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Alger : 5e vendredi de démonstration

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Ni le mauvais temps, ni le blocage des moyens de transport n’ont dissuadé les Algériens de descendre dans les rues d’Alger pour le cinquième vendredi de la colère de suite. Alors que le Premier ministre, Noureddine Bedoui, peine à convaincre, parmi les centaines de personnes touchées, d’adhérer à son gouvernement, Alger fut submergée de centaines de milliers, voire par un peu plus d’un million, d’Algériens qui criaient «Dégagez tous !».

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La pluie qui s’était abattue durant la nuit de jeudi à vendredi avait lavé les chaussées, les places et les rues et évacué la poussière pour une manifestation clean et une atmosphère respirable à tout point de vue. C’était le cas à la Grande-poste, lieu devenu emblématique des vendredis de l’espoir. Là, les averses de la matinée, tombés telle de la fragrance sur les premiers manifestants arrivés sur place, ont allègrement arrosé les espaces verts.

A peine sorti des nuages, le soleil, de ses rayons, a embaumé le parfum des fleurs et des herbes des accotements. Des ingrédients qui mirent du baume aux poumons de ceux qui arrivaient, en grappes, pour entamer le cinquième vendredi de mobilisation contre le régime et pour la liberté. Dans des pas moins pressés, les premiers arrivés, écharpes ou drapeau algérien sur les épaules, commençaient à se regrouper sur le parvis de la Grande-poste.

Ceux qui n’en avaient pas s’arrêtèrent chez les vendeurs à la sauvette pour s’en procurer. Il faut dire que ce nouveau commerce est des plus florissants à longueur de semaine, tant l’âme patriotique s’est ravivée et extirpée de sa trop longue léthargie. Ils étaient là, hommes et femmes de tous âges. D’autres groupes se sont formés place Audin, place du 1er mai, rue Mauritania…

Toutes les places célèbres de cette capitale des peuples sont devenues des points de lancement des manifestations. Comme à l’accoutumée, les forces antiémeutes ont été déployées en nombre à plusieurs endroits, notamment les boulevards Dr Saadane et Krim Belkacem, et à hauteur du Boulevard Mohamed V, des axes qui mènent vers le Palais du gouvernement ou vers le Palais présidentiel.

Deux lieux symboles du pouvoir qui bénéficient d’une surveillance accrue et renforcée. Mais les Algériens sont conscients que ça ne sert à rien d’y aller. Peu avant l’entame de la grande marche, de nombreux manifestants commençaient déjà à décliner leurs slogans. Ils sont surtout bien remontés contre Ramtane Lamamra critiqué pour sa tournée européenne. «Les Russes et les Allemands ne vous aideront pas à rester», criaient les manifestants.

La position de la France fut également convoquée, par des slogans aussi pointus qu’humoristiques. C’est le génie par excellence de ce mouvement populaire qui marie si bien expression politique et satire. Les derniers soutiens au Hirak, exprimés par les partis politiques, n’étaient pas non plus les bienvenus : «Trouhou gaâ ! (Vous partirez tous)», scandaient les manifestants.

Et Bouchareb a eu pour son grade avec les fameux slogans «FLN dégage», ou «Pas besoin de traitres dans le Hirak». «On vous a dit partez tous, pas venez tous (Goulnal koum rouhou gaâ, machi arwahou gaâ)», brandissait avec un grand sourire une jeune manifestante. Une pancarte qui s’adressait aux chefs des partis de l’Alliance présidentielle qui se sont exprimés, en fin de semaine dernière, en faveur du Hirak.

Ces manifestants si ingénieux

Ce cinquième vendredi fut aussi le vendredi de l’ingéniosité des patriotes qui se sont munis de parapluies aux couleurs de l’emblème national. Un symbole d’unité, de fierté et de fidélité à un pays qui leur a si peu offert en retour des grands sacrifices de leurs parents et grands-parents.

Rue Didouche Mourad, une gigantesque banderole accrochée à un balcon, au dessus du café «El Hoggar» se voulait un hommage aux policiers : «Nous sommes fiers de nos forces de l’ordre, vous êtes exemplaires. Les médias du monde parlent de vous», est-il écrit, avec quelques photos de policiers en illustration. Peu après 14h, le cordon de sécurité des CNS cède devant la foule. Ils étaient très nombreux à se regrouper sur la place Audin. Les manifestants cherchaient à emprunter le haut du boulevard Mohamed V.

Les services de la police, craignant qu’ils ne se dirigent vers la présidence, n’hésiteront pas à les charger avec des bombes lacrymogènes et des canons à eau pour les disperser. C’est à Telemly que la police réussit, un tant soit peu, à bloquer la procession qui se dirigeait vers El Mouradia. 14h30, les premiers tirs lacrymogènes retentissent pour disperser la foule qui grandissait de plus en plus.

Les forces antiémeutes craignaient le débordement. Des canons à eau entrèrent en action peu avant 15h, pour contenir la foule qui cherchait à en découdre avec le cordon de sécurité qui l’empêchait d’atteindre El Mouradia. Les manifestants se dispersèrent, puis revinrent à la charge sans heurts. Du côté de l’école des Beaux-Arts, un autre cordon des forces antiémeutes s’était mis en place, des gilets orange tentaient de dissuader les manifestants de monter vers la présidence.

Un scénario auquel les manifestants sont habitués à Alger. Mais comme chaque vendredi, hier aussi, le pacifisme et le civisme l’emportèrent. En fin d’après-midi, les groupes grossissaient toujours par les nouveaux arrivés qui rejoignaient la manifestation. De la Grande-poste jusqu’à la rue Belouizdad, les rues et places étaient noires de monde. Des centaines de milliers de citoyens, hommes, femmes, jeunes et vieux demandaient, dans une ambiance de fête, le changement politique. L’exception algérienne s’inscrit, encore une fois, dans l’Histoire des peuples. Hier à Alger, les Algériens étaient aussi nombreux que des quatre vendredis passés.

M. A. T.

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