De la démagogie faisons table rase

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L’Algérie assiste depuis hier au 15e Sommet de la francophonie qui se tient à Dakar, capitale du Sénégal, en tant que membre… observateur. Sur les 77 États et gouvernements qui y assistent, soit, dans l’ordre alphabétique, de l’Albanie au Vietnam, en passant entre autres par la Pologne, les Émirats, Qatar et l’Uruguay, l’Algérie est pourtant l’un des plus grands pays francophones du monde, sans doute le deuxième après la France. La guerre de libération nationale et les calculs politiques ultérieurs, où se sont mélangés l’arabisme et le positionnement dans la guerre froide, ont fait de notre pays une entité loin de ce regroupement. Pire, on a voulu effacer d’un revers de main un héritage culturel de valeur, porteur de l’esprit de liberté et des droits de l’homme. À lui seul, la constitution du mouvement national donne une idée assez précise des éléments qui se sont opposés à la colonisation et qui ont tout fait pour qu’elle cesse. C’est au nom des principes des Lumières et des Droit de l’homme, véhiculées par la langue française, que des Algériens se sont opposés à la France et l’on combattue. La déclaration du 1er novembre a été écrite en français. Les documents essentiels de la révolution également. Avec la manière dont a été opéré le divorce définitif avec le colonialisme français, l’Algérie n’avait normalement aucun complexe à se faire au sujet de l’utilisation de la langue française. Et ceci dans le respect de la réhabilitation des langues algériennes que sont l’arabe et tamazight. Mieux, l’auteur mondialement connu et apprécié Kateb Yacine, a qualifié le français de « butin de guerre », une formule qui a fait florès chez les intellectuels algériens leur permettant de justifier ce que leurs détracteurs appellent les « résidus du colonialisme » ou bien encore « hizb frança ». Les fabriquant de ces accusations à l’emporte-pièce ont quelque chose à se reprocher. L’intellectuel bilingue Mostefa Lacheraf appelle ces aboyeurs les « tard-venus » ou les « combattants du 19 mars ». Ils ont essayé de compenser leur déficit de patriotisme, peut-être même la position antinationale de certains d’entre eux, par un excès de zèle par lequel ils ont décidé d’arabiser au rabais l’école, l’administration et l’environnement. Les résultats, cinquante ans après le début de ce processus morbide, sont là. Des élèves analphabètes bilingues, un niveau de formation l’un des plus bas du monde, et des passerelles fertilisées avec l’islamisme et l’intégrisme qui ont fait vivre au pays une guerre civile de plus de dix ans. Pour fermer aux Algériens les horizons de l’universalité les arabistes ont eu la machiavélique idée de survaloriser la langue anglaise à l’école primaire qu’on a voulu imposer, pendant les années 1980, comme une langue de substitution au français. Tout en étant une langue des sciences et de la technologie, l’anglais n’a aucune profondeur sociologique en Algérie. Il faudra pourtant bien s’en saisir d’une façon raisonnée et en faire un instrument de promotion et non de… répression. En 1992, l’intellectuel et islamologue algérien, feu Mohamed Arkoun, faisait le constat suivant: « l’arabisation qui a été très poussée par exemple en Algérie a abouti à une coupure de nos étudiants par rapport à toutes les publications qui se font dans les langues européennes. Si un étudiant algérien veut s’informer sur l’état actuel de l’anthropologie, il doit connaître l’anglais, le français, l’allemand, éventuellement l’italien et l’espagnol, parce que dans la bibliothèque en langue arabe, il n’y a rien à cet égard « . Pour Kateb Yacine, c’est le butin de guerre. Pour Taous Amrouche, c’est cette langue « si chère et presque aussi familière que le berbère ». Pour Mouloud Mammeri, c’est un « instrument d’expression absolument indispensable ». « Accéder à une langue comme le français est un enrichissement considérable, et je ne suis pas prêt à renoncer à tout ce que cette langue m’a apporté et continue de m’apporter », dit-il dans un entretien avec le journal Le Monde du 29 mars 1981. L’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999 avait ouvert les portes de l’espoir pour décomplexer les Algériens de la relation qu’ils entretiennent avec la langue française. Il faisait des discours en français et avait vertement remis à sa place l’un des animateurs de l’Association de défense de la langue arabe qui lui reprochait cette pratique. L’Algérie publie une cinquantaine de journaux en français, en plus des sites internet. La langue est réellement présente partout, même si parfois le vernis de la démagogie nous présente les choses sous l’atmosphère « apaisée » d’une arabisation définitive. La littérature algérienne de langue française continue à attirer l’attention du monde entier et à drainer des prix littéraires prestigieux. Alors, faisons table rase de l’hypocrisie et du faux nationalisme.

Amar Nait Messaoud

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