«Mon testament que je vous laisse…»

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Il y avait de l’émotion, avant-hier, au siège de la wilaya, lors de la cérémonie d’adieux du wali, M. Abdelkader Bouazghi qui réunissait le monde qui l’avait entouré durant le « quinquennat » qu’il a eu à passer dans cette wilaya.

Fait rare, particulièrement en Kabylie, l’assistance, composée d’élus, de responsables locaux, d’opérateurs économiques et autres figures émergeante de la région, a unanimement manifesté ses regrets quant à ce départ. C’est à peine si elle n’a pas exprimé son opposition… Et fatalement, ça ne lui a pas facilité la tâche.

Notamment lorsqu’il devait placer quelques mots. La gorge finissait vite par se nouer. Entouré du nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, M. Ould Ali El Hadi, du P/APW M. Haroun et des représentants des autorités locales, l’homme cédait à l’étranglement émotionnel. Mais le wali faisait tout pour se reprendre vite. Les deux se sont livrés à un véritable exercice dans une atmosphère pas évidente à décrire avec ce mélange de convivialité de fraternité de sourire, de larmes, de contrariétés, de plaisir et de déplaisir… En somme, Tizi-Ouzou montrait bien qu’elle savait ce qu’elle perdait avec ce départ qu’elle devra désormais digérer bon gré mal gré. Bouazghi a sans doute marqué de son empreinte, par son dévouement, son ouverture, sa sagesse et sa sincérité Tizi-Ouzou.

Il apparaît comme l’un des rares walis à avoir réussi à faire l’unanimité autour de lui, malgré qu’il n’a pas tout le temps été amène avec ses subordonnés ni avec certaines franges de la société le concède-t-il d’ailleurs. Mais il finissait souvent par faire entendre raison à ses vis-à-vis en faisant valoir l’intérêt collectif, celui de la Kabylie ! Cette dernière lui restera certainement reconnaissance et témoin qu’il aura été le commis de l’Etat qui s’est le plus dévoué pour relancer la machine économique dans la région, mais aussi briser le tabou des reconnaissances officielles à l’égard des figures historiques du Djurdjura. En effet, si le dédoublement de la RN12 sur Azazga, les différents ouvrages et institutions bâtis sous son règne peuvent faire partie des missions élémentaires d’un wali, il a certainement davantage conquis les cœurs des montagnes en osant le geste de baptiser des rues, des carrefours et des places de Tizi-Ouzou aux noms des onze colonels, de Fadhma N’Soummer, de Matoub, de Djaout… Bouazghi a tout simplement beaucoup contribué à réconcilier la Kabylie avec son Histoire.

Mais il ne s’en vante pas. Loin de là. «C’est par ce qu’on a pu régler le préalable sécuritaire qu’on a pu se consacrer à l’essentiel, à la relance du développement. Je ne l’ai pas fait seul, je ne pourrais pas avoir cette prétention. Vous y avez tous contribué chacun à son niveau, député sénateur, élu APW, APC et autres intervenants. Nous avons pu réaliser ce qui nous rend fiers aujourd’hui grâce surtout à la sérénité et au souci mis en avant par tout un chacun pour mettre en avant la préoccupation de relancer le développement». Durant sa prise de parole, Bouazghi aura réservé un vibrant hommage aux deux APW avec lesquelles il a eu à composer comme aux maires. Il y a même beaucoup insisté pour les associer à l’ensemble des réalisations acquises. Loin de se gargariser toutefois à les énumérer, il se contentera de dire ceci : «Je ne suis pas là pour revenir sur ce qui a été fait, laissons ça à la conscience collective. C’est à elle de recenser, de faire le constat. Mon souhait est de vous voir tous continuer sur cette dynamique pour Tizi-Ouzou, pour la Kabylie. Et il n’y a aucune raison pour que ça ne se fasse pas. L’Etat a mis les moyens, et la Kabylie a les compétences et l’intelligence pour aller plus devant. Ce n’est quand même pas par hasard que Tizi-Ouzou est, pour la septième année de suite, première en termes de résultats scolaires !» s’est-il exclamé.

C’est à vrai dire là un des indices flatteurs de son «testament». Quand il s’oublie à en parler, Bouazghi préfère toutefois évoquer ce qui va «arriver», pas ce qui a été déjà réceptionné «comme le train, la pénétrante qui avance à rythme appréciable, le téléphérique, des milliers de logements,… Ce sont là des projets qui vont structurer définitivement la Kabylie. Le reste n’est que détails. A quoi bon s’attarder encore sur ces conditions de travail parfois difficiles avec toutes ces oppositions et blocages qu’on nous a manifestés ici et là à maintes reprises ? Mais ça ne nous a jamais frustré plus qu’il ne le faut. Il fallait les discuter avec sagesse car elles restaient pour nous des messages citoyens». Y’a pas à dire le discours d’adieu était beau. Sa «chute» fut encore plus belle. A faire perdre le nord à une assistance plutôt habituée à l’arrogance administrative qu’à voir un wali la prier d’accepter ses excuses… «Maintenant s’il se trouve que par inadvertance ou par manque d’attention j’ai failli à mes obligations ou que j’aurais surfé peut-être à un moment même volé sur l’honneur de quiconque, enfant, vieux, agent d’administration, de sécurité élu soit-il ou autre, je demande à mes frères de m’excuser.

Mais que chacun sache qu’il n’y a jamais eu aucun mal dans mes actes et gestes, même si parfois, sous la pression, ils n’étaient pas accompagnés de sourire». Ce sont ses propos. La foule, émue, applaudit. Les mains claquent, les têtes se tournent à gauche et à droite et les esprits comme abasourdis. La Kabylie n’arrêtera vraisemblablement pas de sitôt de regretter son désormais ex-wali. Ce n’est pas dit qu’il restera éternellement le meilleur que la wilaya ait connu, mais il a placé la barre très haut à ses successeurs. Ses derniers mots, face à ses convives du jour, sonnaient comme un refrain pas facile à composer : «Je pars en laissant une partie de moi en Kabylie mais aussi en prenant une partie de la Kabylie avec moi». Comme quoi, le défi est lancé aux poètes aussi…

Djaffar Chilab.

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