L’adieu à Razika

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Ils étaient des milliers à prendre d’assaut, tôt dans la matinée d’hier, le raidillon sec menant d’Aokas au village d’Aït Aïssa qui abrite depuis des lustres la famille Hassani. A Aït Aïssa, Razika a vécu et grandi jusqu’à la funeste journée du dimanche 6 février où la grande faucheuse a jeté son dévolu sur sa jeunesse pétillante, sa soif et sa joie de vivre. Comme par jalousie et envie devant tant d’entrain.Le ton de ce qu’allait être la journée du lundi a été donné tôt dans la matinée à Aokas-ville où la famille et une foule dense se sont donnés rendez-vous pour récupérer la dépouille mortelle, entreposée pour la nuit à la morgue de l’hôpital. Aokas, d’habitude si gaie et avenante offrait un air maussade, son visage des mauvais jours. Les affiches de faire-part, placardées sur les murs de la ville attirent à peine l’attention des passants qui s’arrêtent un instant, juste pour voir furtivement un texte qu’ils connaissent par cœur.La nouvelle de la disparition brutale de Razika, les circonstances de sa mort horrible ont vite fait le tour de tous les hameaux de la contrée. Et comme la vertu cardinale du partage est encore profondément ancrée chez ces rudes et fiers paysans, c’est tous les archs de la région qui vont porter le deuil, la croix, le fardeau de la douleur n’en seront que plus facile à supporter, tant il est vrai qu’un chagrin partagé est plus facile à ingérer et à amortir.10h 30, une procession impressionnante de véhicules prend le chemin tortueux et escarpé de Aït Aïssa pour ce qui sera la dernière grimpette terrestre de Razika. Cinq kilomètres plus haut, au domicile des Hassani, une foule compacte attendait dans un silence quasi-religieux le convoi mortuaire. Pendant que les proches et les milliers d’autres étudiants, anonymes, amis, attendaient dehors, les étudiantes venues en nombre imposant peut-être en plus grand nombre que les garçons, s’engouffraient dans une petite pièce faisant office de chapelle ardente pour rendre un dernier hommage silencieux à celle qui fut il y a quelques années leur camarade de classe.Mais le plus remarquable dans cette brève cérémonie, précédent le départ vers l’ultime demeure, ce fut sans conteste la retenue, la très grande dignité dont firent preuve les membres proches de la famille Hassani. Pas un cri, pas une larme… seule une émotion très vive, de celle occasionnée par les grands chagrins, marquait les visages. Le père très digne, visiblement affecté, sans toutefois rien laisser transparaître de son chagrin.’’Ma fille m’a plusieurs fois parlé des risques qu’elle prend à chaque départ pour Bgayet. Surtout depuis l’affaire de l’étudiant écrasé par un camion. A chaque fois qu’elle quitte la maison, une peur panique me noue les tripes. C’est son destin. Je remercie tout ce monde venu compatir à notre douleur’’.L’oncle de la défunte, M. Idriss Hassani, lui, ne fait pas dans la dentelle et pointe du doigt les responsables : ’’C’est une véritable catastrophe, d’autant qu’il y a eu déjà un précédent.Il faut trouver une solution rapide, sinon c’est toute une partie de la jeunesse qui va y passer. Dans ce drame, tout le monde est responsable, des élus à l’administration pour n’avoir pas retenu les leçons du passé’’.Quant à M. Benamara, enseignant de lettres au nouveau campus, il insiste sur la précipitations ayant présidé la réception et l’ouverture d’Aboudaou : ’’Il fait arrêter le bricolage. Aboudaou n’était pas prêt à accueillir des étudiants. Les manques sont à tous les niveaux. Il y a lieu de tout revoir et d’apporter des correctifs à long terme’’.11h 45 : L’émotion est à son comble le corps de Razika quitte sa demeure terrestre pour rejoindre son petit bout de terre, là-haut perché sous les montagnes enneigées, portée par une foule énorme qui en rangs serrés communie silencieusement avec Razika. Le service d’ordre très discret, n’éprouve aucune difficulté à éviter tout débordement.Adieu Razika ! Ton enterrement aura été grandiose et digne. A la mesure de ta vie terrestre tout en bonté et en appétit féroce de vivre.

Mustapha R.

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