Belles les retrouvailles !

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Une ambiance des grands jours et beaucoup d’émotion étaient perceptibles, avant-hier soir, à la Coupole d’Alger, où Idir a retrouvé son public après une absence de 39 ans.

Si dans un passé récent l’artiste avait chanté la France des couleurs, avant-hier soir, c’est une Algérie en couleurs qu’Idir a retrouvée à la Coupole. L’Algérie de la diversité et de l’amour dont il avait tant rêvé. Un public de tous âges, de tous horizons, est venu des quatre coins du pays pour savourer ce moment de plaisir tant attendu. Dès 18h, la salle a commencé à se remplir, pour être archicomble à 20h, ses 5 000 places toutes occupées. La scène était magique, des mosaïques en toutes couleurs, une trentaine de musiciens, des jeux de lumières, tout annonçait que la soirée allait être magique. Et elle le fut. La chorale d’Ath Yenni, village natal du chanteur compositeur, se met en place, assurant la première partie du show. Des jeunes filles de 7 à 18 ans, que le chanteur a voulu encourager en leur faisant l’honneur d’ouvrir son spectacle. La troupe a émerveillé l’assistance. Des voix sublimes, envoûtantes, interprétant des chansons du répertoire d’Idir mais pas seulement. De «Amedyaz», la chanson hommage de l’artiste à l’éternel Mammeri, ou encore «Heal the world» de Michael Jackson, à des chansons de Slimane Azem, l’interprétation des filles d’Ath Yenni a donné la chair de poule aux spectateurs. Puis, sur les deux écrans géants installés sur les côtés de la scène, l’image du chanteur apparut, et le compte à rebours a commencé sous les acclamations de la salle. Mais l’artiste se fit encore attendre. C’est le jeune garçon, Hadjab Hocine, d’Aïn El Hammam, qui monta sur scène pour déclamer un poème dédié au chanteur. Puis, enfin, celui-ci entra sur la scène. L’accueil fut strident. L’émotion se lisait sur le visage d’Idir. «Alors là vous ne pouvez pas imaginer ce que je ressens, en revenant ici chanter devant les miens, devant mon public. Merci de cet accueil, je suis vraiment très touché»n lance-t-il.

«Vous ne pouvez pas imaginer ce que je ressens…»

Le public continuant à l’acclamer, criant des «Imazighen !», «Imazighen !», Idir répondra : «Oui. Nous sommes ici pour la gloire de Tamazight». Puis il donnera le tempo pour le début du gala, avec la chanson «Yezha Wurar». Il enchaînera avec «Sefra». A un moment, l’émotion eut raison de lui. «Excusez-moi, c’est vraiment beaucoup d’émotion», dira-t-il ne pouvant retenir ses larmes. «C’est une chanson qui parle d’immigration. Elle parle de ceux qui sont partis d’ici pour tenter leur chance ailleurs, pour nourrir leurs familles, parce que la terre sur laquelle ils vivaient ne suffisait pas à nourrir les leurs. Ils arrivaient dans un pays dont ils ne connaissent ni la langue ni les mœurs. La moindre de leurs démarches, le moindre renseignement tenait de l’exploit. Imaginez-les là-bas, dans leurs chambres d’hôtels, le soir après le boulot, après une journée harassante à l’usine ou dans la mine, seuls avec leurs angoisses… Ils pensaient à leurs enfants qu’ils ne verront pas grandir, à leurs femmes dont l’attente allait durer toute une vie… Des Pénélope qui attendaient leur Ulysse, scrutant un horizon improbable avec l’espoir de le voir revenir…». C’est avec ces mots que le chanteur de la diversité introduira la chanson «Aghrib», à la mélodie mélancolique. Et le public écouta avec ferveur. L’osmose, la symbiose étaient là comme si l’artiste n’était jamais parti. «Chfigh», «A Vava Inouva», des chansons que ce public connaît si bien, les chantant presque entièrement à la place de l’artiste qui lança, avec un sourire : «Je vais prendre un café et je reviens». Contre la discrimination, le racisme, l’indifférence et l’ostracisme, Idir universaliste chantera «Ayarach Nagh», dédiée, dira-t-il, «à tous les enfants du monde». Ce fut ensuite au tour de Thaninna, sa fille qui l’accompagnait depuis le début de la soirée, de chanter, seule, sous le regard bienveillant et attendri de son père qui dira au public : «Elle a toujours eu envie de chanter dans sa langue maternelle, elle aime ça, elle aime l’histoire du pays, elle adore Chrifa». Puis, s’adressant à elle, il lui dira : «Voilà je t’ai facilité les choses, maintenant c’est à toi de chanter», avant d’ajouter en souriant : «Attention !». Thaninna relèvera haut la main le challenge de captiver le public de son pays d’origine. Elle impressionna de sa voix cristalline l’assistance qui l’a longuement applaudie. Connu pour être un fervent défenseur des droits de l’homme et ceux de la femme plus particulièrement, Idir confirma avant-hier, en plaidant pour la parité entre les deux sexes.

«Oui ! Nous sommes ici pour la gloire de Tamazight»

Il dédiera «Sendou» à toutes les femmes. «C’est d’actualité, à propos des harcèlements et des violences faites aux femmes. Cette chanson parle d’une maman qui bat du lait pour faire du beurre pour ses enfants. Cette femme, c’était ma mère. Elle se remémorait ses joies et ses peines, ses amours contrariées. Vivant dans un milieu qui n’était pas toujours facile, souvent hostile, un milieu où le mâle était, est toujours, dominant, elle ne pouvait parler qu’à elle-même. C’était la fin de la guerre, j’étais tout petit, mon père était en prison. Je ne comprenais pas tout. Un enfant de 5 ou 6 ans ne peut pas comprendre, mais il grandit en emmagasinant toutes ces choses dans la tête. L’enfant que j’étais s’est redu compte que sa mère en était venue à se confier aux instruments de travail, parce qu’elle n’avait pas d’autres interlocuteurs. Et s’il n’est toujours pas évident d’être une femme, aujourd’hui, dans n’importe qu’elle société, qu’elle soit moderne ou pas, ça l’était encore moins à une certaine époque». Idir ajoutera à l’adresse des hommes du public : «Cette chanson, j’ai voulu la chanter ce soir encore, en vous demandant de penser à vos mères, vos sœurs, vos femmes et toutes les autres». Les mots de l’artiste firent qu’on ne se sentit ni hommes ni femmes dans la salle, mais simplement des milliers de cœurs, côte-à côte, ressentant de la tendresse, de l’émotion. Des mots qui ont, l’espace de quelques heures, guéri les maux des femmes présentes dans la salle, qui réagirent en lançant des youyous qui firent vibrer les murs.

Un disque d’or pour l’artiste !

Idir détendra ensuite l’atmosphère, en racontant aux spectateurs des anecdotes des répétitions, comme ce moment où il a oublié les mots de la chanson «A Vava Inouva» et où son ami Tarik le rassurera en lui disant : «Ils vont t’aider». Il leur confiera, avec le sourire, espérer un rappel et des acclamations «à la Johnny Halliday». L’artiste n’a pas omis de lancer des «Imazighen !», disant que c’est là un signe de reconnaissance. Un Disque d’or lui a ensuite été décerné pour l’ensemble de sa carrière. Puis, le directeur de l’ONDA lui remettra un burnous, ce qui l’émut au plus haut point : «Cela me touche énormément, moi qui ne suis pas habitué aux cadeaux. Aâtikoum Saha. Je suis au comble du bonheur de chanter parmi vous. Mon pays est cher à mon cœur, même si je me bats parce que les choses ne se font pas. Sachez que j’étais et je serai toujours pour le combat identitaire», dira-t-il. «C’était magique», se sont accordés à dire les présents, en quittant la salle. La satisfaction se lisait sur les visages, au bout de trois heures de spectacle, où Idir a chanté quelque 17 chansons de son répertoire traditionnel et moderne. Certaines ont était arrangées pour l’occasion dans des musiques Gnawi, moderne, traditionnelle ou encore chaabi. Notons que plusieurs ministres, dont M. Mihoubi et M. Ould Ali, étaient présents à la Coupole. Il y avait, également, le wali de Tizi-Ouzou, M. Bouderbali, et le président du FCE, M. Ali Haddad, ainsi que plusieurs autres invités de marque.

Kamela Haddoum.

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