Souvenirs, souvenirs…

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Ma parole, j’en ai pleuré de joie. Des larmes grosses comme ça”. Avec une gouaille ravageuse, un accent pur style Kaouito de Bab El Oued, et des gestes théâtraux, Martinez Joachim, 75 ans, bon pied, parle de ses premiers pas sur le tarmac de l’aéroport Abane-Ramdane. M. Martinez fait partie de la délégation de pieds-noirs ou de français d’Algérie, comme ils aiment bien qu’on les appelle. A l’instar de beaucoup d’autres, il n’a pas remis les pieds en Algérie depuis un certain printemps 1962.L’événement du week-end qui vient de s’écouler aura été sans conteste le retour de 65 pieds-noirs et juifs natifs de Bougie. Cette rencontre, initiée par l’association France-Maghreb et orchestrée de main de maître par, d’une part, Pierre Henri Lapalardo et d’autre part, Boucheta Djamal pour la partie locale, est une première.Il était 17h passées de quelques minutes quand l’avion, en provenance d’Alger, se pose à Bgayet. Au pied de l’échelle de coupée, dans une confusion bon enfant, pleurs entrecoupés de gros éclats de rire étaient de mise. Quelques youyous fusent dans l’air, histoire de rappeler et d’établir une bonne fois pour toutes l’algérianité de cette foule hétéroclite, composée de vieux et de jeunes, d’aisées et de modestes personnes.Avant l’arrivée aux deux cimetières de la ville le chrétien et le juif, la traversée de la ville aura été un autre grand moment de cette première journée. Si certains affichaient des mines d’enfants perdus, d’autres scrutant attentivement les rues traversées, finissent par pousser un grand cri, pointant un doigt tremblant vers une maison, un immeuble, une ruelle. Ils viennent tout simplement de reconnaître la maison qui les a vu naître, les lieux de leur enfance. La joie à son paroxysme se mue en émotion, sollicitant derechef les glandes lacrymales…Autre lieu, autre décor, autre attitude : le cimetière chrétien que l’on ne reconnaît plus. La propreté, l’ordre, le calme propices au recueillement y règnent. Depuis que l’association France-Maghreb a décidé de s’impliquer dans la restauration des lieux de repos éternel, beaucoup de choses ont été faites. Et c’est du tout bon ! Les promesses ont été tenues, de part et d’autre. Idem pour le cimetière juif où la métamorphose est encore plus palpable car en quelques mois seulement, il et passé du royaume des herbes folles, où l’alignement des sépultures, les tombes elles-mêmes ont subi de multiples agressions : celles des hommes, des animaux et du temps. Grands moments d’émotion, de recueillement. “Voir la tombe de papa et maman et mourir ! Maintenant, je peux partir, tranquille, l’âme en paix”, lance une dame d’âge canonique.Le dîner offert par l’association France-Maghreb agréablement animé par l’association musicale Ahbab Cheikh Saddek El Bedjaoui qui a opté, excellent choix, pour les années nostalgie, fut un grand moment,le grand moment de cette courte visite. La grande salle, pleine à craquer, du lieu de résidence s’est babélisée et l’usage du kabyle côtoyait celui de l’arabe dialectal et du français, un français particulier, chantant. Le dîner s’est vite transformé en fête et, en un clin d’œil, une piste fut improvisée. L’émotion fut à son comble quand un couple du troisième âge s’est mis à se trémousser et à tournoyer, au son d’un vieux succès kabyle, sous les applaudissements nourris, lui dans le plus pur style danseur de chaâbi kabyle, elle, le foulard bien ceint autour des reins se déhanchant avec grâce et élégance. 43 ans et des poussières plus tard, ils n’ont rien oublié de leur passé, de leur vie au soleil. “Ma petite fille prépare la meilleure chorba de France et de Navarre”, s’exclame M. Marzoti, fier comme Artaban. La soirée nostalgie s’est terminée tard. Les corps étaient fatigués, les jambes pesantes, les têtes lourdes, mais qu’importe ! L’essentiel et ailleurs. Il est dans la joie qui transfigurait les visages. Il est dans le plaisir des retrouvailles. C’est ce qu’a exprimé M. Papalardo, ravi, aux anges : “C’est ça l’Algérie plurielle, l’Algérie qui réunit tous ses fils”. Une soirée mémorable.Hier, il y avait au menu une virée à El Kseur sur demande des natifs de la région et sur insistance des chaînes de TV françaises venues nombreuses : il y avait TF1, FR 2, FR3 et LCI. Les autres, dans une visite guidée, ont été conviés à redécouvrir les sites historiques de Bougie. La déjeuner de midi, au bord de la mer, dans la plus pure tradition pied-noir, donne l’occasion à tous de participer à une gigantesque “sardinade” (sardines grillées à volonté).Quant à l’après-midi, quartier libre pour tout le monde. L’opportunité pour tous de renouer avec les quartiers de naissance et de retrouver, qui sait, des copains d’enfance. Enfin, la soirée musicale prévue en leur honneur sera l’occasion de rencontrer, dans d’émouvantes retrouvailles, la population. “Objectif atteint et dépassé de très loin”, ajoutera M. Papalardo. Quant aux autres, tous les autres, encore groggy par tant de bonheur,ils diront à l’unisson : “On est venu, on a vu et on s’engage à faire venir les autres. Promis, juré !”.

Mustapha R.

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