»Nos banques ne sont pas des banques »

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L’ancien chef du gouvernement du temps de Chadli Bendjedid, Mouloud Hamrouche, qui était l’hôte hier, du Club des cadres de la CCFC, a animé une conférence-débat sous le thème « Privatisation : un préalable ou une conséquence de la mondialisation ? « , où il a donné son avis sur les questions de l’heure et beaucoup critiqué les démarches et les choix économiques actuels. Le conférencier a dressé un constat très peu reluisant de l’évolution de l’économie algérienne ces 20 dernières années.

Interêts inavouésA propos de la mondialisation, l’ancien chef du gouvernement dira que « l’Algérie a subi, à l’instar de beaucoup d’autres, elle n’a pas su en tirer avantages ». Et de continuer : « Elle a refusé de saisir les transformations économiques et stratégiques du monde. » L’Algérie a, selon lui, préféré rester dans l’univers de l’économie fermée et administrée. A propos des réformes, M. Hamrouche est convaincu que beaucoup d’intérêts inavoués se sont ligués contre toute réforme et tout changement. L’Algérie, dira-t-il encore, a gâché ses chances. « Elle a perdu tous ses acquis sociaux et dilapidé les fruits de ses efforts de trois décennies sans avoir, pour autant, mis le pied ni dans l’économie de marché ni dans la globalisation », estimera-t-il. « La société algérienne fléchit et la société régresse. Le pays n’est plus aimanté par un dessein national de développement », assène-t-il. Plus loin, il reviendra à la charge en tirant à boulets rouges sur l’économie nationale en ces termes : « Notre économie ne peut prétendre à la compétition industrielle, financière et commerciale. Elle ne peut profiter des dispositions d’accès au marché puisqu’elle n’a pas de produits à exporter ».

Médiocrité des performancesIl s’étalera ensuite sur le processus de privatisation engagé par les pouvoirs publics. « L’option de privatisation n’a été affirmé ni en tant que choix social ni en tant que nécessité économique. Elle n’a jamais été revendiquée ou souhaitée pour des raisons idéologiques », soulignera-t-il. Et de poursuivre sur le même ton : « Elle a été avancée par insinuations, comme réponse à la faiblesse managériale, à la médiocrité des performances et au déficit financier, mais jamais comme un choix politique ». Plus tard, continue-t-il, le discours officiel l’a rattaché, en filigrane, à une forme d’exigence de la mondialisation et des institutions internationales. Et de conclure : « Pour qu’elle soit un succès, la privatisation ne doit pas souffrir d’ambiguïtés, d’incohérence ou d’hésitation et la mettre à l’abri des incursions des puissants intérêts illégitimes ». En l’état actuel des choses, l’invité de la CCFC estime que l’opération de privatisation connaît une situation de flottement. Il déplorera aussi le « glissement continue vers l’informel ». « Les opérateurs publics et privés avouent cheminer en dehors des normes établies. Le gros des affaires se traite à la lisière du légal ». Il relèvera aussi au plan économique certaines lacunes, entraves au développement, dont le manque de discernement socioéconomique de régulation, insuffisance de contre-pouvoirs économique et financier, défaut de contrôle institutionnel, manque de compétitivité et de souplesses structurelles, … Incapacité à digérer les milliardsLa séance des débats a ouvert la voie à des questions débordant le thème principal de la conférence pour toucher à d’autres domaines économiques et inéluctablement politiques. A une question sur les banques algériennes aussi bien privées que publiques, et la réforme financière, l’ancien Premier ministre aura cette réponse qui sonne comme une sentence : « Les banques algériennes ne sont pas des banques ! ». A propos de la loi sur la monnaie et le crédit qui a été promulgué en 1990, lorsqu’il était aux rênes du gouvernement qui donna libre court à la création de banques privées, M. Hamrouche dira que ces dernières n’ont pas été créées en dehors de la loi, elles ont fonctionné sans application de la loi et ont été liquidées dans ce contexte. Invité à donner son avis sur l’enveloppe des 55 milliards USD, allouée pour le plan complémentaire de la relance économique, Mouloud Hamrouche affirmera que les structures économiques algériennes n’ont pas les capacités de digérer ce montant. Il indiquera aussi dans la foulée que dans le passé, l’Algérie a consommé des montants équivalents ou supérieurs à cette enveloppe. A propos de laa convertibilité du dinar, l’ancien chef du gouvernement estimera que c’est « une absurdité » de parler de la convertibilité de la monnaie dans un pays où le marché financier n’existe pas. Pour lui, le marché financier, ce sont les « Bourses » informelles de la devise, implantées à travers plusieurs régions du pays, à l’instar de celle de Port Saïd à Alger. Pour conclure, il aura ces quelques phrases : « La politique n’est jamais un discours, mais des actions concrètes sur le terrain », et aussi « l’informel prime sur l’officiel même dans l’officiel », ou encore « l’Algérie est le pays de Cervantès. Nous nous battons toujours contre les moulins à vent », une manière de dénoncer les pouvoirs occultes qui, selon lui, sont les véritables gouvernants de l’Algérie.

Elias Ben

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