Le prétexte et son prolongement

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La décontraction dans le ton n’ayant à aucun moment suggéré la légèreté, Abdelaziz Bouteflika a conféré à son intervention devant les syndicalistes la profondeur politique qu’il réussit si bien dans la spontanéité. C’est que l’anecdote pléthorique à l’occasion n’a pas réussi à faire oublier l’essentiel dans le discours du président de la République qui a plutôt recouru à la formule détournée pour dire son assurance ou son étonnement, l’irréversible ou le dérisoire. C’est qu’il fallait énormément de doigté à un président venu “partager un moment de fête” avec l’UGTA. Déjà assez rare, le fait tourne carrément au paradoxe quand on sait que la centrale syndicale commémorait dans la foulée “la nationalisation des hydrocarbures” dans un contexte où le débat public est plutôt aux vertus des privatisations.Même s’il a trouvé comme toujours le mot courtois et la formule rassembleuse dans le “nous sommes tous des syndicalistes”, Abdelaziz Bouteflila a aussi dit aux travailleurs qu’ils ne travaillaient pas assez et surtout que personne n’a le monopole de la souveraineté nationale.Et le prétexte du 24 février n’a fait qu’adopter les mots et leur donner le ton de la circonstance. Personne n’attendait au demeurant du président de la République qu’il fasse dans la pédagogie pour expliquer les nouvelles exigences en matière économique ou l’entreprise privée comme norme souveraine de gestion.Sur ce chapitre précis, il a même un tantinet extrapolé : “Nous sommes dans l’obligation de nous adapter à l’ère de la mondialisation si nous ne voulons pas subir le même sort que l’Irak”.Même si le contexte y est pour beaucoup, il n’explique pas tout dans l’insistance de Abdelaziz Bouteflika sur les privatisations. C’est que l’ensemble des réformes économiques et structurelles y est détermine et la conjoncture, il faut le dire, se caractérise par une certaine stagnation, alors que tous les indices devraient inciter au dynamisme. Plus politique encore il suggérera à maintes reprises qu’il n’était pas accompagné comme il l’aurait souhaité dans son programme mais il a aussi su avertir qu’il pouvait prendre ses responsabilités “si la loi nous bloque, nous allons changer la loi”.Le président de la République ira plus loin en évoquant le dossier du foncier agricole. Ce n’est pas tous les jours qu’on entend le premier magistrat du pays dire publiquement que la majorité des gens impliqués dans un “scandale” d’une telle ampleur sont (étaient ?) de hauts responsables de l’Etat. En prenant à témoin l’opinion publique et surtout en promettant d’aller jusqu’au bout de cette affaire, Abdelaziz Bouteflika inaugure les grandes mesures populaires qui ont justement permis sa fusion avec le pays profond. Mais il a su relativiser l’efficacité de l’Etat quand il s’agit de l’action sociale. “Si l’autorité publique doit encore construire des routes et des hôpitaux, seuls les investissements privés et étrangers peuvent créer les richesses et résorber le chômage”. Dans la foulée, il n’a bien sûr pas oublié ce qui lui a permis de brasser aussi large au printemps passé : la réconciliation nationale et l’une de ses implications, l’amnistie. Sur point précis, le président a sûrement cherché les mots qu’il fallait, interpellé qu’il était par un parent de victime du terrorisme, mais ce n’est pas ce qui a déterminé sa réponse. Abdelaziz Bouteflika sait que sur ce sujet, le débat ne fait que commencer. D’abord parce que comme il l’a dit “les blessures sont encore trop fraîches” mais surtout parce qu’on ne sait pas encore de quoi on parle. Le président, lui en a sûrement une idée et, promet-il, il en parlera aux Algériens le moment opportun.

Slimane Laouari

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