Démocratie

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Par Mohamed Bessa

Depuis Constantine, le président Bouteflika reconnait donc lui-même l’impéritie du système démocratique national. En admettant, du haut de la position de pouvoir qui est la sienne, que le système actuel est loin d’être un standard de démocratie, c’est une inestimable ressource politique qu’il fait tomber entre les mains des forces du changement. A trois ans de distance d’une fameuse rencontre tunisoise des 5+5, Bouteflika démontre qu’il n’était pas plus dupe que ne le commandaient les convenances du moment du baratin de ce Jacques Chirac claironnant que  » le pain est le premier des droits de l’homme  » ou quelque chose du même goût. Si du même aveu, il se défend d’être un nostalgique de ces années 90, rêvons que la précision vise à excepter ce fourvoiement « esthétique » qui avait mené à considérer que l’islamisme constitue une expression politique comme une autre à laquelle il ne convenait d’opposer aucune exclusive. Quoique bien frappée, on ne sait, par contre pas, comment prendre sa formule selon laquelle « il y a trop de militants, pas assez de citoyens ». D’autant que si le mot « militant » a, dans le champ lexical national, une acception plutôt positive, la tournure présidentielle est connotée négativement. Il n’y a pourtant pas dans le système actuel assez de militants, tout juste trop de clientèles n’ayant d’yeux que pour les manchons de la direction des vents. Bouteflika le sait d’autant qu’il n’a même pas jugé utile de s’en prendre de quelque façon que ce soit aux « militants » du FLN qui avaient soutenu son principal adversaire à l’élection présidentielle de 2004.Les « loyalistes » attendent en vain qu’il leur renvoie l’ascenseur en organisant,par exemple, des élections anticipées pour déboulonner les positions acquises par ses adversaires. Vieux de la vieille, Bouteflika n’est dupe d’aucun lyrisme. Il sait qu’il y avait juste quelques fritures sur les lignes qui avaient fait mal entendre aux « vavasseurs » (© SAG) la bonne distribution. Il a, n’est-ce pas, vécu assez pour savoir qu’on peut avoir été quasiment accusé de haute trahison et finir par recevoir le baisemain des plus zélés de ses contempteurs. Savant du schmilblick du système, il n’a pas d’illusions sur ses hommes. Les ministres, ils les savonnent en live sur les écrans TV, les PDG qui prétendent réussir des prouesses, il leur rappelle sa mansuétude du moment. Bouteflika est un behaviorisme politique qui témoigne le mieux du blocage du système et du retard qu’il impose à la société Son exaspération est la meilleure preuve que les choses n’avancent pas ou si peu. Alors que l’exemple des pays du Sud-Est asiatique illustre la possibilité de s’extraire du sous-développement en un rien de temps, l’Algérie, quoique servie par une conjoncture pétrolière euphorique, ne parvient pas à sortir du pétrin. Incapable de transformer les richesses en bien-être social, le système les subit même comme un « handicap » de plus. Il faut ainsi voir dans les énergiques remises à l’ordre du « ministre du pétrole » à l’endroit des compagnies étrangères qui avaient crié sur tous les toits la découverte de nouveaux gisements miniers, l’expression d’un cynique désappointement : « Voilà, on va encore nous mettre la populace sur le dos et dire que le pays est riche est qu’on ne fait rien pour le sortir de sa misère ! ». Outre d’être moralement insupportable, car elle postule qu’une minorité au pouvoir s’octroie des positions de conscience collective, la non-démocratie est, pour parler comme les managers new-wave, une sous–utilisation des ressources humaines. Le pays est amputé du meilleur de ses énergies par la cause justement d’un système politique qui ne reconnaît droit au chapitre qu’à ceux qui ont l’estomac assez accroché pour ripailler dans la curée d’indignité que l’organisation de la rente nationale impose. Sans débats, de grandes options sont décidées, des organisations sont refusées quand bien même elles auraient satisfait à la loi sur les partis, la télévision est fermée à toute voix discordante, tandis que l’élite du pays s’en va rejoindre des cieux où son mérite est mieux récompensé. Cette dernière n’est d’ailleurs évoquée qu’à travers la ritournelle de la lamentation sur la « fuite des cerveaux ». Et de forcer la société à un ordre aussi dégarni, on prétend,dans le même temps,lui faire relever de formidables défis : défaire le terrorisme, relancer la machine économique, vaincre le chômage, et, en passant, concurrencer le reste du monde dans le cadre de l’OMC et de la zone Euro. La prochaine fois que quelqu’un te parle de politique, écoute-le poliment et fais tes comptes avant de te laisser entraîner. Embarque-toi dans les objectifs que tu veux, demande juste à être informé des moyens qu’on compte déployer pour les atteindre et de ce qu’on prévoit si ça capote. Il n’est pas de pire crime que de te gaspiller dans les manigances des forbans de la politique qui comptent leurs sous quand toi tu comptes tes douleurs. Oui, il faut éventuellement faire des choses pour Tamazight, réclamer plus de démocratie ; oui rien n’est de trop pour le bonheur de la Kabylie. Je ne te demande pas de t’enfermer dans ton cocon, entre la résignation et l’aventure, sache trouver le juste avantage. N’attends pas l’échec pour te morfondre dans les regrets. Ne sois pas oublieux du passé, rappelle-toi que qui trahit une fois trahit toujours. Sois « ulac smah » avec ceux-là comme avec ceux qui allument des incendies pour enfin se débiner comme des jeunes filles mises en présence d’un premier spectacle de virilité. Rappelle-toi les sorciers avalés par leurs propres illusions. Et, je t’en conjure, ne prends pas prétexte de ces petites humanités pour te jeter, comme tu sembles le faire aujourd’hui, dans les rets des hypocrites qui croient avoir assez de rouerie pour se jouer même d’Allah. Réfléchis, relativise, analyse, prends l’idée qui t’es proposée, soupèse-là sous toutes les coutures, demande-toi à qui elle profite, qui elle peut éventuellement gêner, pourquoi elle est énoncée en ce moment là, pas à un autre. Sinon, ô malheur !, tes marches d’aujourd’hui préparent les cortèges funèbres de demain.

M.B.

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