’’ du leader historique du FFS, Hocine Aït Ahmed, contenue dans le message qu’il a transmis, aux participants, au 5ème congrès du parti qui s’est déroulé sans sa présence. Absent-présent, Aït Ahmed ne pouvait que l’être à ce congrès qui consacre, pourtant, son retrait de la présidence du parti. Au-delà de ce congrès, au-delà même du FFS, la personne d’Aït Ahmed est devenue un véritable patrimoine de l’Algérie et de la Kabylie. Son combat pour les libertés a commencé dans la lutte du mouvement de libération contre le colonialisme (PPA, MTLD, OS), s’est prolongé naturellement dans celui de la guerre de Libération nationale et s’est poursuivi, sans discontinuer, dans la lutte pour la démocratie dans l’Algérie indépendante. Cela lui a valu un parcours épique, fait de prison, d’exil et de maquis, un charisme situé à hauteur de sa personnalité fougueuse et mobilisatrice, et une aura qui dépasse les limites de notre pays. Ayant fondé le premier parti d’opposition, il y a exactement cinquante ans (l’âge de l’indépendance du pays), il a marqué et sigillé de son empreinte cette formation politique, au point où elle a peiné à se définir sans lui. Quelle histoire tourmentée, quels périples cahoteux et quels moments exaltants ont jalonné le plus vieux parti d’opposition en Algérie ! Dans son opposition farouche à tous les régimes qui se sont succédé depuis l’Indépendance, Hocine Aït Ahmed, leader incontesté du parti, n’a certainement pas omis cette hypothèse de la fatalité biologique : On peut bien mourir dans l’opposition. Le chef du FFS, en se référant à une conception sociologique du pouvoir, disait, à quelques termes près, dans un entretien avec la radio au début des années 1990: « être responsable d’un parti, diriger des structures et des hommes, n’est-ce pas que nous sommes en plein pouvoir? ».  Avec la stature d’une personnalité nationale, doublée de la fameuse épithète d’«historique», certains voyaient dans cette fidélité au seul parti qu’il a eu à diriger depuis le 29 septembre 1963 un «manque d’ambition». Et pourtant, tous les actes et toutes les paroles d’Aït Ahmed ont eu pour cibles l’Algérie et les Algériens.  Devant tous les ostracismes et toutes les manipulations, qui ont malheureusement réussi leur coup, de faire du FFS un parti régional ou régionaliste, son leader n’a jamais cédé à la fatalité et se positionnait toujours par rapport à ce grand ensemble national qui est censé trouver son prolongement géostratégique dans la formation d’une entité maghrébine. La lettre d’Aït Ahmed, que son fils Jugurtha a transmise au 5e congrès, réitère, une nouvelle fois, cette dimension maghrébine des luttes démocratiques.  L’indépendance politique du pays ressentira cruellement un déficit de la présence de l’élite intellectuelle sur la scène publique. Le débat, qui se déroulait à la fin des années 1960 en occident sur la relation entre les intellectuels et le pouvoir (sur la base des théories de Antonio Gramsci, Althusser, Sartre,…), avait son «laboratoire» concret en Algérie du fait d’une «démocratie populaire» qui, plus est, sustentée par la rente du pétrole, ayant soumis toutes les énergies et les a moulées dans les organisations de masse du parti unique, le FLN. Plus tard, la chose se formalisera d’une manière plus dramatique avec le fameux article 120 des statuts du parti qui exclut tout non adhérent de toute responsabilité administrative, économique ou culturelle fût-elle la direction d’un collège d’enseignement moyen. La carte ou le badge du parti valait son pesant d’autorité d’ascension sociale et même d’ascendant ‘’intellectuel’’. Exilées, brimées et éloignées du regard inquisiteur des princes, les élites critiques ou tenant simplement à leur esprit d’indépendance ‘’officieront’’ ailleurs ou dans la quasi clandestinité. Le FFS a vécu cette période avec les limites de la clandestinité qui n’a pas cependant empêché ses animateurs de s’investir dans la mouvance berbériste des années 1970 et dans l’action politique située dans le camp des revendications démocratiques.  Après octobre 1988, ce parti refera son entrée en scène dans un contexte d’euphorie et de flou en même temps. Les gouvernants ont misé et partiellement réussi, sur de graves clivages politique en préparant l’intégrisme à son rôle de croque-mitaine et en instaurant en Kabylie une sorte de «bicaméralisme» où les frères-ennemis FFS/RCD s’affronteront des années durant sur un fond de commérages et de transactions politiques, sommant l’un et l’autre à se déterminer par rapport aux jeux de pouvoir face au péril montant, le terrorisme islamiste. Ils seront également conduits à se chamailler sur un fond de misère rampante et de chômage qui tiendront dans leurs tenailles une jeunesse en perte des repères. Tout cela en Kabylie, une région que tout le monde prétend défendre et présenter comme un bastion de la démocratie.  Cette dernière vertu, tout en étant historiquement vérifiée, se trouve malaxée et moulée dans n’importe quelle ambition personnelle ou autre désir d’ascension. Outre ces épisodes peu confortables dans la vie d’un parti, le FFS vivra mal la transition générationnelle. Elle fera de lui un «panier à crabes» où les anciens de 1963, les anciens dissidents et les équipes tournantes de la direction nationale se regardent en chiens de faïence. Tout en n’expliquant pas tout, l’absence sur le territoire national du leader du parti a pesé de tout son poids, handicapant le fonctionnement des structures organiques du parti. La gestion à distance de la structure politique a amené certainement le leader charismatique à des décisions et à des déclarations précipitées ou maladroites, non seulement en rapport direct avec la gestion de son parti, mais parfois aussi en dehors, en déclarant la guerre à des personnalités ou à des structures qui auraient pu, dans d’autres circonstances, être ses alliés. Aujourd’hui, par-delà un FFS quinquagénaire, la personnalité d’Aït Ahmed dépasse largement le moule organique de ce parti. La fondation que le leader historique compte lancer en son nom est une précieuse initiative pour garder vivante la mémoire d’un combat et d’une conviction. Oui, on peut mourir dignement dans l’opposition, surtout lorsqu’on appartient à «cette opposition qui s’appelle la vie », selon les termes de Balzac.

A.N.M.

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