«J’aime trop la Kabylie»

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Entretien réalisé par notre envoyé spécial en France, Djaffar Chilab.

A travers l’entretien exclusif qu’il a accordé à notre reporter qu’il a reçu chez lui à Cergy, à une trentaine de kilomètres de Paris, Idir, de son vrai nom El-Hamid Cheriét, s’est livré comme dans un confessionnal. Il a consenti à parler de lui, comme il n’a pas l’habitude de le faire, il revient sur sa carrière artistique depuis ses débuts, son ascension, sa visite en Algérie avec Zidane, “l’Année de l’Algérie en France” à laquelle il n’a pas pris part, tout comme “Alger capitale arabe”, les évènements de Kabylie, il dresse son constat sur la chanson kabyle il parle aussi de son projet d’une prochaine tournée en Algérie, et plein d’autres sujets…

La Dépêche de Kabylie : A prendre connaissance de votre programme annuel, l’on s’aperçoit vite que vous restez un artiste très sollicité, qui se produit beaucoup en France comme ailleurs. Mais, en Algérie où vous comptez un large public, l’on n’entend pas souvent parler de vous. Forcément, vos admirateurs subissent une grande frustration de se sentir aussi loin de leur idole. Vous vivez cet état de fait malgré vous aussi? Ou c’est plutôt un retrait voulu de votre part ?

Idir : Non pas du tout ! Ce n’est pas voulu de ma part. D’ailleurs il a été question qu’on entame des démarches avec Kamel et Mohammed (Kamel Tarwihth, et Mohammed Saâdi propriétaire de BRTV) pour aller en Algérie, ce n’est pas du tout un refus systématique, ni une appréhension… Disons que c’est les conditions idoines qui ne sont pas toujours réunies pour qu’on puisse arriver à finaliser. Dès fois, j’ai des empêchements, il y’a le programme, des histoires personnelles, et puis les autres aussi ne sont pas souvent disponibles, donc il fallait arriver à prendre en compte tout ça, et puis de dégager une période… Mais sinon, rien ne m’interdit là bas…

Et cette discrétion que vous vous êtes imposée. En dehors de ces récentes sorties d’après la France des couleurs, on vous sent effacé de la scène médiatique, particulièrement en Algérie…

Cela fait bien longtemps depuis que je suis parti de là-bas. Donc instinctivement je m’accorde plus aux références d’ici. Depuis, les choses ont évolué ici comme là bas, ce qui fait qu’il y a peut-être une petite appréhension vis-à-vis du public du pays par ce qu’on a évolué différemment. Celui d’ici est plus au moins codifié. Ses désirs sont à peu près cernés, et l’on sait quel chemin emprunter pour être en harmonie avec lui. Là-bas, je ne sais pas trop. D’autant plus que les mentalités, me paraît-il, ont changé depuis mon départ en 1975.

Vous vous souvenez encore de ce départ ? Vous aviez dès le départ l’idée de venir pour vous installer ici en France ?

Non aucunement. A l’époque seul la signature d’un contrat pour la production d’un disque, c’était des trente-trois tours à cette époque-là, avec une boite française qui m’avait fait venir. Un Français était venu me voir en Algérie pour me faire la proposition, alors je lui avais dit O. K, je viens après mon service militaire. C’était en 1974. Et puis même à ce moment-là, je me suis dis d’accord j’y vais mais dès que je termine, je rentre. Je ne pensais pas du tout rester. A l’époque, c’était différent, les temps n’étaient pas ce qu’ils sont de nos jours, et puis pour moi, je considérais ma route toute tracée : Un diplôme en poche, des promesses d’embauche d’un peu partout…

Vous avez fait quoi comme formation exactement ?

J’ai, en fait, fais de la biologie, zaâma, j’ai étudié la biologie, science de la vie, et de la terre. Je me rappelle, on avait des modules de botanique, biologie…et au bout de la troisième année, je me suis orienté vers les sciences de la terre, option hydrogéologie, les mines, le pétrole…tout un cursus quoi ! Donc je n’ai jamais penser à faire carrière dans la chanson. Je me suis dit : Je vais aller, et je vais voir, une aventure qui durera ce qu’elle durera, peut-être quelques mois, quelques années… Sans plus ! C’est comme ça que j’ai débarqué ici pour signer le contrat, un engagement qui allait me lier à eux toutefois pour sept ans. Dans l’intervalle, je devais faire deux disques trente trois tours.

Et vous les avez faits ?

Oui, et c’est donc A vava Inouva, et puis y’a eu le second A Yrach N’nagh que j’ai d’ailleurs renégocier avec quelqu’un, Saïd que j’ai rencontré dans le cadre des éditions Azwaw qu’on avait créées. A l’époque j’avais une fibre militante assez forte. Je pensais qu’il y’avait vraiment un avenir pour notre chanson.

Les éditions allaient permettre à la chanson kabyle d’être beaucoup mieux diffusée. Car jusque-là, elle était plus portée par des commerçants qui se sont accaparés des répertoires des grands artistes kabyles de l’époque que des gens de métier. Entre-temps en me soumettant au contrat, je devais faire la promotion des disques, donc assurer des spectacles…

Et c’est de là que j’ai commencé à apprendre le métier. Du jour au lendemain, j’ai fini par m’y faire et trancher par poursuivre ce que j’ai entamé. Et puis je me disais tant que ça marche alors autant continuer.

La notoriété, c’est quelque chose que vous aviez déjà dans le temps ?

Je dirais que ça a tout de suite marché. Arsed A Yidhess a tout de suite eu un engouement. Parce que je faisais des trucs qui était dans le conscient collectif des gens. Avec la deuxième chanson « S’ndou » aussi. «A Vava Inouva» n’est venu qu’après.

Mais comment avez-vous eu ce penchant pour mettre en chanson ces morceaux qui ont de tout temps bercé la conscience collective des Kabyles pour vous reprendre ?

Eh bien, il y a le militantisme de la cause, de notre langue. Dans le temps, quand on descendait sur Alger, c’était déjà une petite émigration.

C’est comme si on était déjà étranger dans notre propre pays. Tu es interne dans un lycée, après il y a la cité universitaire qui arrive, du coup, à l’intérieur, il y’a cette envie de t’accrocher à tes racines car on ne se sentait pas vraiment à l’aise de ce que nous offrait l’environnement.

Donc ce qui nous unissait nous les Kabyles tournait autour de çà. En plus le contexte politique d’alors faisait de nous des militants.

Si je n’avais pas choisi la chanson, j’aurais peut-être milité autrement. Car il y avait une grande soif d’identité parcequ’on ne se retrouvait pas dans l’identité qu’on nous proposait.

Moi j’ai eu la chance d’avoir une maman et une grand-mère poétesses, donc si vous voulez j’ai pas eu de mal à reprendre toutes ces ambiances là, je les ai toutes vécues. Et comme je ne me sentais pas à l’aise dans la musique occidentale, ni dans la musique orientale, donc je me suis penché sur mon histoire, mes racines.

Mais c’était sans être contre quoi que ce soit, dès le départ.

Je n’ai jamais pensé Amazigh contre Arabe ou contre les français, rien de tout ça. Mais je pensais juste que c’était légitime pour un kabyle de s’occuper de la chanson kabyle. Il fallait remonter le cordon ombilical et essayer de chercher toujours au plus profond. C’est pour cela que les toutes premières chansons étaient très traditionnellement ancrées. C’étaient des descriptions…

Depuis pensez-vous avoir changé de style aujourd’hui ?

Dans ce que je fais peut-être mais dans ma tête non. Vous savez tant qu’on avance dans la vie, on découvre, on fait des rencontres, des échanges, et l’essentiel c’est de s’enrichir de cette diversité. Et forcement, il y a des choses dont on se défait, et d’autres à préserver. Tout ce qui est folkloriste, figé ne m’a jamais intéressé. Tourner en rond n’a jamais fait avancer personne. Et puis la musique m’a fait appeler à d’autres horizons. J’ai toujours été à la découverte de l’autre en restant moi-même.

Etes-vous conscient de la hauteur que vous avez pris dans l’échelle de la chanson kabyle ?

J’étais dans une époque où Aït Menguelet faisait la loi. Dans les années soixante, soixante dix, il était en harmonie avec le public. Il nous susurrait à tous des choses qu’on avait envie d’entendre avec sa belle voix. Je me rappelle que j’ai failli périr, noyé dans une rivière en allant le voir à Fort National, mais il fallait que j’y aille. L’entendre chanter sur « Louiza », du pur bonheur, c’est tout ce qu’on demandait à l’époque. J’avais rarement vu un artiste avoir autant d’impact sur des générations. Donc je ne peux pas dire aujourd’hui que je suis plus haut que les autres. Chacun avait sa place. Mais je dirais que peut-être que ma position est plus spectaculaire parceque j’avais la chance de sortir du territoire. Je pense que c’est ça qui a dû jouer plus qu’autre chose.

Ca vous a permis de réussir à réunir autour de vous pas mal de grands noms de la chanson de renommée mondiale.

Je pense que chaque artiste est le reflet de ce qu’il fait. Forcement il est exposé. Je parlais de Aït Menguelet que je considère auteur d’une musique solide parceque ça correspond aussi au personnage, autant la musique de Djamel Aalem est plus en vue, et plus bouillonante parceque le personnage est comme ça aussi. Matoub aussi que Dieu ai son ame. Il a touché à tout, présent, percutant dans ce qu’il chante. Eux tous ils ont dit, et les autres ont entendu, et les ont catalogué chacun dans son genre. Moi j’ai peut-être eu la chance d’avoir fait des phrases avec des sujets, des verbes, des complements d’objets directs. Mais les études n’ont rien à voir dans la chanson. C’est plutôt la personnalité qui est là qui ne s’est jamais écartée dans le chemin tracé, qui ne s’est jamais reniée c’est sûr, sans pour autant être pour ou contre qui que ce soit. On peut élever la voix sans hausser le ton. On n’est pas casé comme des kurdes, il n’y a pas un contexte politique, il y a un problème d’identité culturelle, il y a un problème de pouvoir qui ne veut pas en entendre parler, il faut lutter donc lutter sur ce terrain-là. Peut-être donc que les gens ont vu à tout le moins une sincérité dans le personnage de Idir. Et cette sincerité fait peut-être inspirer la confiance des gens. Ce qui m’a peut-être permis d’avoir une bonne réputation chez ces artistes avec lesquels j’ai partagé des choses. Je n’ai jamais cédé un pouce sur mes revendications, mais je n’ai jamais fermé les portes non plus. Je crois que ma sincérité apparente motive les gens à ne pas me dire non. Parcequ’ils savent à l’avance que ce que je leur propose ne peut être que constructif.

Ces expériences vous ont été constructives ?

Bien sûr, on apprend beaucoup de choses.

Mais sinon quel est votre regard sur la chanson kabyle de nos jours ?

Vous savez, il y a plusieurs chansons kabyles. Alors de laquelle parler ? Il y a « Ouerdia N13 » par exemple, c’est de la chanson kabyle. Ali Amrane, c’est de la chanson kabyle aussi. Si Moh… Chacun a un registre différent. La seule chose qui les caractérise c’est qu’il s’exprime dans la même langue. Chacun à son niveau. Et en général, ce n’est pas un niveau spectaculaire. On n’a pas fait ce qu’il faut pour qu’on l’apprécie nous-même. Quand vous vous rendez compte que même dans les villages on a tendance à écouter les musiques des autres en majorité, ce n’est pas qu’on s’aime pas mais c’est que notre musique ne répond pas à nos questions. Moi aussi je me suis détaché de la langue kabyle d’antan, telle qu’elle était dessinée pour aller dans d’autres horizons. Mais cela, les gens le comprendront après, pas dans l’immédiat. La plupart des chanteurs se contentent d’être descriptifs : « Je l’aime, elle aussi, on l’a marié à un autre, lui il a de l’argent, moi non… », ce n’est pas du Si Mohand Ou M’hend, encore moins du Aït Menguelet, c’est vraiment un truc descriptif… C’est toujours de une « Khalouta » sans intérêt. Et ça, moi, ça ne m’intéresse pas. Et puis il y a cette boite à rythme… Une fois que tu as fais le tour de l’arythmique, c’est fin, il ne reste plus rien, alors on tourne en rond. La guitare donne énormément d’accords et d’harmonie, horizontalement avec les rythmes et verticalement avec les différentes notes, l’arpège, c’est tout ce que j’ai fais, mais il fallait le faire… La boite à rythme reste une machine qui répond aux commandes, c’est tout. Jusque-là, on y a habitué le public mais le jour où quelqu’un viendra avec des choses originales ça fera quelque chose de mieux. Nous au départ, on était rien aussi.

Quel commentaire faites-vous sur ces discours de certains chanteurs justement accrocs de la boite à rythmes qui s’en défendent d’avoir au moins pu stopper quelque peu l’invasion du Raï en Kabylie ?

Peut-être. Le public a peut-être besoin de rythme, de danser, surtout les adolescents. Le seul problème c’est que ce n’est pas évolutif. Je ne veux pas critiquer négativement car çe serait idiot de ma part. Après tout si les gens apprécient ce genre, c’est parcequ’ils ont raison d’aimer, et on n’a pas à les juger. Mais l’idéal ça serait qu’il y’ait de la danse mais aussi qu’on y pense pour que ça évolue d’une certaine manière. Parceque au bout d’un temps, on s’en lasse. Mais il faut reconnaître déjà à ces jeunes chanteurs le mérite d’exister. Cela dit il y’a quand même un grand nombre et peu d’entre eux sont des professionnels. Combien a-t-on d’artistes pris en charge par des maisons de disques ou boites spécialisées ? Je ne veux pas être dramatique, alors je dirais juste qu’on n’en a pas beaucoup. Mais ce constat ne remet pas seulement en cause la chanson kabyle mais toute son existence. S’il n’y avait que Sardou, et Hallyday qui vivaient de la chanson en France alors je pourrais me permettre de leur dire que la chanson française n’existe pas. La chanson kabyle telle qu’elle est structurée actuellement n’est ni exportable ni durable, elle est juste consommable. Une chanson chasse l’autre, et à chaque fois elle est juste écoutée à travers les hauts parleurs des DJ.

Votre dernier produit La France des couleurs a été différemment apprécié. êtes-vous satisfait de l’écho qu’il a eu ?

C’est un album qui a été fait pour les gens qui vivent ici, et il n’a pas d’autres prétentions. C’est un concept qu’on a discuté. On a trouvé l’idée importante, d’ailleurs elle l’a été aux yeux de beaucoup de gens. Le produit est d’ailleurs nominé aux victoires de la musique, ce n’est pas rien. Donc, je pense que le but est déjà atteint, maintenant si je dois faire un autre disque, retourner en Algérie, je ne peux rien promettre parceque tout ça se développe en fonction de mon sentiment profond, de ce que je ressens. Je suis kabyle mais je ne vais pas m’accrocher à vivre qu’ à travers ma « kabylité ». Si je suis resté dans le chant classique, ma chanson ne serait peut-être pas sortie au de-là des bars. Et la chanson Kabyle n’aurait jamais eu ce que je lui apporte modestement. La chanson embrigadée des bars et cafés reste enfermée dans ces lieux. Il faut oser d’autres approches de la musique, essayer autrement, voir ce qui se fait autour de soi et se poser la question : Où est ma place dans ce milieu ? A la base il faut déjà être artiste et laisser s’exprimer son expression, son sentiment premier, et après voir le plus qu’on peut avoir de l’autre mais l’échange est primordial pour évoluer. ça reste toutefois mon avis bien sûr.

Si on restait sur ce dernier album. On croit savoir qu’il vous a valu beaucoup de sollicitations de politiques français qui espéraient vous avoir chacun dans son camp à la veille de la dernière présidentielle…

C’est vrai effectivement, mais ce n’était pas uniquement par rapport au disque. En période électorale, tout le monde est aux aguets. Tout ce qui peut permettre d’avancer, on a tendance à sauter dessus. Je ne dirais pas que j’ai reçu des offres mais des proposition pour voir si je pouvais me positionner ici ou là et ça s’arrête là, c’est tout.

D’un candidat en particulier, peut-être, plus que les autres ?

J’ai eu des touches de tout le monde. Mais il devait tomber pile entre les deux tours.

Aujourd’hui, vous pensez que l’album a eu la récompense qu’il mérite ?

La première des récompenses c’était de l’avoir fait comme je le sentais, comme j’avais envie de le faire et ensuite de le partager avec les autres. Après le succès commercial, il est différent. Parcequ’il y a plein de navets qui marchent et pleines de belles choses qui ne décollent pas. Et là, on ne sait pas à quoi ça tient. Mais si je raisonne en tant que Kabyle, je ne peux qu’être fier. Les deux personnalités les plus populaires de France, Noah et Zidane sont partie prenante dans le disque. Les réunir, ce n’est pas rien. Avoir Goldman Obispo, et j’en passe. C’est formidable. Tout le monde a adhéré. Et à l’origine, c’est parti d’un kabyle, ça c’est une performance pour nous. ça conforte notre histoire, notre crédibilité en tant que peuple. ça nous permet de prouver que nous sommes fiables dans tous les domaines. Nous avons donné à la Kabylie et à l’universalité des choses dont on n’a pas à avoir honte. Et-là je citerai Jean Amrouche, Mammeri, Isabelle Adjani, et d’autres. Et à ce titre là, on est de plain pied légitimés par notre appartenance à l’histoire du monde avec notre culture, et on la revendique. Mais si on était resté dans la cafete de Si Saïd, on aurait taper, et taper, cette chanson est belle, celle-là moins mais sans plus. ça resterait entre nous. Ca intéresserait au mieux tous les habitués du café. Un concept comme « La France des couleurs » nous a permis de faire entendre le kabyle au monde entier. Après, ça a plu à tout le monde ou pas, là c’est une question de goût. Pour moi le fait d’avoir fait adhérer autant de monde, chacun d’où qu’il vient nous permet d’exister un peu plus. Dans ce cadre-là, je suis au moins satisfait de ce disque. Après si j’aurais l’occasion de gagner avec aux victoires de la musique, je le dédierais à la Kabylie, c’est encore une autre fierté pour nous.

Vous évoquiez le nom de Zidane. Vous l’avez accompagné en Algérie lors de son voyage officiel. Comment les contacts ont été établis entre vous ?

Le plus normalement du monde. C’est lui qui a souhaité que je vienne avec lui.

Vous vous connaissiez auparavant ?

On s’est vu quelques fois mais je ne peux pas vous dire qu’on est des amis. On est plutôt des gens qui s’apprécient mutuellement. On s’est vu chez Drucker, sur un autre plateau quand il a eu la Coupe avec l’équipe de France. Il a aussi demandé à son frère Nordine de m’appeler pour me solliciter s’il pouvait habiller des reportages à lui avec des morceaux de ma musique, et je lui ai dit oui. Il m’est arrivé de partager aussi une table avec lui. Une fois c’était dans un restaurant au 15ème du côté du palais des Congrès. Mais comme il y avait une meute de journalistes, on a été de changer de lieux par deux fois. Il y avait avec nous un troisième, Salem. Il me voue un grand respect, ses parents aussi je suppose. Et je pense que s’il a souhaité que je vienne avec lui en Algérie, je n’avais pas de raisons pour dire non.

Vous avez peut-être hésité vu la nature très officiel du voyage ?

C’est évident, à tout le moins je me retrouvas dans une position de prudence. D’un côté, il y a cette envie de marquer le coup avec quelqu’un comme lui, et de l’autre il fallait prévenir des répercussions éventuelles. Et ça me tenait à cœur de souligner que j’étais l’invité de l’invité. Ce n’est ni dans ma nature ni dans mon désir de chercher à voir les autorités. J’ai été avec Zidane sans avoir à rougir ni à sentir le besoin de me justifier. Maintenant si tel ou tel dit que j’ai été récupéré par Bouteflika, ils sont libre de dire ce qu’ils veulent. L’essentiel, c’est que moi je sais qui je suis, et je sais où je vais.

Si on revenait sur ce séjour un peu particulier en Algérie…

Pour moi c’est particulier parc que j’y remettais les pieds quatorze ans après. Mais je ne pouvais pas vraiment profiter de ce retour, c’était tellement trop strictement prévu. Mais on était quasiment tout le temps ensemble lors du séjour. Sauf lors des réceptions avec les autorités. Mais j’ai du y aller quand même avec lui le jour où on lui a remis la médaille.

Mais qu’est-ce-qui vous a empêché d’être des autres réceptions officielles auxquelles Zidane a été convié ?

C’était ma décision. Et je lui avais expliqué que dans ma carrière des dit des choses et j’en ai vécues qui pourraient être en porte à faux par rapport à ce que je suis. Et il m’a répondu qu’il était le dernier qui pourrait le convaincre de venir avec lui. « Au contraire, vous avez un chemin, et je suis avec vous. Faites exactement ce que vous voulez ». Le « vous » ce n’est pas de moi. C’est pour cela que je dis qu’il me voue du respect que je prends à sa juste valeur du reste.

C’est donc par respect mutuel que vous avez accepté d’êtres à ses côtés le jour où il a été décoré par le Président Bouteflika ?

Ce jour-là, c’était toute une histoire. Avant je lui avais dit que moi je rentrais plus tôt que prévu. Je ne voulais pas être mêlé à ce genre de trucs. Je dis ça sans sentir que j’ai à me justifier. Chirac m’avait remis la Légion d’honneur mais Chirac n’est pas Bouteflika. Certes j’ai du respect pour lui, c’est le Président de tous les Algériens mais le geste de Chirac aurait été moins calculateur, moins manipulateur que celui de Bouteflika il devait me donner quelque chose. Il y aurait au moins un peu de ça de la part de ses conseillers. Mais je ne suis pas en train de dire que je préfère Chirac à Bouteflika. Ce n’est pas ça.

Mais vous n’avez toujours pas raconté la suite de l’histoire…

De toutes les façons, dès que j’ai sorti la phrase « je rentre en France avant vous », il avait tout compris, et il s’est interdit de m’imposer quoi que ce soit. Donc c’était convenu que je rentre en France, jusqu’à ce que la fille du protocole s’amène pour me remettre l’invitation. Alors je lui avais expliqué que ce n’était pas la peine puisque j’avais prévu de partir le lendemain. C’est à ce moment là qu’elle m’a dit que ce n’était pas possible parce que j’étais prévu à la table du Président et je ne pouvais pas manquer. Les places étaient nominatives. Et là j’étais vraiment mal à l’aise. Ce n’est pas pas que je refusais de manger à la table du Président, mais c’était entre moi et moi-même. Zidane m’avait quand même relancé pour me dire « venez, après tout ce n’est pas aussi grave ! ». C’est comme ça que je me suis retrouvé à la première table de la réception en compagnie de Zidane, sa famille, le Président Bouteflika, le président du conseil constitutionnel, du Sénat, et quelques ministres. Il y avait quelque trois cents personnes ce jour là. Ce qui était amusant, c’est que là où je me suis retrouvé, j’ai réalisé que plus on est soi-même, plus on dit des choses qu’on pense, on est respecté. ça me renvoie d’ailleurs à une histoire du temps de l’Année de l’Algérie en France à laquelle j’ai refusé de participer.

Allez y…

A ce moment-là, ils n’étaient pas content que je dise non ! Mais j’avais refusé pour moi. Je n’ai pas fait campagne contre, ni pour d’ailleurs. Chacun pour soi. Mais tout de suite j’ai été pris pour le chef de file de l’opposition à la manifestation alors qu’il n’y avait rien de tout ça. Moi j’ai estimé que l’Année de l’Algérie en France n’était pas représentée par un panel complet pour pouvoir voir les différentes facettes des Algériens. C’est eux qui ont choisi les artistes invités, pas quelqu’un d’autre, et qu’il y’avait certains d’entre eux qui ne cherchaient qu’à ramasser de l’argent.

Cette histoire de rencontre entre vous et Benflis qui avait été ébruitée par la presse française à l’époque.

Où est la part de vérité ?

Mais c’est du n’importe quoi. C’est le journal Le Parisien qui avait fait un article. Soi-disant qu’à cette période là, j’étais dans une réception où il y était lors d’une visite à Paris durant l’Année de l’Algérie en France. On a même dit que je suis resté avec lui une demi-heure, et que je suis l’un de ses grands supporters. Mais c’est complètement faux, je n’ai jamais rencontré ce monsieur de toute ma vie. A ce moment-là je me disais mais qui suis-je pour qu’ils s’acharnent comme ça sur moi ? La seule chose à laquelle j’ai été associé et qui aurait un lien avec l’Année de l’Algérie en France, c’est cette réception à laquelle j’ai été invité par le « chef » du sénat français. C’est une certaine Linda Méziani qui est venu me voir pour me dire que ma présence est « vivement souhaité » par le « chef » du sénat. Alors j’ai été. Et je me suis retrouvé à la table du sénateur avec Hervé Bourges, l’ambassadeur d’Algérie, et d’autres. Et encore une fois ça m’a fait bizarre de me retrouver là, moi l’opposant. Lors de son discours (le sénateur), non seulement a fait référence à un de mes textes mais en plus il a parlé de l’Algérie dans sa diversité, à comprendre par là, ceux qui ont participé à cette Année de l’Algérie en force et ceux qui ne l’ont pas fait. C’était très démocratique de sa part mais c’était bizarre quand même pour moi de me retrouver au centre alors que les gens qui avaient participé étaient tout autour. J’ai ressenti la même chose que quand j’étais à la table du Président à Alger.

Comment avez-vous vécu les évènements de Kabylie ?

Sur ces questions, j’ai toujours été avant-gardiste. Je suis de ceux qui ont réagi lors de l’arrestation de Ferhat, de Aït Menguelet. Lorsqu’il s’agit d’affirmer mes convictions, je ne recule jamais. C’est sûr que j’ai vécu ces évènements avec beaucoup de peine. Comment ne pas l’être avec ces jeunes qui tombaient. Quand on m’a appelé j’ai répondu présent et j’ai été l’organisateur du Zénith comme je l’ai fait pour Matoub à sa mort. Mais à partir du moment où j’ai réussi à faire ce que je voulais, je considérais que le reste ne m’intéressait pas. Car si je me laisse glisser dans les histoires d’argent je m’en sortirai pas. On avait fait le Zénith et ramassé de l’argent, j’étais dans le comité avec Hend Sadi, Chérifi, Tassadith Yacine si je me rappelle bien, enfin un panel…

Mais après ceux qui réclamaient l’argent ne s’entendaient déjà pas entre eux. Chacun le réclamait de son côté. Devait-on le donner à celui-là ou à l’autre ? Jusqu’à maintenant, l’argent est à la Maison-kabyle de France. Nous, on avait songé à faire des stèles pour les martyrs mais même sur cela, il y’a eu de la confusion, plusieurs voix qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord, même sur cette question des stèles. Alors l’argent est toujours là. Face à ce genre d’impasses, je me suis rendu compte après trente ans que je suis là que je suis plus efficace seul qu’avec un groupe. je n’ai pas envie de m’inscrire dans un parti ou dans un clan. Parce que malheureusement, quand on est dans un groupe on est souvent désigné contre l’autre.

Malgré l’éloignement, vous devez certainement avoir une vision sur l’Algérie d’aujourd’hui. Quel regard portez-vous sur la situation générale du pays ?

Je peux vraiment parler de regard car le seul lien que j’ai avec c’est Berbère TV, les infos d’ici et là, et les quelques contacts qu’on entretient avec des amis, et les parents. Mais je me fais quand même une idée. Je pense que le pays est toujours confronté à des difficultés.

Et dans ces conditions vous n’êtes pas tentés d’y retourner ? Vous avez peut-être fait un saut furtif en Kabylie lors du voyage avec Zidane ?

Non ! c’était trop strict, on n’était pas maître de notre programme.

Depuis quand vous n’êtes-vous pas retournés aux Ath Yeni ?

Depuis 1994. Et j’aurais aimé y aller encore.

Qu’est-ce qui vous en empêche aujourd’hui ?

Rien, absolument rien ! Ma « Kabylité” je l’ai dans mon cœur, dans ma tête, je n’ai rien oublié non plus.

On évoquait précédemment les démarches, en vue d’aller en tournée en Algérie. C’est un projet qui vous tient à cœur ? Qu’est-ce qui fait que le projet tarde à se concrétiser ? Vous sentez qu’il y a un manque d’encouragements de l’autre côté ?

En tous les cas, c’est un projet que je ne refuse pas. Mais pour le moment, disons que les dernières positions sur lesquelles on campe ici, c’est qu’on ira mais en toute liberté. Il faut juste réunir les conditions techniques, après les spectacles je les assume, et ça sera partout en Algérie. C’est après tout mon pays, et je l’aime peut-être plus que beaucoup d’autres de mes concitoyens, particulièrement la Kabylie.

Qu’est-ce que vous attendez alors ? Une invitation des autorités peut-être ?

Pas du tout, et de ce côté-là, ce n’est pas ce qui m’a manqué. D’ailleurs pas plus tard que notre visite avec Zidane, on m’avait proposé de venir en 2007 dans le cadre de “Alger, capitale arabe”. Mais j’ai dit que je ne pouvais pas venir dans ce cadre-là parce que tout simplement je ne suis pas arabe. Et encore une fois je n’ai rien contre. Comme elle pouvait être aussi capitale grecque et ça n’aurait rien changé pour moi.

A ce moment-là les gens qui viendraient là faire devraient être ceux qui sont censés être concernés par cette culture-là. Maintenant pour revenir au sujet, disons que c’est un ensemble de données qui ne sont pas encore réunies.

Peut-être que la situation sécuritaire vous en dissuade ?

Pas totalement ! Certes elle peut être à l’origine d’une appréhension mais ce n’est pas le frein. C’est plus ces moments, qui ne sont pas réjouissants, qui s’y prêtent peut-être moins qu’ils devraient l’être. En fait, c’est un ensemble de circonstances à réunir au préalable.

Si les gens souhaitent ma venue, c’est que je me dis qu’il y a une cohérence entre ce que je dis et ce que je fais. Et il ne faut pas que je sois en contradiction avec ce que je suis, à quoi les gens sont habitués de ma part.

Parce que je suis piégé depuis que les gens y voient à travers moi un représentant de la culture, un gardien du temple quelque part. Par exemple, je ne pourrais pas me permettre d’aller chanter à l’Aurassi par exemple parce que les gens se diront des choses, et il auraient raison parce que c’est en contre-indication de moi.

Mais sinon quels sont les projets de Idir ?

Eh bien, il y a déjà cette tournée qui n’est pas exclue. Si on l’envisage, c’est dans quelques six mois qu’on pourrait concrétiser cela. Et en autant de temps, les choses changent parfois vite. J’attends la meilleure opportunité pour y aller.

A un certain moment ça pouvait se faire mais par la suite la situation s’est quelque peu détériorée. Je suis conscient que je tiens une place qui est difficile à tenir.

Donc quand j’irai chanter à Alger, je dois tenir compte de plusieurs paramètres. Quand on voit en vous un repère, il ne faut surtout pas y aller sur l’invitation d’une Kasma, ni en période confuse…

Sur le plan productions. Peut-être quelque chose en chantier ?

Mes envies actuelles, c’est de retourner dans mes racines. De plonger dans nos traditions pour en sortir quelque chose de beau. J’ai commencé avec A Vava Inouva qui était plutôt un tube culturel, traditionnel, kabyle ; Puis, A Yarach N’nagh avec plus d’expérience au niveau musical ; Ensuite, il y’a eu Les chasseurs de lumière à travers lequel j’ai fait à peu près le tour de la sociologie kabyle ; Par la suite j’ai eu envie d’aller partager des choses avec d’autres dans Identités ; Et enfin, il y a eu le concept de La France des couleurs qui est un peu plus actuel, social, qui brosse avec la politique. Voilà ! Maintenant, ma tentation actuelle est de replonger dans mes racines. Et puis il y a le projet d’un livre.

Il s’agit d’une biographie ?

Non, ce n’est pas un roman non plus. Il s’agira d’un témoignage sur l’époque vécue. Ce que je pense de tamazigh, de l’Algérie, de la France,… voilà ça sera mon témoignage, mes sentiments sur diverses questions…

Peut-être aussi apporter des mises au point sur ce qui est dit autour de vous ?

Non ! Je n’ai l’intention de répondre à personne. Qu’ils disent du bien ou du mal de moi, je les laisse faire… Répondre aux autres, ça ne me ressemble pas du tout. Je ne peux empêcher celui qui veut me critiquer. L’essentiel c’est qu’au bout de la chaîne c’est l’affection de ton public qui domine tout.

Votre album est prévu pour quand ?

Je suis dessus. Il y a douze chansons déjà prêtes, je suis en train de les peaufiner. Pour ce qui est de sa sortie, ça ne dépendra pas que de moi. Lorsqu’on est lié à une maison de disques ce n’est pas aussi facile que ça, ils ont leurs prévisions, un calendrier de production à respecter…

Ce que je peux dire pour le moment, c’est qu’il se pourrait que cela sera pour fin 2008 ou peut-être 2009.

Vous êtes, sans doute, un artiste comblé avec un tel parcours. A quoi pensez-vous devoir votre réussite ?

D’abord à ma sincérité dans tout ce que j’ai entrepris. Je n’ai jamais triché. J’ai toujours fais ce que j’ai ressenti. J’ai été le chercher là ou il m’était difficile d’aller. Je peux parfois passer un mois à retravailler une note. J’ai toujours eu le souci de bien faire, et surtout transmettre fidèlement nos traditions aux autres. J’aime trop ma région, la Kabylie.

D.C.

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