L'étape du travail et de la responsabilisation

Partager

La mouture de l'avant-projet de la nouvelle Constitution dispose, dans son article 3 bis, que tamazight est langue nationale et officielle.

Avec une telle avancée dans le chemin de la réhabilitation de la première langue algérienne, cet acquis politique confère réellement plus de charge, aussi bien pour les différents acteurs sur le terrain de la revendication et de l’action, que pour les institutions de l’Etat. Pour les premiers, il y a lieu de donner un prolongement technique et pratique sur le plan de la production des outils nécessaires à cette grande œuvre; pour les secondes, les institutions de l’Etat, l’avant-projet de la nouvelle Constitution définit les grandes tâches, en faisant clairement référence à la « promotion et au développement » de cette langue « dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national »; comme il annonce aussi la création d’une Académie algérienne de la langue Amazighe, placée auprès du Président de la République. D’après les termes de l’article 3bis, c’est cette Académie qui sera chargée de « réunir les conditions de promotion de tamazight, en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle ». Décrypté cet alinéa lie la mise en pratique de l’officialisation de tamazight aux efforts techniques qu’aura accomplis l’Académie dans le domaine de la recherche sur la langue. Le nouvel acquis politique, consistant à introduire tamazight comme langue officielle dans l’avant-projet de la nouvelle Constitution, est une étape qui succède à une longue histoire de revendication populaire, ponctuée par des protestations massives, par des activités clandestines, par la prise en charge de la revendication par des partis politiques après l’ouverture démocratique de 1989, par des acquis en matière d’enseignement et de diffusion culturelle, par la production littéraire, théâtrale et cinématographique,etc. Le chemin a été long et ardu. Il s’est étendu sur plusieurs générations. Depuis les premiers écrits de Si Saïd Boulifa et de Belaïd Aït Ali, jusqu’à la floraison actuelle dans le domaine de la production, en passant par des étapes de revendications politiques et populaires (la Crise berbériste de 1949, le Printemps berbère de 1980, le Printemps noir de 2001), tamazight est revendiquée en tant que culture, histoire et langue. Pendant les années 70 et 80 du siècle dernier, sous la dictature du parti unique, la chanson kabyle engagée a joué un rôle de premier plan dans la revendication de la langue amazighe, sachant que la chanson elle-même, faite de poésie de grande facture, est un produit culturel de cette langue. Outre la revendication de types politique ou populaire, tamazight a aussi bénéficié de travaux et de recherches de personnes ou de groupes ayant souvent travaillé dans la solitude, l’adversité et la clandestinité. Mouloud Mammeri a dispensé des cours de tamazight à l’Université d’Alger, de façon informelle, à des étudiants volontaires. Les cours s’arrêteront suite à une décision du ministère de l’Enseignement supérieur. Mais, une grande partie de ceux qui avaient l’occasion de fréquenter ces cours, ont servi par la suite de cheville ouvrière au mouvement de revendication d’avril 1980, lequel créa la grande brèche dans le monolithisme idéologique, culturel et politique du parti-Etat. Quelles que soient les limites de son entreprise, c’est à l’Académie berbère de Paris que l’on doit les premiers regroupements, au milieu des années 1960, des énergies vouées à la réhabilitation et à la promotion de tamazight, langue, culture et histoire. L’Académie, créée en juin 1966 dans le domicile parisien de Taos Amrouche, s’est donné des relais en Algérie, à travers l’élite estudiantine de Kabylie, à l’exemple de feu Mohamed Haroun. Ces relais ont mené un immense travail de conscientisation et de vulgarisation. Ils ont popularisé l’alphabet Tifinagh et diffusé clandestinement des publications de l’Académie. Cette dernière a été dissoute par l’administration française suite à des pressions venant du pouvoir politique algérien de l’époque. Toujours dans le corps de la diaspora kabyle en France, des recherches ont été réalisées sur la langue amazighe, avec des productions de textes de grande valeur, par des universitaires travaillant individuellement ou en groupe (comme le groupe de l’Université de Vincennes).

Le Printemps amazigh de 1980 a pu faire sortir la question de la revendication de tamazight dans la rue, et avec elle, la question des libertés démocratiques. Le séminaire de Yakourène du mois d’août 1980 fit la synthèse de ces revendications et en officialisa la demande. Avec l’ouverture du champ politique au pluralisme, par la grâce de la Constitution de février 1989, la question amazighe ressurgit avec force. Outre les partis à fort ancrage en Kabylie (FFS et RCD), un grand nombre de partis se sont « décomplexés » par rapport à cette revendication. Cependant, la pression populaire n’a pas baissé. La grève du cartable de 1994, qui a occasionné une année blanche pour les élèves de la Kabylie, est une étape importante de la revendication. Elle sera suivie de l’introduction de tamazight à l’Université (Tizi-Ouzou et Béjaïa), puis dans les écoles d’un certain nombre de wilayas. Suite aux tragiques événements du Printemps noir de 2001, la langue amazighe est introduite dans la Constitution en tant que langue nationale (article 3bis). Parallèlement à l’enseignement, l’Etat créera le Haut commissariat à l’amazighité (HCA), institution rattachée à la présidence de la République chargée de contribuer à la promotion de la langue amazighe par le soutien à l’édition et l’organisation de différentes manifestations culturelles en rapport avec le sujet du développement de tamazight, aussi bien sur le plan culturel et historique que sur le plan linguistique.

L’étape à laquelle est parvenue la revendication amazighe, à savoir l’officialisation, aujourd’hui prise en compte dans l’avant-projet de la nouvelle Constitution, constitue immanquablement une étape décisive, celle de la responsabilité. Si, à l’Etat, il est exigé des moyens matériels, des finances et…des textes d’application (auxquelles fait référence l’avant-projet de la Constitution), aux chercheurs en linguistique, aux animateurs associatifs, aux producteurs culturels de tous genres (écriture, théâtre, cinéma,…), il est exigé de se mettre au diapason de la nouvelle situation, en fournissant des efforts supplémentaires en matière de recherche et de production.

Amar Naït Messaoud

Partager