Le dernier espoir !

Partager

Ali Ziri, un retraité de 69 ans, originaire d’Ath Rached (Bouira) est décédé le 11 juin 2009, à la suite d’une interpellation musclée de la police française à Argenteuil.

Neuf ans après son décès suspect et deux ans après la fermeture définitive de l’affaire par la cour de cassation de Paris et le non-lieu prononcé par la cour d’appel de Rennes, l’affaire du retraité Algérien fait toujours couler beaucoup d’encre. En effet, des associations et des organisations pour la défense des droits de l’homme, le collectif Ali Ziri ainsi que sa famille, militent toujours pour faire la lumière sur cette mort suspecte. Ces derniers qui ont déjà introduit un recours auprès de la cour européenne des droits de l’homme, après l’épuisement de l’ensemble des voies juridiques en France, affirment que cette affaire a été marquée par «des violations flagrantes du droit international portant notamment sur l’usage disproportionné de la force et le manque d’indépendance de l’enquête». Le 9 juin dernier, à Argenteuil en Île-de-France, des dizaines de personnes se sont rassemblées à l’appel du collectif «Vérité et Justice pour Ali Ziri» pour commémorer le neuvième anniversaire du décès du retraité de 69 ans. Une occasion pour les associations et les ONG pour la défense des droits de l’homme, de retirer leur revendication pour la réouverture du dossier et de l’enquête par la justice française. Pour la famille d’Ali Ziri, un usage abusif de la violence lors d’une interpellation de la police, est la principale cause du décès.

Neuf ans après les faits, retour sur l’affaire Ali Ziri

Originaire de la commune d’Ath-Rached dans la wilaya de Bouira, Ali Ziri était un retraité d’une usine Française, où il a exercé en tant qu’ouvrier pendant plus de 30 ans. Après sa retraite, M. Ziri qui avait 69 ans à l’époque des faits, et après s’être définitivement rentré avec sa petite famille dans son village natal en Kabylie, retournait très souvent en France, notamment pour y revoir ses amis. Et c’est durant le mois de Juin 2009, que le retraité kabyle effectuera son dernier séjour en France, puisqu’il décédera le 9 Juin 2009 à l’hôpital d’Argenteuil, à la suite d’un arrêt cardiaque. Selon les témoignages des membres de sa famille, Ali Ziri s’est rendu une dernière fois en France, afin d’effectuer des achats, car il préparait le mariage en Algérie de l’un de ses fils. Deux jours après son arrivée en France, le 9 juin 2009 plus exactement, Ali Ziri passe l’après-midi en compagnie de son ami, Arezki Kerfali, âgé de 60 ans. Après avoir bu, les deux hommes prennent la route dans une voiture qu’Arezki Kerfali conduisait. Les deux retraités sont par la suite interpellés par la police à l’occasion d’un contrôle routier. Menottés, les deux sexagénaires sont placés à bord d’un véhicule de police afin d’être conduits au commissariat. Durant le trajet, Arezki Kerfali et Ali Ziri se seraient montrés très agités, ce qui aurait obligé les agents de police à les immobiliser en les pliants de force, de façon à les placer tête sur les genoux et thorax compressé contre les cuisses (technique du pliage). Ali Ziri et Arezki Kerfali ont été maintenu dans cette position pendant quelques minutes, jusqu’à leur arrivée au commissariat. Une fois sur place, ils sont extraits du véhicule par plusieurs agents de police, puis placés allongés et menottés à l’intérieur du commissariat, vomissant tous deux à plusieurs reprises. Deux heures plus tard, un médecin constate que M. Ziri est en arrêt cardiaque. Il a tout de suite été transféré à l’hôpital d’Argenteuil et placé en urgence dans le coma, il décèdera le 11 juin 2009, soit deux jours après son interpellation et son admission à l’hôpital. Une enquête judiciaire est ouverte. A cette époque, une première autopsie avait conclu que des problèmes cardiaques et l’alcoolémie étaient les causes du décès. Mais une contre-expertise avait révélé la présence d’une vingtaine d’hématomes, dont certains larges de 17 centimètres. L’institut médico-légal concluait qu’Ali Ziri était «décédé d’un arrêt cardio-circulatoire […] par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». En cause, l’usage de la technique interdite du «pliage» pour «maîtriser» le retraité. Mais la Cour de cassation a estimé que «les manœuvres de contention pratiquée sur Ali Ziri avaient été rendues nécessaires par l’agitation et la rébellion des personnes interpellées», selon l’arrêt cité par le journal en ligne français Mediapart. Pour les proches d’Ali Ziri, la technique du pliage pratiquée sur le sexagénaire pendant le trajet entre le lieu d’interpellation et le commissariat est à l’origine du décès. Les avis des médecins divergent sur ce point. En février 2016, et après plusieurs non-lieux, la justice française a définitivement clos le dossier, jugeant que les agents de police n’avaient fait qu’un usage nécessaire et proportionné de la force et que les expertises médicales se contredisent. Pour la justice française, il n’est pas possible de connaître de manière certaine la cause de la mort d’Ali Ziri. L’affaire est désormais portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.

«Affaire Ziri : Autopsie d’une enquête judiciaire», le rapport accablant de l’ACAT

La conclusion de la justice française a été largement contestée en France et en Algérie, notamment par les proches et les membres de la famille de la victime. Amnesty International parle ouvertement de «violences policières» et alerte l’opinion mondiale sur la multiplication des actes similaires en France : «La mort d’Ali Ziri a été une criante injustice et nous voulons saluer le travail fait par le collectif avec le soutien de ses avocats pour que les responsables de cette mort aient à rendre des comptes. Malheureusement, les policiers qui ne respectent pas la déontologie de leur profession sont rarement inquiétés par les tribunaux. Les policiers responsables de la mort d’Ali Ziri n’ont reçu qu’un blâme en interne, la plus faible sanction possible, et sont restés en poste au commissariat d’Argenteuil plusieurs années après le drame, un véritable outrage pour tous ceux qui ont profondément souffert de cette mort, en premier lieu sa famille. Amnesty International a publié plusieurs rapports dans lesquels ont été mis en exergue plusieurs cas de violences policières, dont celui d’Ali Ziri. Le titre du dernier rapport publié en 2011 «Notre vie est en suspens» a voulu souligner à quel point il est difficile pour les familles de faire le deuil tant que justice ne leur a pas été rendue», a déclaré Amapola Limballe, secrétaire du groupe 144, d’Amnesty International, à l’occasion de la 9ème commémoration de la mort d’Ali Ziri, le 9 juin 2018. En plus des rapports d’Amnesty International sur cette affaire, l’ACAT (L’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), une ONG de lutte contre la torture et la peine de mort, a mené une enquête indépendante sur cette affaire, et vient de publier un rapport accablant sur ce dossier. Lancée en 2016, l’enquête de près de 50 pages, publiée par l’ACAT, parle ouvertement d’usage disproportionné de la force et le manque d’indépendance de l’enquête. Toujours selon le rapport de l’ACAT, dont nous détenons une copie, cette affaire a été marquée par des «violations flagrantes du droit international» Reprenant le déroulement des faits minute par minute, l’ACAT a tenté de reconstituer les faits durant la soirée du 9 juin 2009, depuis l’interpellation des deux hommes à 20h35, jusqu’à l’arrêt cardiaque de M. Ziri, deux heures plus tard. Examinant scrupuleusement le déroulé de l’enquête judiciaire, l’ACAT s’est ensuite intéressée aux conditions dans lesquelles celle-ci a été réalisée. «L’examen des pièces du dossier judiciaire révèle une violation flagrante du droit international. Notre rapport questionne non seulement le caractère proportionné de l’usage de la force, mais également le caractère indépendant de l’enquête. Nous avons découvert que dans ce dossier, une partie conséquente des investigations a été réalisée par le commissariat dans lequel exercent les policiers mis en cause», déclare Aline Daillère, responsable police-justice à l’ACAT et auteure du rapport. La même ONG, a mis en cause dans son rapport, la technique du pliage, utilisée par les policiers pour «maitriser» Ali Ziri : « La pratique d’un pliage, dont on connait les risques d’asphyxie positionnelle qu’elle peut entraîner, dans le but de faire cesser des insultes et crachats parait incontestablement abusive et disproportionnée. Plusieurs personnes sont décédées en France après l’avoir subie. Interdite dans plusieurs pays pour cette raison, elle est pourtant toujours pratiquée en France», assure encore l’ONG. L’enquête de l’ACAT soulève également de nombreuses questions auxquelles ni la justice et encore les enquêteurs de la police françaises, n’ont toujours pas apporté des réponses. L’ONG s’est ainsi interrogée sur l’état de santé d’Ali Ziri juste après la pratique du pliage dans le véhicule de police. Sur l’heure précise de sa perte de conscience. Sur le déroulement du séjour de messieurs Ziri et Kerfali au commissariat. Sur le retard qu’a accusé le transfert d’Ali Ziri vers le hôpital, puisque selon l’ACTA il aurait fallu plus d’une heure et 10 minutes pour son transfert : «Comment monsieur Ziri s’est-il rendu à son véhicule qui l’a conduit à l’hôpital ? A-t-il pu marcher ? A-t-il été porté ? Comment a-t-il été placé dans le véhicule qui l’a conduit à l’hôpital : était-il assis ou allongé ? Toutes ces questions restent sans réponses, malgré une enquête judiciaire qui a duré plusieurs années. Malgré de nombreux policiers témoins, et malgré l’existence de vidéos surveillance», s’interroge encore Aline Daillère.

Cour Européenne des Droits de l’Homme: un dernier espoir pour sa famille

Au mois de juillet 2016, la famille du défunt ayant saisi la cour européenne de justice. M. Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille, considère que «l’Etat français n’a pas instruit correctement le dossier. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a transmis la requête à l’Etat français qui vient de répondre ne pas être favorable à un règlement à l’amiable de cette affaire. Je dois désormais transmettre mes observations. On devrait être convoqué pour une audience», explique l’avocat. Selon lui, plusieurs «zones d’ombre» planent sur l’enquête faite par la police française : «J’avais demandé que les juges entendent eux-mêmes les policiers, qu’une reconstitution en présence des experts et des policiers ait lieu et que la bande-vidéo de l’arrivée au commissariat soit visionnée. Rien n’a été fait. La France a déjà été condamnée pour mauvaise instruction dans une affaire similaire». Stéphane Maugendre espère ainsi que la cour s’appuiera sur l’avis de la deuxième expertise, qui met en cause la technique de pliage exercée par les policiers. «Après avoir épuisé tous les recours en France, nos espoirs se tournent actuellement vers la cour européenne des droits de l’homme. Le rassemblement du 9 juin dernier, a réuni une centaine de personnes à Argenteuil pour un hommage sur le lieu de l’interpellation», explique Arezki Semache, un proche d’Ali Ziri.

Oussama Khitouche

Partager