En finir avec l'école buissonnière

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La rentrée scolaire 2014/2015 verra 8 600 000 élèves, tous paliers confondus, prendre le chemin de l'école.

Sur le plan du ratio démographique, ce chiffre représente 22% de la population totale du pays, sans compter l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. C’est dire l’importance stratégique que revêt le secteur de l’éducation dans notre pays. Un secteur qui mobilise le deuxième budget de la nation, avec, en outre, les réalisations dont il a bénéficié dans le cadre des plans quinquennaux, du programme Hauts Plateaux et du programme spécial Sud. En termes d’investissements infrastructurels, l’Algérie s’enorgueillit d’avoir mis le paquet dans ce secteur; une performance que nous envient les pays africains et nos voisins du Maghreb. Sur les pitons des plus petits hameaux, des écoles sont construites, si bien que, avec le mouvement de l’exode rural des années 1990, des dizaines d’entre elles ont été fermées pour manque d’effectifs. De modestes communes ont bénéficié de lycées, alors qu’il y a une dizaine d’années, elles ne disposaient même pas d’un collège d’enseignement moyen (CEM). À cela s’ajoute plus d’un demi million d’enseignants, soixante millions de manuels scolaires par an, des cantines, des dépenses ordinaires de fonctionnement et des œuvres sociales qui ont fait couler beaucoup de salive et d’encre. Face à de tels investissements consentis par la collectivité nationale, l’Algérie s’attend légitimement à des résultats concrets qui puissent la soustraire à sa situation de pays sous-développé et la hisser au rang de pays émergent. Cependant, il se trouve que cette ambition est non seulement contrariée par les performances peu probantes de l’école, mais, pire, elle est comme délaissée ou oubliée par l’économie et l’esprit rentiers qui ont pris le dessus, depuis des décennies, sur la culture de l’effort et de la promotion des valeurs du travail. Cela a fini par donner à l’école l’image d’une « machine » qui broie la routine, qui accueille ou abrite les élèves pour ne pas encombrer les foyers et la rue et qui, chaque mois de juin, donne des statistiques et des bilans froids sur la réussite aux examens. Imperceptiblement, depuis la fin des années 1980, l’école algérienne a fini par échapper au contrôle de la société et des pouvoirs publics. Elle a servi de défouloir aux luttes idéologiques des différents courants de la société. Elle s’est dangereusement éloignée de ses missions fondamentales de formation, d’éducation et de promotion de la citoyenneté. Elle est devenue le laboratoire grandeur nature de toutes les expérimentations pédagogiques d’importation ou de conception locale. Elle est frappée d’instabilité et d’éternelles remises en cause. Avec tant de discrédit, l’école n’a pas tardé à s’altérer et à se décomposer de l’intérieur en devenant un foyer idéal d’indiscipline et de rébellion. Des officiels, au cours des dernières assises de l’Éducation organisées en juillet 2014, ont reconnu que le calendrier scolaire est imposé par… les élèves. Ils décident de la date de départ en vacances et imposent le « smig » des leçons (aâtba) à faire soumettre aux examens du baccalauréat. La drogue circule, se vend et se consomme dans les lycées; le téléphone portable a servi non seulement pour la fraude aux examens, mais, pire, à compromettre de jeunes filles par la publication de leurs photos sur les réseaux sociaux. Les enseignants, voire des directeurs, ont perdu toute autorité au sein des établissements. Lorsque la médiocrité pédagogique, la tentation de pollution idéologique, l’inadaptation des contenus d’enseignements à la société d’aujourd’hui, la déliquescence disciplinaire se liguent d’une façon aussi frontale contre l’école algérienne, plus que la sonnette d’alarme à tirer, c’est une révolution qu’il y a lieu de faire dans cette institution censée porter les meilleures valeurs de la société et ses lettres de noblesse. L’accueil hargneux et nourri par la bêtise fait par une médiocre caste de rentiers à la nouvelle ministre de l’Éducation, Mme Nouria Benghebrit, nous renseigne suffisamment sur l’état de décomposition dans lequel se trouve l’école algérienne, comme il nous éclaire et sur la nature et sur le niveau des efforts exigés pour redresser la situation. Dans le secteur de l’éducation, où l’on agit non sur matière inerte mais sur l’homme, le redressement se compte en termes de générations. Autrement dit, si la bonne volonté s’installe tout de suite et que les conditions et l’environnement général deviennent favorables, les résultats ne seront cueillis que dans presque vingt ans, c’est-à-dire de la première année jusqu’à la première graduation de l’université. C’est pourquoi, aucun attentisme ni hésitation ne peuvent être admis. Les quelques changements décidés par la nouvelle ministre pour cette année scolaire constitueront, sans aucun doute, la pierre de touche des possibilités futures qui s’ouvriront pour des réformes plus radicales pour un secteur qui a trop souffert de réformettes ayant longtemps nourri des illusions d’optique.

Amar Naït Messaoud

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