Accueil Évènement «L’école algérienne est otage d’intérêts»

BOUALEM AMOURA, secrétaire général du SATEF : «L’école algérienne est otage d’intérêts»

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Le SG du SATEF évoque, dans cet entretien, les raisons ayant mené l’intersyndical composé de cinq entités autonomes, à appeler à une grève de deux jours, les 20 et 21 février prochain, alors que le secteur de l’éducation est durement affecté par une longue grève du Cnapeste.

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La Dépêche de Kabylie : Vous venez de décider, avec quatre autres syndicats, d’une grève de deux jours pour les 20 et 21 février prochain. Pourquoi cette action et pourquoi avoir choisi ce moment précis ?

Boualem Amoura : Cette action vient pour répondre au silence qui n’a que trop duré de la part du ministère de l’Éducation qui refuse de prendre en charge, d’une façon efficiente, les dossiers du secteur. Notre rencontre de travail avec Mme la ministre a eu lieu le 28 décembre 2017, à la fin du premier trimestre au lieu du début de l’année ! Le ministère joue la carte de l’usure. Pour ce qui est du choix du timing pour appeler à une grève, nous estimons que nous avons donné assez de temps à la ministre afin de régler tous les dossiers en suspens, hélas en vain. Je vous cite le dossier de la refonte du système éducatif que le SATEF revendique depuis 1990, mais il n’y a aucune volonté des pouvoirs publics pour remédier, un tant soit peu, au marasme qui sévit dans notre système éducatif. Le dossier du statut particulier des travailleurs de l’éducation a été ouvert trois fois, mais la responsabilité de son échec incombe aux responsables du ministère qui gèrent beaucoup plus leurs carrières que le secteur. Nous ne devons pas avoir honte ni peur de dire que ces derniers favorisent la paix pédagogique au détriment d’une solution durable. C’est un statut fou, basé sur aucune norme scientifique et encore moins pédagogique. La circulaire ministérielle 618 du 18 novembre 2011 est une pure invention algérienne et doit être un cas d’école. Le SATEF a déposé plainte auprès du conseil de l’Etat pour la retirer mais c’était le pot de terre contre le pot de fer. Le statut des corps communs et des ouvriers professionnels, les laissés pour compte du secteur, qui touchent un salaire misérable de 18 000 dinars alors que l’inflation a rongé le pouvoir d’achat des Algériens. Le refus d’appliquer la circulaire présidentielle 266/14 qui valorise le diplôme universitaire, la réorganisation de l’examen du BAC, nous avons travaillé sur ce dossier durant toute l’année scolaire 2015/2016 et les conclusions sont jetées aux oubliettes.

Ne pensez-vous pas que le secteur de l’Éducation est suffisamment malmené par les arrêts de cours qui ne sont pas sans conséquences négatives sur la scolarité des enfants ?

Le secteur de l’Éducation est le secteur le plus important en Algérie, il emploie plus de 700 000 fonctionnaires, reçois plus de 8 000 000 d’élèves et contient plus de 48 corps différents pour vous dire la complexité du secteur. Il sera toujours malmené tant que l’Etat algérien ne comprendra pas que c’est un secteur stratégique et qu’il faut lui octroyer toute la considération qui est la sienne. Il y aura toujours des arrêts de cours dans le secteur de l’éducation et les élèves seront toujours les dommages collatéraux de ces arrêts de cours mais tant qu’un dialogue sincère et responsable n’est pas installé, le secteur sera toujours mouvementé. Les conséquences négatives ce ne sont pas que les arrêts de cours mais nous devons parler des programmes enseignés à nos enfants. Le cours de la logique a été supprimé avec préméditation des annales du cursus scolaire de nos enfants, des cours d’endoctrinement sont dispensés avec la bénédiction de nos gouvernants. Le niveau et le classement de l’école algérienne ne cessent de dégringoler. Vous n’avez qu’à consulter le rapport annuel de PISA.

À comprendre donc que succession de grèves des syndicats dénote d’un sérieux malaise dans le secteur, à moins qu’il ne vise le départ de la ministre sans le dire expressément ?

Au risque de me répéter, le malaise du secteur de l’Éducation ne date pas d’aujourd’hui. Certains l’imputent à l’arrivée de la ministre actuelle. Non ! Elle ne doit pas porter toute la responsabilité, il date des années 80. A-t-on oublié les conséquences néfastes de l’école fondamentale sur les Algériens et ce qui s’en est suivi d’extrémistes de la décennie noire ? L’école algérienne a formé des terroristes, des schizophrènes, des fous et l’Etat porte une part de responsabilité car il a laissé faire sans lever le petit doigt et cela à des buts inavoués. Il a opposé une frange de la société contre une autre pour se maintenir au pouvoir. Elle a aussi formé de bons cadres qui sont malheureusement ailleurs, car on ne veut pas d’eux. Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec les médecins résidents, la répression qu’ils subissent alors qu’ils sont accueillis à bras ouvert et avec tous les honneurs à l’étranger. Mme Boudalia Griffou a tiré la sonnette d’alarme en 1990 dans son livre «L’école algérienne de Pavlov à Ibn Badis» mais à l’époque, elle a été attaquée de toute part la traitant de tous les noms. Si elle avait été écoutée, nous ne serions pas là. D’ailleurs, qui parle d’elle aujourd’hui ? En ce qui concerne le syndicat SATEF, nous n’avons jamais demandé le départ de la ministre, c’est une républicaine, elle a hérité d’un secteur en état de délabrement total et il lui est difficile de le redresser tout de suite. Son problème c’est le choix de certains de ses conseillers qui lui mettent les bâtons dans les roues et profitent de son ombre pour garder leurs postes au ministère de l’Éducation. Elle doit faire le ménage dans son entourage car le chantier est très grand et elle doit ménager sa monture. Nous savons qu’elle est attaquée de toute part, qu’elle dérange certains partis et certaines parties mais, au SATEF, nous lui accordons les circonstances atténuantes jusqu’à preuve du contraire. Nous disons cela en disant que nous n’avons jamais rien bénéficié de son département même pas un siège national et encore moins d’équipement ou de subventions. Nous avons acheté nos équipements avec notre propre argent et cotisations de nos adhérents.

Ne faut-il pas songer à aller vers les états généraux de l’Éducation nationale pour en finir avec les mécontentements et tracer une voie pérenne à la stabilité du secteur ?

Nous devons plutôt aller vers les travaux titanesques dans le secteur de l’éducation pour arriver à la stabilité du secteur, pas seulement vers des états généraux ! Le secteur de l’Éducation est un secteur très sensible dans notre pays et j’ai peur qu’il n’avancera jamais d’un iota. Ce qui semble évident, simple pour certains, est très compliqué, tendancieux pour d’autres. La société algérienne est composée de plusieurs entités sociologiques, linguistiques, culturelles et cultuelles. C’est un magma cosmopolite prêt à exploser à tout instant et ce qui fait une particularité algérienne. La décennie noire a laissé des traces dans la mémoire des Algériennes et des Algériens. Certains ont importé des traditions strictement étrangères à nos valeurs ancestrales et même à la religion de nos ancêtres. Il y a eu une pseudo-évaluation du système scolaire en juillet 2016 au club des pins. On avait parlé de la langue maternelle dans l’école algérienne et vous avez vu ce qui s’en est suivi… La fin du monde ! L’État a fait marche arrière. Pour trouver une voie pérenne à la stabilité du secteur, il faut de prime abord garantir de bonnes conditions de travail et un salaire décent pour aspirer à la prospérité. Nous ne pouvons pas admettre que certains dépensent sans compter et d’autres comptent à chaque fois leurs sous pour dépenser. Aujourd’hui encore, au moment où nous écrivons au mois de février les cantines scolaires ne sont pas encore ouvertes et des classes ne sont pas chauffées, le budget de fonctionnement des établissements scolaires est réduit de 60%. Des enseignants stagiaires ne sont pas encore payés et certains sont loin de chez eux sans avoir quoi dépenser. L’avant-projet du code du travail est une agression contre les travailleurs, ainsi que la suppression de la loi sur la retraite sans condition d’âge. L’Etat fait tout pour que ce secteur ne soit pas stable. Cet entêtement risque de mener vers des lendemains incertains et ces gouvernants porteront l’entière responsabilité. L’entrave au libre exercice syndical est actionnée systématiquement et quotidiennement, faisant-fi des conventions internationales signées par ceux-là même qui les piétinent aujourd’hui. L’Etat instrumentalise d’une façon systématique la justice pour menacer les syndicalistes et les pousser à se taire, mais c’est sans compter sur notre détermination que rien ne nous fera taire pour porter haut la voix de la justice et de la vérité. Que veut-on faire de ce pays et où veut-on le mener ? Seul le dialogue peut mener notre secteur vers une voie pérenne de stabilité, mais les intérêts de certains parasites qui se sucent sur le dos de l’Algérie sont plus forts que toute autre considération. L’Algérie possède des hommes et des femmes intègres, probes, honnêtes qui peuvent la faire sortir du marasme dans lequel elle se débat, mais les forces du mal sont plus fortes que la raison et dans certains cas ces génies du mal sont chouchoutés par les pouvoirs publics.

Entretien réalisé par Mohand-Arezki Temmar

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