Quels moyens pour l'ambition de la démocratie participative?

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La gestion locale demeure incontestablement l’un des segments les moins maîtrisés aussi bien sur le plan institutionnel que sur celui du mode d’intervention. Le rappel, la semaine passée, par le ministre de l’Intérieur et des collectivités locales, Tayeb Belaïz, de quelques clauses contenues dans certains textes législatifs du pays impliquant le citoyen dans la gestion communale, est sans doute mû par la tension constatable dans plusieurs points du territoire nationale relative à la prestation de services et à la gestion des affaires publiques réalisées par les communes. Cependant, ce rappel, qui insiste sur la « démocratie participative » qui intègre le citoyen-électeur-contribuable dans les délibérations faites par les exécutifs communaux, porte en lui quelque chose qui rappelle les « actes manqués », sachant qu’aucun effort particulier n’a été consenti pour rendre concrètes les dispositions visées en la matière par le code communal, le code de wilaya et, mieux encore, par le texte de la Constitution. Autrement dit, le constat de la non-participation des citoyens à la gestion des communes a été fait publiquement après qu’un état de « mésalliance », voire de divorce, eut été consommé entre les citoyens électeurs et leurs représentants. Pire, les griefs portés par les populations dépassent parfois les « cibles faciles » que sont les maires ou leurs adjoints; ils vont au-delà pour remettre en cause les choix ou les décisions de certains walis ou de l’une de ces directions (logement, urbanisme, hydraulique, transport, travaux publics,…). Un livre écrit par un ex-wali et exposé au dernier Salon international du livre d’Alger aborde, pour la première fois, la complexité et l’ambigüité des missions confiées au « président de la République » dans une circonscription administrative qui a pour nom wilaya. Trop de missions ou problème d’organisation des services de la wilaya, avec ses différentes directions dépendant de plusieurs ministères ? La question demeure posée pour tous ceux qui ne sont pas satisfaits des résultats actuels sur le terrain, également pour tous ceux, villageois ou habitants des villes, qui vivent cette concentration de pouvoirs comme un handicap, un poids qui rogne considérablement les attributions des autres démembrements de l’État au niveau local (daïras, subdivisions des services techniques) et surtout des élus (APW et APC).

La plus haute des surdités au « tunnel » d’Aokas

L’actualité la plus visible de la rue au cours de ces derniers jours, et particulièrement en Kabylie, est la fermeture de sièges de mairies et daïras, ainsi que des barricades dressées au travers des routes par des populations en furie, de façon à isoler complètement une région du reste du territoire. Ce qui s’est passé la semaine passée à Aokas, dans la wilaya de Béjaïa, est sans doute à inscrire dans le registre des records à ne plus rééditer. On sait que la wilaya de Béjaïa a battu le triste record de la fermeture de la route de la vallée de la Soummam (RN26) pour diverses revendications sociales; on a même eu des cas d’étudiants de l’Université Mira qui ont été contraints de transférer leurs dossiers vers d’autres universités du pays à cause des désagréments de la route. N’insistons pas sur les contraintes et les pertes occasionnées aux acteurs économiques de la région (El Kseur, Akbou, Ighzer Amokrane, transporteurs à partir du port de Béjaïa, …), eux qui continuent à se plaindre également du retard enregistré dans la réalisation de la pénétrante vers l’autoroute Est-ouest et de la nouvelle voie ferrée express Béjaïa-Beni Mansour. À un certain moment, on a poussé le bouchon jusqu’à fermer deux axes en même temps: la RN 26 et la RN12. Cette dernière dessert la wilaya de Tizi-Ouzou à partir d’El Kseur, en passant par Adekar. Pendant la dernière période estivale, des touristes venant du centre et de l’ouest du pays ont dû rebrousser chemin, pour ceux qui n’ont pas été « piégés » dans la circulation, pour rentrer sur Bejaïa à partir de… Sétif, via, bien sûr, l’autoroute, puis Kherrata. Et voilà que cette fois, on a « sophistiqué », à l’excès, les modes de protestation jusqu’à fermer toutes les voies secondaires qui pouvaient être empruntées par les automobilistes à partir de la RN9 (Béjaïa-Aokas). À partir du tunnel qui annonce cette dernière ville balnéaire, c’est l’impasse. On s’est même « ingénié » à prolonger le « service » des barricades pendant la nuit ! On imagine bien les désagréments causés aux familles, aux malades et à tous ceux qui ont une urgence pour se déplacer sur Sétif, Jijel ou Souk El Tenine. Sans parler des surcoûts occasionnés aux opérateurs économiques concernés par le transport de la matière première ou des produits sortis d’usine. Le sentiment des gens est que cette situation ne peut pas durer; elle ne doit pas durer. Elle risque de dissuader les investisseurs et les touristes, comme elle risque de provoquer un mouvement de délocalisation aux unités déjà installées et qui ont rendu d’immenses services à la région en produisant de la fiscalité et des emplois. Malgré la disproportion de la réponse des citoyens à la liste contestée de l’attribution de logements, il serait maladroit, voire injustifié de s’en prendre aux seuls jeunes d’Aokas qui ont laissé exploser leur courroux dans la rue. Le problème est plus complexe et appelle des réponses dans le sens justement de ce que le ministre de l’Intérieur appelle : la démocratie participative. Une gestion régulière et transparente des affaires publiques, à laquelle des comités de populations et des associations prendraient part, ne peut que contribuer à apaiser les esprits et amorcer un processus de démocratisation à la base. Au moment où se multiplient les mouvements de protestation et se prépare également le lancement du nouveau plan quinquennal 2015-2019, un mouvement dans le corps des wali est attendu pour 23 wilayas. C’est ce qui est colporté par des informations semi-officielles. Avec un tel mouvement, les autorités politiques comptent imprimer une nouvelle dynamique aux programmes de développement et apporter un nouveau souffle à la gestion des affaires locales. Mais, sera-ce suffisant ? Le ministère de l’Intérieur et des collectivités locales organise des séances d’audition pour les walis de la République depuis quelques semaines. Comment se peut-il que le ministère de l’Intérieur soit à même d’être le réceptacle de toutes les problématiques qui se posent au niveau des wilayas ? Ses prérogatives sont pourtant plus précises, c’est-à-dire moins étendues; elles se limitent à l’administration territoriale, l’organisation pratique des élections, l’état civil, l’ordre public, les libertés publiques et d’autres questions inscrites légalement dans ses missions. Autrement dit, le wali, en face du secrétaire général du ministère de l’Intérieur, aura du mal à dérouler des questions de développement dont la programmation et les financements relèvent d’autres ministères. Les retards de réalisation, la déficience en matière d’entreprises, les relations avec les bureaux d’études, les réévaluations des projets avec leurs incidences financières parfois considérables, ne peuvent pas trouver de solution là où est convoquée la réunion. Les services du Premier ministère sont les mieux indiqués pour étudier ces questions, ainsi que celles, aussi, relevant du département de l’Intérieur, dans leur globalité. La question de la relation entre l’administration, sous toutes ses déclinaisons, et les populations, demeure imparablement au cœur du processus de démocratisation de la société et des institutions. L’une des facettes qui réclame assurément le plus d’attention immédiate est, bien entendu, celle de la décentralisation censée conférer des pouvoirs élargis aux représentants locaux des populations et aux démembrements les plus élémentaires des institutions de l’État.

Amar Naït Messaoud

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