Quand la volonté politique fait défaut

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À chaque début d’été, la symbolique veut que le ministre du Tourisme donne le coup d’envoi de la saison touristique à partir d’un site connu dans le catalogue national. Pour la saison en cours, que la situation climatique a quelque peu retardée dans son élan, le coup de starter a été donné à la fin du mois de mai à partir de Tipaza par Noureddine Moussa. Mais que peut représenter le rite des inaugurations et des festivités pour un secteur économique qui ne trouve pas encore ses marques ? Un secteur auquel les autorités locales et les décideurs politiques n’ont jamais accordé un intérêt à la mesure des potentialités réelles du pays et de ses régions.

Le secteur touristique se trouve en Algérie dans une période charnière où il est appelé, au vu des grands enjeux économiques qu’il charrie et au regard aussi d’une mondialisation accélérée, à jouer les grands rôles afin de desserrer l’étau sur les autres sources de rentrées de devises et d’assurer la pérennité de celles-ci. À l’image de l’agriculture qui est considérée comme richesse permanente pour laquelle il faut tracer une stratégie et mobiliser les moyens de développement pour en cueillir les fruits, l’activité touristique, telle que comprise par les pays dépourvus de ressources minières, est un secteur qui ne s’use que quand on ne sait pas s’en servir.

Après avoir pris part au 8e Salon du tourisme de Marseille (du 16 au 18 février dernier), l’Office national du tourisme (ONT) a participé, quelques jours plus tard, à la Bourse du tourisme de Berlin où il s’est employé à ‘’vendre’’ la destination Algérie. Cette opération d’‘’exhibition’’ des charmes de l’Algérie est bien nécessaire après une rupture des flux touristiques vers notre pays qui aura duré bientôt une quinzaine d’années. En contact des tour-opérateurs européens, les représentants du secteur escomptent un retour d’écoute qui se concrétisera par un renouvellement d’intérêt pour les sites et panoramas d’Algérie.

De même, à Montpellier (Sud-ouest de la France), les Algériens se sont mis au milieu de la saison printanière, en contact avec les grandes agences de voyages qui programment des voyages et croisières touristiques à partir du mois de mai sur l’ensemble des pays méditerranéens et au-delà. Elle-même ville touristique par excellence, Montpellier accueille entre juin et septembre de chaque année plus de trois millions de touristes venant du Maghreb, de l’Amérique latine, de l’Europe de l’Ouest et de l’Extrême-Orient (Chine et Japon). Plus de trois cents hôtels sont mobilisés pour héberger et nourrir toute cette population venue à la recherche de sensations fortes, de sites historiques, y compris mauresques (puisque cette ville qui a subi l’influence andalouse en compte quelques-uns).

L’image du pays

L’ONT a voulu, à travers ces deux forums, ‘’renforcer l’image de l’Algérie pour insérer les produits touristiques dans les circuits des échanges touristiques internationaux et la mise en valeur des potentialités touristiques de notre pays’’. Le directeur de Messe Berlin (Bourse du tourisme de Berlin), M. Christian Goke, affirme, quant à lui, que la manifestation de la capitale allemande ‘’permet d’identifier les nouvelles stratégies adaptées à la demande en constante évolution des consommateurs’’.

Le ministre du Tourisme qualifie l’année 2007 pour son secteur de ‘’transitoire’’. Au cours d’une émission radiophonique en février dernier, il déclare que c’est pendant l’année en cours que le secteur ‘’concrétisera la stratégie de développement à travers un programme de travail qui a pour but de permettre aux activités de se hisser au niveau des standards internationaux’’. Les maillons de la chaîne touristique peuvent se résumer- sans grande exhaustivité- dans trois segments indispensables qui se complètent : potentialités naturelles ou liées à l’histoire et à la culture d’une nation (qui exigent entretiens, réhabilitation et accompagnement logistique), les structures d’accueil (hôtellerie, instance chargées des circuits touristiques) et l’environnement économique qui conditionne les nouveaux investissements liés au secteur. L’absence ou la mauvaise gestion de l’un d’eux déteint immanquablement sur le reste et compromet l’ensemble de l’activité.

Il s’agit d’abord de l’existence d’une matière première brute ou façonnée par les hommes. L’Algérie ne manque pas de sites naturels auxquels son relief, sa végétation et son climat ont donné des caractéristiques que beaucoup de pays ne possèdent pas. Des 1 200 km de côtes jusqu’au Parc du Hoggar-Tassili, toute une série de lieux exceptionnels attiraient jadis des centaines de milliers de touristes européens : les monts de l’Atlas, avec le Parc du Djurdjura, Chréa et les Babors. Les zones humides de Annaba et El Tarf (lacs Malah, Oubeira,…). L’Atlas saharien avec les cèdres et les villages des Aurès (Balcons du Ghoufi) et le Sud-Ouest oranais (Brizina, la vallée de Oued Namous). Les vestiges historiques de Timgad, Djemila, Tebessa, Souk Ahras. Les diverses sources thermales dont Hammam Mekhoutine constitue un incomparable joyau. Les communautés humaines et les activités artisanales auxquelles elles s’adonnent constituaient aussi des objets de visites pour découvrir le tapis des Aït Hichem, la poterie d’Aït Khelili, le burnous de Nédroma, la vannerie de Bousaâda, les encorbellements de la Casbah, les palmeraie de Foughala et de Sidi Okba, les cerisaies de Larbaâ Nath Iratène et la haïk m’ramma de Tlemcen.

Et puis le Sahara septentrional et central avec la multitude d’oasis qui sertissent les océans de sable. Dans la seule oasis de Bordj Omar Driss (ex-Fort Flatters), dans la wilaya d’Iliizi, il nous a été donné d’entendre des témoignages sur les marées humaines d’Européens qui venaient passer les deux Réveillons (Noël et Saint-Sylvestre) dans cette bourgade de 2 500 habitants éloignée du chef-lieu de wilaya de quelque 700 km. Il faut dire que jusqu’à la fin des années 60, l’aéroport de la ville desservait… Paris. Aujourd’hui, il n’y a aucun transport public pour rallier cette belle oasis hormis les 4×4 des sociétés pétrolières ou un improbable bus hebdomadaire à partir de Ouargla.

Infrastructures obsolètes

Dans l’euphorie des années fastes du développement national, l’Algérie a investi beaucoup d’argent dans des structures hôtelières lourdes gérées comme n’importe quel banal Souk El Fellah de l’époque. Sur la côte (Sidi Fredj, les ‘’Andalouses’’ d’Oran, le ‘’Sahel’’ de Mostaganem, le ‘’Kotama’’ de Jijel), dans les villes intérieures du Nord (Sétifis, Cirta, Amraoua de Tizi Ouzou, les ‘’Zianides’’ de Tlemcen) ou dans les villes du Sud (Adrar, Tamanrasset, Timimoun, Djanet), la même typologie est adoptée dans la construction, la gestion et les prestations de service.

Étant considérés comme des entreprises publiques, ces établissements ont brillé par une gestion approximative et une pléthore du personnel qui les ont conduits vers des banqueroutes financières que n’ont pu temporairement endiguer que les interventions de l’État à travers les restructurations en EGT (Entreprises de gestion touristiques) et les prestations sollicitées par les structures administratives publiques (séminaires, journées d’étude, réunions officielles, congrès,…). Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces établissements ne sont pas du tout adaptés pour une activité touristique d’envergure qui suppose des prestations de haut niveau in situ (hébergement, art culinaire, moyens de divertissement) et des circuits touristiques maîtrisés et documentés.

Des centaines de touristes européens préfèrent plutôt des méthodes traditionnelles qui consistent à s’appuyer sur des connaissances particulières ici en Algérie pour se faire héberger et conduire vers des sites à visiter. Au cours des années 80, et au vu du besoin de plus en plus pressant en la matière, le secteur tenta une forme de timide libéralisation à travers la création d’agences de voyages particulièrement au Sud du pays.

Les exigences du métier (présence de guide touristique et de l’interprète, connaissance des circuits, fourniture de documentations de qualité,…) et le manque de professionnalisme des ces intervenants ont vite fini par avoir raison de ces agences bien avant que l’insécurité s’installe au début des années 90. La plupart de ces petits établissements implantés à Illizi, Djanet, Tamanrasset, Ouargla et Béchar ont mis la clef sous le paillasson ou se sont convertis dans des activités plus lucratives, en tout cas moins exigeantes en professionnalisme. Actuellement, 755 agences privées sont recensées à travers le territoire national. L’Office national du tourisme (ONAT) est, quant à lui, représenté par 30 agences. Le Touring Club d’Algérie (TCA) en compte 25.

Le médiocre de la classe

En matière d’attraction touristique, l’Algérie est classée par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), en avril 2006, à la 38e place. C’est dire que les efforts à déployer pour remonter la pente sont assez colossaux. L’année dernière, dans un débat télévisé, Noureddine Moussa, ministre du Tourisme, a fait le constat amer suivant : les capacités d’accueil de l’Algérie ne dépassent pas 81 000 lits (dont 36 000 du secteur public) ; 90% du parc hôtelier ne répond pas aux normes internationales en la matière. Il n’existe que 10 établissements de 5 étoiles, 22 de quatre étoiles, 67 de trois étoiles, 59 de deux étoiles, 42 d’une étoile et 802 non classés.

En 2006, les rentrées financières liées à l’activité touristique sont évaluées à 200 millions de dollars. Elles représentent le 1/5e des recettes hors hydrocarbures. Une goutte d’eau dans l’océan par rapport à certains pays voisins qui ont engrangé jusqu’à 3 milliards de dollars, pays dont les potentialités naturelles et culturelles sont moins importantes que celles de l’Algérie.

À la faveur de la nouvelle politique économique qui vise la relance de tous les secteurs pour réduire la dépendance du pays par rapport aux hydrocarbures, de nouveaux projets d’établissements touristiques ont vu le jour. Mais les difficultés d’accès au foncier et au financement ont retardé la réalisation de certains d’entre eux. « Le foncier n’a pas été maîtrisé comme il se doit, avoue Noureddine Moussa. Il faut que les espaces de loisir et de divertissement deviennent des espaces de consommation économique qui créent de la richesse et des postes d’emploi ».

Jusqu’en 2006, il a été enregistré au niveau du ministère du Tourisme quelque 300 projets en cours de réalisation, ce qui correspond à

30 000 lits supplémentaires et 15 000 emplois directs. Le ministère a encore enregistré 750 demandes pour de nouveaux investissements. Mais, les écueils financiers et les problèmes de terrain sont toujours là pour entraver la dynamique de reprise. Après la convention signée avec le CPA pour débloquer la situation, le ministère du Tourisme a procédé le 21 février dernier à la signature d’une autre convention avec la BDL pour remettre les projets en souffrance sur les rails.

En effet, pas moins de 254 projets étaient à l’arrêt pour des raisons de financement, soit 60% du total des projets lancés. Les pouvoirs publics ont arrêté une stratégie de développement du secteur touristique à l’horizon 2015. « Il y a un enjeu sur l’aménagement du territoire parce que les projets touristiques sont structurants ; un enjeu sur le plan de l’environnement, car le tourisme est vecteur de sensibilisation ; le troisième enjeu est l’insertion des produits touristiques dans l’espace des jeunes et qui permet aux gens de faire de leur potentiel une activité économique créatrice de richesses, et donc de fixer les populations là où elles sont », soutient le ministre du Tourisme

Amar Naït Messaoud

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