Les zones d’ombre d’un partenariat

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Dans notre enquête du 29 août 2013, nous avons rapporté la synthèse d’un rapport d’audit interne, rédigé par des auditeurs de l’entreprise portuaire de Béjaïa (EPB) en 2008 quant à la «gestion catastrophique » de sa filiale, Béjaïa Mediterranean Terminal (BMT).

Le document a révélé « des situations scandaleuses » où tout désavoue ce genre de partenariat et où l’étranger devient le maître des lieux, sans même respecter les clauses du contrat. Ceci, bien évidemment, n’avantage nullement l’entreprise algérienne. Bien au contraire, il engrange, dans l’intérêt du partenaire étranger, des profits convertis en devises fortes et ce, sans assurer ne serait-ce que la formation d’une relève algérienne. Le cas de l’école de formation qui n’a pas vu le jour, alors que le partenariat a dépassé la décennie, est amplement éloquent.  Et si des situations peuvent être corrigées, d’autres, comme « les stocks morts », « les contrats par consultations restreintes » ou « les missions du DG » ne peuvent plus être revues ou redressées. Et nous pouvons dire, sans risque d’erreurs, que l’histoire a fini par donner raison aux différents observateurs qui étaient « frileux », dès le lancement de ce partenariat, de 20 ans. Beaucoup d’encre avait coulé à l’époque, sur certaines zones d’ombre qui entouraient cette association, tout comme une série de questions restées en suspens. Toutefois, quelques éléments de réponse sont venus lever le voile sur ce partenariat, une fois encore, « douteux ». Il s’agit cette fois-ci, des procédés qui ont scellé cette association. En effet, de la décision de la création de la joint-venture, à la signature du contrat de partenariat, en passant par les appels d’intérêts à manifestations nationale et internationale, rien ne semble conséquent, équitable et au profit de l’entreprise contractante.

De la décision de création de la joint-venture EPB/PORTEK

Le 11 novembre 2003, à 10 heures, s’est tenu, au siège de l’EPB, le conseil d’administration,  présidé par le Président Directeur Général de l’époque, l’ex-PDG, M. Boumssila Abdelkader. A l’ordre du jour, trois points était retenus : « La participation à l’augmentation du capital de SIH et de la SDH (…) », « la création de la joint-venture relative au terminal à conteneur » et enfin, « la gestion de l’acquisition d’un terrain de 6 hectares, propriété  d’une EPE », selon l’extrait du procès-verbal N° 08/2003, sanctionnant les réunions du conseil d’administration, dont nous détenons une copie.  Concernant le deuxième point consacré à l’ordre du jour de cette réunion, à savoir, la création  de la joint-venture, le projet passe comme une lettre à la poste. Il est aussitôt concrétisé et c’est  Portek qui est retenue, sans concurrent et « à l’unanimité » à travers la résolution N° 02 dont extrait : «  Après examen du dossier et après débat, le conseil d’administration autorise l’entreprise à créer la joint-venture EPB-PORTEK et décide de convoquer l’AGEX ». Cette résolution est adoptée à l’unanimité », lit-on sur l’extrait du Procès-verbal, paraphé par le Président de séance et portant la mention  «  Extrait conforme », en plus du sceau de la direction générale de l’EPB sous couvert de la société de gestion des ports (SOGEPORT).  La séance fut levée à 12 heures trente minutes.  On ne connaîtra pas les entreprises concurrentes, s’il y en avait, ni les raisons de ce choix. Ceci, en plus de l’absence des commissions liées à ce genre de projets, comme  les commissions d’ouverture des plis, de choix des marchés, d’évaluations  et du classement des concurrents, comme il est d’usage.  La résolution N°2 n’en fait pas référence, ce qui indique que le dossier a été déjà présenté ou étudié et que les présents sont informés préalablement, des tenants et aboutissants du projet. En revanche, dans sa résolution N° 3, sur le même extrait du procès-verbal, qui concerne l’acquisition d’un terrain, il est clairement précisé que la résolution a été adoptée « après rappel du projet déjà présenté au conseil d’administration lors de sa séance du 16 septembre 2003, et après avoir entendu toutes les explications fournies verbalement, le conseil autorise l’entreprise portuaire à procéder à l’acquisition du dit terrain au mieux des intérêts de l’entreprise », est-il précisé sur le document.  Et tout porte à croire que l’acquisition d’un terrain aurait pris plus de temps d’explication que l’engagement de l’entreprise dans un projet de cette envergure ! L’adoption de la résolution N° 2, avec célérité et l’absence d’éléments justifiant le bien fondé de la décision, incite à une question : Les membres du conseil d’administration auraient-ils été abusés ou leur acte serait-il prémédité ?

 

Les appels à manifestations d’intérêts, nationale et internationale

Bien que le conseil d’administration a adopté le projet de la joint-venture EPB/PORTEK, unanimement et sans concurrent, comme cité plus haut, un cahier des charges a été élaboré pour lancer des appels à manifestations d’intérêts, nationale et internationale. Ce paradoxe  confirmerait ce qui avait été rapporté par la presse à l’époque qui avançait que « Les négociations se sont effectués à Singapour, il y a quelques mois, sans que la procédure de mise en concurrence soit respectée conformément à la réglementation (…) ».  A partir de là  et quelques jours après, on procéda à la publication, sur 4 quotidiens nationaux, deux francophones et deux arabophones, de l’appel à manifestation. Pour les quotidiens francophones les parutions ont eu lieu le dimanche 16 et mercredi 19 novembre 2003, 6 jours pour le premier quotidien et 9 jours pour le second, après la décision du conseil d’administration de l’EPB. Quant aux quotidiens arabophones, les publications n’ont été effectives que le lundi 24 novembre et le samedi 06 décembre 2003, 14 jours après pour le premier et 26 jours pour le second, sous le N° 17/DDD/2003. Cinq (5) entreprises ont soumissionné dont trois par e-mail, Portek incluse. Sa soumission est datée du 10 décembre 2003. Et outre, le fait que le projet a été remporté par Portek et adopté « unanimement » par le conseil d’administration, les appels à manifestations sont publiés tardivement d’une part, et  séparément d’autre part. Quant aux entreprises qui ont postulé sans la moindre égalité des chances, elles sont conviées à retirer le cahier des charges, auprès de la Direction Des Domaines (DDD), de l’EPB, après avoir versé les droits d’usages. Par ailleurs, les entreprises sont appelées à rester fidèles à leurs soumissions en s’engageant « par leurs offres pendant une période de 60 jours (…) », lit-on sur l’encart publicitaire. Cette dernière précision, de taille, au vu des procédures suivies jusque là par l’EPB dans ce partenariat, renseigne sur le respect et les engagements qu’accorde l’entreprise aux soumissionnaires. Ne serait-elle pas, elle-même, tenue par un minimum de respect dans le cadre de sa propre politique de marketing, dite d’ « entreprise citoyenne » ? 

 

Cafouillage des mots, carambolage des chiffres

La résolution du conseil d’administration autorisant le projet de création de la joint-venture EPB/PORTEK et les appels à manifestations d’intérêts, nationale et internationale sont publiés au compte-gouttes et inégalement. Le cahier des charges est mis à la disposition des soumissionnaires qui ignorent que le projet est déjà scellé et le favori désigné. Tout ceci a démontré les incohérences qui ont précédé cette association.  Aux incohérences de la procédure, s’ajoutent les confusions des mots. Cette dernière apparaît dans l’entretien accordé par l’ex-PDG de l’EPB, paru en 2005 sur les colonnes de ce même journal, où ce dernier déclarait : «  De notre côté nous avons prévu un système de contrôle qui consistera en une expertise de tous les équipements par un commissaire aux apports, cette espèce de garde-fou devra nous permettre de garantir le matériel pour 20 ans, qui est la durée du partenariat ». Comment expliquer alors, qu’en moins de quatre années, on soit arrivé au stade des « Stocks morts » ?  Par ailleurs, Portek « devait se charger de la fourniture des équipements (…) », avait déclaré M. Boumssila. Comment expliquer donc que les auditeurs rapportent dans le document d’audit qu’il y eut un transfert de patrimoine  à savoir « des pièces de rechanges, les engins de manutentions des conteneurs et des chariots élévateurs » et qui plus « apparaissaient dans les écritures de l’EPB, alors qu’ils opèrent au niveau de BMT », comme cité dans le rapport d’audit ? Ceci sans parler de la gratuité de ce matériel mis à la disposition de Portek. Quant au financement, on détectera d’autres incohérences. Il s’agit cette fois, du montant de l’investissement de Portek, qui est selon l’ex-1er responsable de l’entreprise d’une valeur de 2 millions d’USD (Lire l’interview accordée à la Dépêche de Kabylie en 2005). Cependant, ce chiffre est contredit par la publication du ministère des Affaires étrangères (MAE), en date du 03 avril 2006 et qui est de 25 millions de dollars.

La cerise sur le gâteau

En effet, dans un document du ministère des Affaires étrangères algérien, intitulé «  Algérie- Singapour », on annonce la venue du ministre Senior (ex-Premier ministre) de Singapour, M. Goh Chok Tong qui  « effectue depuis samedi 1er Avril 2006, une visite de travail et de prospection de quatre jours en Algérie à la tête d’une importante délégation composée notamment du ministre des Affaires étrangères et celui du Développement national, ainsi que d’un groupe d’hommes d’affaires », lit-on dans le document du MAE. Et on annonce aussi que « Le groupe singapourien, Portek international, a décidé d’investir 25 millions de dollars dans le port de Béjaïa, a indiqué dimanche à la presse, son président, M. Larry LAM, en marge des travaux du business forum algéro-singapourien, organisé à Alger ». Et d’ajouter plus loin, dans cette même publication, « Un accord de gestion, en partenariat, de ce port a été signé dans la matinée par le Président Directeur Général du port de Béjaîa, M. Boumssila Abdelkader et M. LAM », lit-on dans le document. Le montant « sera consacré à l’équipement du port, notamment par de nouveaux portiques de traitement de conteneurs et également à la formation du personnel », selon les propos de l’homme d’affaires singapourien, rapportés par le document du MAE. Quant au contrat, on relèvera que «  les actes légaux ont été constitués en juin 2004 (…) », selon l’entretien accordé par l’ex-PDG du port, à la Dépêche de Kabylie.  Alors, ce partenariat est-il né lors de la réunion, tenue le 11 novembre 2003, du conseil d’administration de l’EPB, selon l’extrait du procès-verbal N° 08/2003, ou lors de la constitution « des actes légaux en juin 2004 », ou lors de la venue du ministre Senior singapourien, en Avril 2006 ?  Ce cafouillage des mots et ce carambolage des chiffres et des dates, vont-ils trouver une réponse cohérente un jour ?  Et quel a été le rôle de la Société de Gestion des Ports (SOGEPORTS), les actions ayant été menées en son nom ou avec son approbation ? En tous cas, le pointilleux et néanmoins pertinent constat de M. Le chef du gouvernement, Abdelmalek Sellal, lors de son allocution devant les sociétés de gestions des participations de l’Etat, au mois de mai dernier, a devancé toutes les analyses. 

Enquête réalisée par Yacine B.

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