La vulgarisation et la pédagogie en question

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Par Amar Naït Messaoud

La multiplication des titres de presse et des chaînes de télévision en Algérie signifie-t-elle une véritable démocratisation de l’accès à l’information? Indépendamment des limites que le niveau de développement politique d’un pays peut imprimer à la marche de l’information et de la communication, force est de constater que, sur un autre volet, le pari est loin d’être gagné. Le volet dont il s’agit et qui a été rarement évoqué ou entrevu lors du démarrage de cette «aventure intellectuelle» au début des années 1990, c’est bien celui de la capacité des organes d’information d’élaborer une information pratique, utile et intelligible, particulièrement dans le domaine socioéconomique, sans que soient reproduits in extenso les données et les chiffres tirés à partir de sources relevant des structures et institutions exerçant dans ces domaines précis, à savoir l’économique et le social. L’on a constaté qu’un certain nombre de journaux et de télévisions se contentent de débiter le communiqué officiel du Conseil des ministres ou les derniers bilans de l’économie nationale donnés par CNIS, l’ONS ou la Banque d’Algérie, sans offrir au lecteur ou au téléspectateur la possibilité d’accès à l’analyse de l’information donnée, et pourquoi pas à un commentaire bien construit. De plus en plus de citoyens sont habités par le désir de connaître, par-delà les faits divers, le sport et l’information de proximité l’actualité sociale et économique du pays et de la région portant sur l’emploi, l’industrie, le tourisme, l’agriculture,… etc. On le constate déjà dans la rue. Les gens s’«improvisent» analystes économiques dès que l’occasion s’y prête, c’est-à-dire dans un moment d’accès de colère lié à une revendication quelconque. La rue n’hésite pas à faire étalage de 200 milliards de dollars de réserves de changes, «au moment où des villages n’ont pas été raccordés au gaz de ville ou au réseau d’assainissement», entend-on dire. C’est là un «raisonnement» économique et social relativisé par l’ignorance de beaucoup d’autres éléments d’information. Des éléments qui sont supposés être vulgarisés par les organes d’informations, tous canaux confondus. On est à l’heure de la grande médiatisation, et les journalistes sont plus que jamais appelés à jouer le rôle non seulement de transmetteurs de l’information, au sens technique et neutre du terme, mais de vulgarisateurs et de pédagogues, particulièrement dans un pays comme l’Algérie, travaillé au corps par l’analphabétisme, par le déclin du niveau scolaire et universitaire et par les réflexes du monopôle de l’information officielle. «L’économie est l’affaire de tous. Elle n’a jamais autant façonné notre quotidien. Il n’a jamais été aussi urgent de la comprendre, de la décrypter», écrit Nathalie Nougayrède dans le journal Le Monde du 30 avril 2013. Cependant, les insuffisances des efforts déployés par la presse algérienne dans le sens d’une meilleure communication, portant sur l’information économique et sociale, risquent de retarder le processus d’accès des citoyens à ce genre d’informations, lesquelles, en grande partie, conditionnent leur vie de chaque jour. En d’autres termes, détenir l’information économique et sociale permet de débattre des problèmes de société des décisions des gouvernants (responsables administratifs et élus) et, à l’occasion, de remettre en cause des choix et des options. Indubitablement, cela fait partie du processus de démocratisation des institutions et de la société processus dans lequel les journalistes sont appelés à jouer un rôle capital. Cependant, la formation des journalistes et leur profil répondent-ils toujours à ce souci majeur? «L’économie occupe aujourd’hui une place centrale dans le débat public. C’est un sujet technique mais qui fait l’objet de nombreuses controverses. Les journalistes sont-ils capables d’en rendre compte de manière satisfaisante ? Ont-ils les moyens d’analyser les problèmes qu’elle soulève et dont la complexité est croissante ? Ont-ils suffisamment d’autonomie pour traiter de manière satisfaisante d’un domaine où les intérêts en présence sont considérables ?», écrit Jean-Marie Charon dans le rapport 2013 de l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (IDIES). Parmi les multiples raisons qui rendent ces questions complexes, l’auteur en cite un certain nombre dont, en premier lieu, la formation. La formation des journalistes dans les questions des économiques et sociales sont généralement modestes, sauf pour ceux qui ont fait des efforts personnels en autodidactes. «Ce déficit de formation peut les handicaper quand il s’agit de lire les comptes d’une entreprise, de comprendre les mécanismes d’une restructuration ou les subtilités du droit du travail. Mais plus fondamentalement, cela les soumet au système de valeurs, aux grilles de lectures et aux postulats dominants», précise Jean-Marie Charon. Il s’ensuit qu’une grande partie de la presse se contente de reproduire les chiffres et les données obtenus auprès des entreprises ou de l’administration sans possibilité de les valides ou de les discuter. Cette problématique pose immanquablement la question de la formation spécialisée telle qu’elle est en train d’être conduite dans plusieurs pays du monde. L’Algérie, sans doute plus que les pays industrialisés, a un grand besoin de vulgarisation et de transmission pédagogique de l’information sociale et économique, et cela au moins pour deux raisons. La phase de transition que vit notre pays sur le plan économique va nous introduire graduellement dans des champs de connaissance et des segments dont on a à peine entendu parler auparavant. Les marchés financiers, la bourse des valeurs, les obligations, les offres publiques d’achat et d’autres concepts encore feront bientôt leur intrusion dans notre littérature économique. Ensuite, le niveau culturel général de la population appelle à être rehaussé précisément dans le domaine de l’information économique et sociale, par les organes d’information les plus populaires. 

A. N. M.

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