Deux dates aux multiples dimensions

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Le 20 Août constitue un repère décisif dans l’histoire contemporaine de l’Algérie, rappelant à la fois l’offensive de Zighout Youcef, en 1955, dans le nord constantinois, et la tenue du Congrès de la Soummam à Ifri Ouzellaguen, un an après.

Le récit suivant traite de quelques éléments historiques à retenir de ces moments clefs. Bien que suscités par des motifs différents, les 20 Août 1955 et 20 Août 1956 sont des dates cruciales et décisives dans le processus de la Révolution et l’acheminement du peuple algérien vers l’indépendance. Ce sont deux dates qui ont influeront considérablement sur les combats qui se dérouleront après 1956 entre les deux pays en guerre : l’Algérie en quête de souveraineté et la France coloniale.

Le carnage absolu ou «l’opération suicide» pour la liberté

S’agissant du 20 Août 1955, trois causes peuvent être citées à l’origine de l’événement. Dans un premier temps, pour le chahid Zighout Youcef (1921-1956), chargé du commandement de la région du nord constantinois, après la tombée en martyr de Didouche Mourad le 18 janvier 1955, il s’agissait de faire basculer la situation et sortir l’Armée de libération nationale (ALN) de l’isolement ou presque de l’asphyxie dans lesquels elle se trouvait, en lançant, avec l’aide de la population, des attaques sur les centres de colonisation et les forces armées françaises. Dans un deuxième temps, il visait à soulager la zone des Aures-Nemamcha qui subissait une offensive écrasante des forces armées de l’ex-puissance coloniale. Dans un troisième temps, il était question de marquer la solidarité du peuple algérien en lutte pour son indépendance avec le peuple marocain qui faisait face aussi à la répression française contre les nationalistes qui avaient déclenché la lutte armée à la suite de la déportation du roi Mohamed V. «Zighout reste seul près d’un mois. Il s’est réfugié à Zamane en plein massif de Collo, la région la plus sauvage de la côte algérienne. Il faut un mois à Zighout, le pieux, l’illuminé, le baroudeur, l’homme qui voulait faire une guerre «propre» pour prendre la décision d’une action qui restera gravée dans la mémoire de ceux qui ont fait la guerre d’Algérie -d’un côté ou de l’autre- comme une des plus terribles, des plus horribles : le massacre aveugle», raconte l’historien français Yves Courrière à la page 180 de l’ouvrage qu’il consacre à la lutte pour l’indépendance et au passé récent de notre pays et qu’il a intitulé : «La guerre d’Algérie. Le temps des léopards» (1969). Après méditation et moult réflexion, Zigout Youcef convoque ses deux lieutenants, Lakhdar Bentoubal, dit Si Abdellah (1923-2010), et Benmostefa Amar Benaouda (1925-2018), dans cette presqu’île de Collo, où auront lieu par la suite les terribles combats, et leur fait part de ces propos qu’Yves Courrière insère dans son ouvrage: «Voilà c’est vraiment maintenant une question de vie ou de mort. Le 1er novembre, nous avions la responsabilité de libérer le pays. Nous étions des exécutants. Aujourd’hui, nous sommes coupés de tout. Didouche est mort. La situation est catastrophique. L’ennemi nous poursuit jour et nuit. Avant, à la tombée du jour, nous étions en sécurité. Aujourd’hui, il y a des embuscades de nuit. Nous sommes incapables de monter des opérations militaires mais si rien ne change nous ne pourrons même plus survivre. De novembre à mai, nous n’avons eu ni désertion ni reddition. En juin, deux désertions m’ont été signalées. Le moral des djounoud est bas. C’est le commencement de la fin. Que dire du peuple ! Il est lui aussi démoralisé. Il y a des indicateurs partout. Chaque mechta où nous passons est signalée et la répression s’abat sur elle. Le moral s’effondre. Dans les autres régions, il n’y a aucune action. Il faut déclencher quelque chose. Le choix est simple : ou on fait une opération telle, que ce sera le coup de fouet qui obligera toutes les régions à passer à l’action, ou ce sera la preuve que la Révolution est incapable d’acheminer le peuple à l’Indépendance. Alors, on combattra une dernière fois pour l’honneur. Ce sera une opération suicide» (p.181). Les deux officiers de l’ALN approuvèrent la proposition de leur chef, fédérèrent les forces et passèrent à l’action armée. Mais «à la fin des attaques contrôlées par les hommes de Zighout, on compte 1 273 morts musulmans et plus de 1 000 prisonniers. […] A Phillipeville, il y aura plus de 2 000 morts algériens dans les quinze jours qui suivent le 20 août [1955]», relate un peu plus loin l’historien français, en page 187, dans le même livre d’histoire qui demeure une référence non négligeable aux lecteurs qui s’intéressent à cette période difficile mais en tous cas glorieuse de notre passé pas si lointain. Les statistiques avancées par Yves Courrière font, par ailleurs, état de 71 victimes européennes.

Le Congrès de la Soummam, un rendez-vous fédérateur

Pour ce qui est du 20 Août 1956, c’était la concrétisation de ce qui a été envisagé au lendemain du déclenchement de l’insurrection armée deux ans auparavant, soit le 1er Novembre 1954. En effet, «il était convenu, pour les dirigeants de l’intérieur, de se retrouver un mois après l’enclenchement de la Guerre de Libération nationale pour mettre au point une stratégie de lutte pour une étape de la Révolution. Ce délai n’a pu être respecté, vu les contraintes inhérentes à la faiblesse des moyens de différents ordres et à la réaction massive de l’armée coloniale. En 1956, la Révolution a connu un déferlement massif, irrésistible d’abord par une adhésion populaire très forte, par l’émergence d’un grand militant, d’un homme exceptionnel, hors du commun, qui est Abane Ramdane. Militant et cadre actif du PPA-MTLD, arrêté en 1950, emprisonné pendant cinq ans, sorti de prison le 18 janvier 1955, (coïncidence d’histoire le jour même où Didouche Mourad est tombé au champ d’honneur à Oued Boukerker, au constantinois dont il assura le commandement). Abane Ramdane, assigné à résidence surveillée dans son village natal, à Azouza (Larbâa Nath Irathen), a été contacté quelques moments après sur ordre de Krim Belkacem qui l’a ramené à Alger pour lui confier la responsabilité de l’organisation de l’information et de l’action politique de la Révolution», précisera Lounis Mehalla, moudjahid, cadre supérieur à la retraite et ancien maire de la commune de Timizart (Tizi-Ouzou), qui nous livre autant d’éléments historiques à retenir autour de l’organisation de la Révolution notamment après la tenue du Congrès de la Soummam à Ifri Ouzellaguen en 1956. Un gigantesque travail a été effectivement accompli en matière de recrutement de l’élite et de tous les représentants des tendances politiques, sociales et intellectuelles pour les faire adhérer à la Révolution. En quelque sorte, un rassemblement national que fut le FLN. Des organisations aussi ont été mises en place à son initiative. Ce travail fait, il avait entrepris des contacts avec les responsables des autres zones d’Algérie, particulièrement avec Zighout Youcef, qui, lui aussi, avait insisté pour une rencontre des responsables de l’intérieur. Et ce fut ainsi qu’un travail a été préparé pour l’essentiel à Alger par des commissions à la tête desquelles il avait désigné des militants chevronnés et compétents pour préparer les documents à soumettre au Congrès. Inutile d’insister sur les détails et les péripéties de la réunion qui a pu se tenir à Ifri et qui a réuni les principaux dirigeants de l’intérieur, à savoir les responsables des cinq régions (ou futurs wilayas) sur six. A noter que les dirigeants des Aures-Nemamcha étaient absents à la suite des événements dramatiques ayant marqué cette région après et même avant la mort de Mustapha Ben Boulaid, le 23 mars 1956. Mort qui a été tenue secrète jusqu’à la tenue du Congrès de la Soummam, qui a été un événement considérable et décisif pour la continuité de la Révolution, puisqu’il a permet, pour l’essentiel, le maintien d’un état d’esprit constructif nonobstant les multiples divergences entre les dirigeants de la Révolution. «D’abord, il a permis de mettre en place les structures de la Révolution, à savoir l’organisation de l’ALN, ses grades, son commandement, ses objectifs, les conditions de la lutte armée, la définition de l’idéologie du FLN (Front de libération nationale), les instances qui doivent encadrer la Révolution, du moins pour une étape, et la création d’un exécutif qui est le Comité de coordination et d’exécution (CCE), composé de cinq membres, le CNRA (Conseil national révolutionnaire algérien) constitué de 34, et qui est en quelque sorte le parlement de la Révolution. Certains principes tels que la primauté du politique sur le militaire et la primauté de l’intérieur sur l’extérieur n’ont pu être respectés, du fait des contingences et des événements contraignants survenus dans le cours de la guerre de Libération», explique encore M. Mehalla, avant de rappeler qu’il est indéniable que la plate-forme de la Soummam a contribué de manière déterminante à la sauvegarde et au triomphe de la Révolution, même si l’assassinat, à Titouane, au Maroc, le 27 décembre 1957, d’Abane Ramdane, a été une véritable tragédie. Par ailleurs, la réaction ou l’attitude de la délégation extérieure du Front de libération nationale vis-à-vis du Congrès de la Soummam a été largement négative. «Nous savons qu’à l’exception de Hocine Aït Ahmed, les quatre autres dirigeants de l’extérieur ont été contre la plate-forme de la Soummam. Néanmoins, seuls deux dirigeants, un parmi les détenus et un autre libre, à savoir Ahmed Ben Bella (1916-2012) et Ahmed Mahsas (1923-2013), se sont manifestés de manière bruyante. Ce qui a failli coûter la vie à Ahmed Mehsas, mais qui a été finalement sanctionné et tenu à l’écart des instances dirigeantes de la Révolution. Des dirigeants des Aures-Nemamchas se sont aussi opposés aux décisions du Congrès de la Soummam. Ce qui a coûté la vie à certains d’entre eux qui étaient pourtant de valeureux moudjahidine de la première heure», regrette Lounis Mehalla. Dans le même ordre d’idées, le 20 Août 1956 aurait été considéré comme la réalisation des promesses faites le 1er Novembre 1954. Or, Krim Belkacem (1922-1970), pour sa part, considère plutôt le 19 septembre 1958, date de la proclamation du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), comme l’aboutissement des promesses faites au début de la lutte armée… Lounis Mehalla est du même avis que Krim Belkacem : pour lui, «il est incontestable que l’affirmation du défunt Krim Belkacem est la bonne. En effet, la proclamation du GPRA le 19 septembre 1958 a été la concrétisation véritable des promesses du 1er Novembre 1954 qui avait pour objectif la restauration de la République algérienne démocratique et sociale dans le cadre des principes islamiques. La création du GPRA a été, en effet, le premier acte fondateur d’une souveraineté nationale préfigurant la restauration de l’Etat algérien détruit le 5 juillet 1830». D’autre part, d’aucuns estiment que si le colonel de la wilaya III historique, Amirouche Aït Hamouda, avec 3 000 de ses hommes, n’avait pas sécurisé la région, le Congrès de la Soummam n’aurait pu avoir lieu. Mais Amirouche ne sera désigné ni membre du CNRA ni même membre suppléant de ladite instance de la Révolution… D’après M. Mehalla, «il est vrai que le chahid colonel Amirouche a été chargé par Krim Belkacem de la sécurité du Congrès qui s’est tenu dans la zone de commandement d’Amirouche. Mais, celui-ci, à cette époque-là était capitaine (bien que les grades n’aient été définis officiellement qu’au cours du Congrès de la Soummam). Amirouche était chef de zone, et le chef de zone avait le grade de capitaine. Or, les membres titulaires ou suppléants qui ont été désignés au CNRA étaient cotés en tant que responsables politiques dans le FLN suivant leur représentation dans ses structures ou les organisations de masses sous l’égide du FLN. Quant aux officiers de l’ALN, ils ne sont désignés qu’à partir du grade de colonel. Ce n’est que bien plus tard que les officiers supérieurs de l’ALN, à partir du grade de commandant, ont été désignés au CNRA. Et ce fut le cas d’Amirouche qui a été membre du CNRA automatiquement, quand il avait accédé au grade de commandant».

Djemaa Timzouert

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