Par-delà les campagnes et les commérages

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 Par Amar Naït Messaoud

À Tissemsilt, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a abordé une nouvelle fois, la gangrène qui tient en otage les citoyens et les institutions de l’État, à savoir la bureaucratie et la corruption. Ce diptyque s’est imposé au fil des ans, comme une sorte de fatalité face à laquelle les Algériens se sentent désarmés. Les péripéties d’une interminable fronde sociale ne semblent pas pouvoir venir à bout de ces deux phénomènes qui se nourrissent mutuellement et qui mettent à mal la crédibilité et l’honneur de l’État. « La lutte contre la corruption et la bureaucratie est l’affaire de toute la société et c’est une culture », a précisé le Premier ministre, signifiant par là que c’est un long combat à mener par les citoyens, le monde associatif et le personnel le plus éclairé des partis politiques. Cependant, A. Sellal fait incomber, d’abord, la responsabilité de cette lutte à l’État, à travers le pouvoir judiciaire.  « La lutte contre la corruption relève des missions principales du pouvoir judiciaire, dans le cadre de la loi, le respect de la présomption d’innocence et des procès équitables, loin de toutes campagnes qui peuvent mener à de graves dérives et dépassements ». Que cela soit dit à la veille de l’élection présidentielle, prévue pour le 17 avril prochain, montre la portée d’un message qui se veut apaisant, sachant que le climat des campagnes ou pré campagnes électorales sont propices à toutes les surenchères, faisant que les différents acteurs sont souvent tentés de faire feu de tout bois afin de faire avancer leur nom dans le damier des candidats. On a déjà assisté à ce genre de joutes malsaines où, maladroitement, des flèches sont décochées dans tous les sens, à l’endroit de gestionnaires locaux ou centraux sur lesquels courent des potins et que personne ne peut vérifier. C’est que le climat général de mauvaise gestion, de centralisation excessive de la décision, de travaux mal conduits sur des projets d’infrastructures (routes, conduites d’AEP, constructions,…), de distribution inique de logements sociaux, a préparé le terrain « mental » chez les citoyens pour tirer leurs propres conclusions. À cela s’ajoute la bureaucratie, qui est rarement pratiquée par masochisme gratuit. La délivrance de certaines pièces d’état civil, l’accès à des crédits bancaires, la recherche d’une pièce indispensable pour établir un acte de propriété sont souvent soumis au chantage de rond-de-cuir. C’est Abdelmalek Sellal, lui-même, qui a cité dès sa prise de fonction en septembre 2012, des cas où des services publics où de banales prestations sont monnayées, jetant les citoyens désarmés dans le désespoir et les réactions sociales négatives. Des soupçons qui pesaient sur certains gestionnaires (présidents d’APC, fonctionnaires des finances, directeurs d’exécutif de wilaya,…), ont fini par éclater au grand jour. Les prisons algériennes abritent actuellement des dizaines de fonctionnaires véreux, ayant reçu une simple obole de 20 000 dinars d’un citoyen désargenté ou de fortes sommes d’un entrepreneur. D’autres affaires sont encore en « incubation ». Les affaires révélées par la presse ne sont pas toutes fondées et bien étayées. Certes, il n’y a pas de fumée sans feu. Mais, une révélation de la presse, même si elle doit orienter les recherches de la justice, est loin de constituer une preuve. Et pourtant, il y a des moments où l’on assiste à un véritable verdict. Le risque est grand de voir des personnes innocentes éclaboussées par des déclarations intempestives et des jugements de valeur. Dans tous les cas de figure, et quelles que soient les faiblesses de l’appareil judiciaire, la meilleure voie est celle qui consiste à laisser la justice faire son travail. Néanmoins, comment faire adhérer les Algériens à l’idée que les affaires de corruption, et avec elles, toutes les autres affaires, trouveront leur issue dans la justice? Les citoyens sont assurément échaudés par des procès qui ont pris les allures de ballon de baudruche, par l’impunité dont jouissent certains « pontes » et par l’influence dissuasive que possèdent certains barons. Autrement dit, croire à l’efficacité et la loyauté de la justice exige un nouveau contrat de confiance entre les Algériens et leurs gouvernants. Le travail entamé depuis l’automne 2012 par le ministère chargé de la Réforme du service public peut être une bonne amorce vers l’allègement des procédures administratives et la lutte contre la bureaucratie, sachant que la « petite » corruption niche souvent dans les services déconcentrés de l’État (mairie, daïra, service des domaines, académie,…). Le mouvement, ainsi enclenché aura-t-il le souffle long? Se départira-t-il du traditionnel caractère de « campagne », comme les Algériens en ont malheureusement connu à profusion? Plus l’administration publique allège ses procédures, s’ouvre sur les citoyens et instaure de la transparence dans son travail quotidien, plus l’acte clientéliste et les tentations de malversations reculeront. Ce qui est valable pour l’administration publique et les collectivités locales, l’est d’autant pour les entreprises publiques, qu’elles soient de la dimension d’une régie communale ou de l’envergure de Sonatrach.  Pour les entités économiques, les règles modernes de management, faites de transparence, de collégialité et de traçabilité sont une garantie supplémentaire pour un fonctionnement normal des différentes structures. Dossier sensible à plus d’un titre, la corruption est un concept trop général pour être cerné dans des points précis ou des affaires particulières.  En dehors de quelques dossiers ayant bénéficié d’un éclairage suffisant de l’appareil judiciaire, le reste a tendance à être dilué dans des cancans et commérages servant d’armes politiques. La modernisation de la justice et son autonomisation par rapport au champ politique, soutenues par une lutte franche contre la bureaucratie par la réhabilitation du réflexe managérial, sont seules garantes pour la prévention de la corruption et de la lutte contre ses effets désastreux. 

A. N. M.

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