Ça va, l’Algérie ?

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Il y a des matins comme ça, où vous commencez la journée avec quelque bizarrerie qui vous accompagne jusqu’au soir. Cela m’est arrivé hier et je le dois à mon buraliste habituel. Presque gêné mais très sérieux, il m’a surpris avec cette question intrigante : “Est-ce que vous pensez que l’Algérie va bien” ? J’aurais pu dire non, mais ça aurait été trop simple à son goût pour ne pas revenir à la charge. J’aurais pu aussi dire oui et  » liquider l’affaire « , mais j’y ai renoncé aussi.

D’abord parce que s’il a posé la question, c’est qu’il doit en douter très fort, ensuite parce que ce n’est pas vrai, que l’Algérie va bien. Pourtant, il y a plus de cent milliards de dollars dans le tiroir national. Mais on ne sait pas quoi en faire. Il faut apparemment plus d’imagination pour gérer la prospérité que la disette. En 1989, on avait quelques trois milliards, c’est-à-dire moins que le budget marketing de Coca Cola, dans les caisses, mais c’était plus simple. On a été voir le FMI.

Ce n’était pas évident de décider de le faire à cause de vaillantes résistances au bradage de la souveraineté nationale mais on l’a quand même fait. L’usurier du monde nous a pourtant préparés à la gestion des coups durs et des catastrophes comme celle de disposer d’un matelas de billets si épais. Tellement épais qu’il devient inconfortable pour le seul usage qu’on sait en faire : dormir dessus.

En 1989, mon jeune ami le buraliste n’était pas en âge de se poser la question, mais on lui a dit par la suite que le FMI ce n’est pas bien, que c’est à cause de ce monstre qui dévore les pauvres que son père a perdu son boulot de chef de chantier dans une entreprise de travaux publics aujourd’hui fermée pour cause d’ajustement structurel et que l’Algérie allait beaucoup mieux au temps du socialisme, avant le multipartisme et l’économie de marché. En 1989, mon ami le buraliste avait dix ans et il était trop petit pour se mêler des grandes questions des hommes mais assez grand pour que quelque souvenir lui revienne aujourd’hui qu’il en a vingt-huit. Mais curieusement, ce sont ses neuf ans qui l’ont marqué. Octobre 88, son frère aîné a brûlé un pneu du côté du Champ de Manœuvre et sa grand mère ashmatique avait failli passer à cause d’une crise due aux bombes lacrymogènes. Mais, Octobre 88, les morts, les blessés, les bâtisses et les bagnoles cramées, les emprisonnés, les torturés et les bastonnés, c’était contre le socialisme et le parti unique, non ? On a dit ça aussi à mon vendeur de cigarettes et de journaux et il ne comprend plus comment son aîné a pu contribuer au chômage de son paternel et sa mami aurait pu clamser pour que le loup s’installe dans la bergerie. Alors, finalement, l’Algérie va bien ou elle ne va pas bien ? Mon buraliste préféré n’est pas près de le savoir et moi non plus. Son père qui était chef de chantier avant 89 est toujours chômeur aujourd’hui.

Son frère qui était chômeur en 88 est maintenant plein aux as. Entre les deux, vendre des caprices et de l’after-shave, ce n’est pas si mal. Mais il n’est pas assez pauvre pour désespérer et pas assez riche pour ne pas se poser de questions, du genre : est-ce que l’Algérie va bien ?

S.L.

P.-S. : Un confrère du journal sportif le Buteur s’est cru en droit d’interpeller un dirigeant du club irakien d’Altalaba venu disputer un match de foot en Algérie parce qu’il n’observait pas le jeûne. Je ne sais vraiment pas ce qui est le plus grave des deux : l’avoir fait ou l’avoir écrit.

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