Accueil Évènement “La Constitution reconnaît la liberté de conscience”

“La Constitution reconnaît la liberté de conscience”

2566
- PUBLICITÉ -

La Dépêche de Kabylie : Quel est votre sentiment de vous retrouver aujourd’hui à Tizi Ouzou, une région aux multiples spécificités culturelles, comme vous l’avez si bien dit tout à l’heure ?

- PUBLICITÉ -

Mgr Henri Teissier : Je suis très content de me retrouver à Tizi Ouzou, à l’occasion de l’inauguration du centre de documentation et de rencontre, que nous avons appelé le Figuier et dans lequel je trouve un auditoire nombreux. Alors que l’initiative de ce centre revient aux Pères et aux Sœurs de la région. C’est la preuve qu’ici à Tizi Ouzou, il est possible de se rencontrer dans la différence, puisque les Pères et les Sœurs sont des membres de la communauté chrétienne et le public qui est là appartient dans son immense majorité à la Kabylie où c’est la tradition musulmane qui est la plus répandue.C’est bien le signe que nous pouvons faire des choses ensemble.Ce matin, il y avait plusieurs représentants des pouvoirs publics qui étaient présents, un représentant de la Direction de la culture et de l’éducation, de la Direction des affaires religieuses, le recteur de l’université qui s’intéresse particulièrement à la culture berbère. Je suis très heureux et je suis également interessé par la succession des communications, celle qui a été faite par Chavannes sur Camus et l’Algérie, celle donnée par la sœur Lucienne Brousse sur la méthode Tizi Wwucen qui est une méthode d’enseignement du kabyle pour les non-berbérophones, et celle de Chantal Lorette qui était présente au colloque sur Boulifa, un chercheur de la culture berbère du siècle précédent. Je crois que ce qui se passe en ce moment dans cette salle, illustre la possibilité de travailler entre chrétiens et musulmans, entre Kabyles et personnes venues d’ailleurs, pour des échanges culturels. Pour fabriquer aussi des outils culturels. J’ai moi-même cherché à proposer au début de la réunion une réflexion sur : culture, foi et dialogue.

Dans votre communication, vous avez développé la possibilité de la cohabitation entre les différentes religions. Dans notre région, ces dernières années, plusieurs jeunes se sont reconvertis au protestantisme chrétien. Ceci n’a pas été sans provoquer quelques cas isolés de réactions épidermiques de certains observateurs, qui voient en ceci une menace sur la religion musulmane. Pourtant, comme vous pouvez bien le constater dans la wilaya de Tizi Ouzou, il n’y a jamais eu d’hostilités entre la population à majorité de tradition musulmane et les personnes nouvellement baptisées au christianisme. Quel est votre opinion sur la question ?La Constitution algérienne reconnaît la liberté de conscience. Par conséquent, chacun est responsable devant sa conscience des choix qu’il fait, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de choix aussi considérable que la fidélité à l’enseignement religieux. J’espère que l’on pourra continuer à vivre dans la relation entre traditions religieuses dans le respect de la tradition de l’autre. Je ne pense pas que Dieu puisse nous appeler à lui sur un chemin en nous invitant à mépriser les autres. Vous êtes tous les créatures de Dieu. J’espère qu’il sera possible que chacun, quelle que soit sa tradition religieuse, regarde celle des autres avec respect, car la foi est un don de Dieu, comme j’ai essayé de le dire et que ce don de Dieu est sacré. Par conséquent, il faut le traiter comme quelque chose de sacré.

Il y a eu une rupture de plus de dix ans entre les Pères Blancs et la population à cause des années de terrorisme. Nous remarquons que cette rupture n’a été que physique dès lors que l’affluence aujourd’hui est tout simplement impressionnante. Des chercheurs et des hommes de culture sont présents à cette activité. Pourquoi cet attachement spirituel est-il demeuré infaillible ?Je suis effectivement très heureux de constater qu’après la crise, qui nous avait coûté la vie de plusieurs Pères dans cette même maison, il est possible de retrouver immédiatement le public lorsqu’on propose une initiative. C’est le signe que les liens qui s’étaient développés entre principalement les Pères et les Sœurs ayant travaillé dans cette région dans le passé et la population sont demeurées intactes. C’est aussi l’indice que ces Pères et ces Sœurs du siècle dernier avaient été respectueux de la population. Jamais ils n’auraient pu travailler dans la région si leurs interlocuteurs n’avaient pas senti qu’ils étaient respectés. Jamais ils n’auraient pu rassembler le matériau culturel qu’ils ont publié s’il n’avaient pas eu ces interlocuteurs qui connaissaient leur propre culture ; qui pouvaient faire les interprètes et je suis ravi de voir que ce capital de confiance a survécu à ces années d’épreuves.

Parlez-nous de ce fonds documentaire très précieux réalisé par les Pères Blancs et inhérent à la Kabylie, sa langue, sa culture et ses coutumes. Un fonds que les chercheurs peuvent désormais consulter au niveau de la bibliothèque…Pratiquement, il y a presque un siècle de recherches réalisées par les Pères et les Sœurs. Cette recherche, ils n’auraient jamais pu la faire s’ils n’avaient pas été en relation profonde avec la population. Car eux, ils venaient d’ailleurs. C’est à travers leurs voisins, leurs amis qu’ils ont pu découvrir ce patrimoine culturel, aider ces interlocuteurs à exprimer ce patrimoine et finalement, ils ont eu la possibilité de l’exprimer par écrit. Il a survécu à la crise. Maintenant, il est disponible. Parmi les personnes qui ont rassemblé ce patrimoine, il y a le père Jacques Lanfry qui avait vécu soixante ans dans diverses régions berbérophones, décédé il y a deux ans. Il a légué sa bibliothèque, qui était à ce moment-là à Paris, aux Pères et Sœurs qui ont pu la rapatrier ici. Tout ce matériel sera mis à la disposition des chercheurs et des étudiants dès qu’on aura fini de l’informatiser. Il sera accessible à tous ceux qui voudront le consulter.

Avez-vous un message particulier pour la population de Kabylie ?Ce signe de vitalité exprimé par l’auditoire magnifique rassemblé aujourd’hui, j’espère qu’il peut aussi être découvert et reconnu dans chacun des villages de la région. Car, de même qu’Alger ce n’est pas toute l’Algérie, Tizi Ouzou ce n’est pas toute la Kabylie. Il faut que cette même vitalité s’étende aux autres régions grâce à la multiplication des associations dans chacun de ces villages.

Interview réalisée parAomar Mohellebi

- PUBLICITÉ -