Le cœur pour voir

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Par Djaffar Chilab.

C’est une fille de caractère. A vingt-cinq ans, elle s’est déjà fait un nom, et commence à bâtir un autre niveau à sa jeune carrière de chanteuse. Elle n’a pas tous ses moyens mais elle déborde d’envie de réussir toujours plus. Ça lui compense le reste. Elle se veut aussi reconnaissante envers les siens. Elle ne distingue pas les couleurs. Elle n’a jamais rien vu. C’est à peine qu’elle arrive à faire la différence entre la lumière du jour et l’obscurité de la nuit. Le vert, la verdure, elle entend parler. On lui a dit que c’est beau mais ça lui reste dans l’abstrait. Elle sait que le feu fait du bien mais aussi du mal. C’est rouge, ça réchauffe, et parfois ça brûle. Tout ça, elle se l’imagine à sa manière. “C’est possible que je me fais de faux croquis de toutes ces choses-là dans ma tête, mais il est rare qu’un sentiment me trompe. La chaleur familiale, je n’ai pas besoin de voir sa couleur, je la ressens pleinement. C’est grâce à elle que je suis debout. C’est mon carburant”. Ainsi faisait Siham son introduction, vendredi dernier. On a été à sa rencontre chez elle à M’douha, un quartier de la ville de Tizi-Ouzou. Elle y est née un certain 13 juin 1980. Mais elle ne manquera pas de faire référence à Makouda, le village de ses origine. A part les deux garçons, la petite famille: Son père Rachid, sa mère, ses deux petites sœurs, et une tante étaient là pour elle. Mais lorsqu’elle parle, le salon se tait. Même le volume de la télé est en off. “Le petit prénom, c’est mon père qui me l’a donné. Il l’a pris d’une chanteuse égyptienne dont il avait fait la rencontre dans un studio à l’époque”, explique t-elle. On lui a raconté aussi que c’est au troisième jour de sa naissance que la famille s’est rendu compte du drame. Siham est née sans jamais voir le jour comme tout le monde.

Sa maman s’en est rendue compte au troisième jourLe choc était terrible à digérer. Sa maman passera plus d’une semaine enfermée dans sa chambre. “C’est normal, aujourd’hui encore je souffre plus pour ma mère et mon père que pour moi. Si je devais faire un choix, je préfère être privée moi que mon enfant. Mais c’est Dieu qui a voulu ainsi, et on ne peut lui en vouloir. On doit l’accepter. C’est vrai que la frustration me remonte parfois à la surface mais je n’en veux à personne. Surtout pas à mes parents qui n’ont jamais fait de différence entre moi et mes frères”. Siham converse avec maturité et sagesse sans céder à l’énorme tristesse de son cas. Mais elle avoue ses regrets de ne pas avoir eu la chance d’aller à l’école comme tous les jeunes de sa génération.  » A six ans, je ne réalisais pas encore la différence. A l’époque, on tentait de me soigner, il m’est arrivé de rester à l’hôpital pendant des mois mais moi mon soucis était juste de rentrer chez mes parents, être à leurs côtés. Ce n’est que par la suite que j’ai saisi le sens de l’école, qu’on pouvait lire, écrire…Mais ce n’était pas des choses pour les gens dans mon cas. C’est sûr que ça ne peut pas vous laisser indifférent. Car à un moment ou un autre il vous arrivera de vous poser la question : Pourquoi pas moi ? Vous n’aurez pas de réponse mais le mal si. Ce qui vous tue le plus c’est cette impuissance qui vous enveloppe. On y peut rien ! Avec le temps j’ai essayé d’évacuer tout ça. Je tente de compenser, je pose des questions à ma mère, à mes sœurs, je suis très curieuse et j’essaye de comprendre. Je me surprend alors à inventer des repères à toutes ces choses-là dans ma tête. On me dit que c’est fait comme ci et comme ça, je me fais alors ma propre idée. C’est quelque chose que je ne peux pas expliquer aux autres mais elle est en moi et ça m’aide à exister. Et puis j’ai fini par trouver une bonne thérapie en la musique, la chanson”. Siham explique qu’elle n’a pas fait son incursion par hasard dans ce domaine puisqu’elle tient la fibre de son paternel qui était dans le temps également chanteur avec ses frères avec lesquels ils formaient le groupe Mizrana. Elle a pris la relève à l’âge de 15 ans. “A vrai dire comme je n’avais pas grand-chose à faire, je me laissais souvent bercer par la radio depuis que j’étais petite. Si vous voulez la situation m’avait plus aidée à avoir le ok ! de la famille. Mais sinon mon genre c’était plutôt H’nifa”.

La chanson de père…en filleLa première fois qu’elle devait monter sur scène remonte au 17 septembre 1994 dans une auberge de jeunes de Tigzirt. Elle y était en colonie de vacance avec une association des handicapés. Mais elle n’ira pas au bout de la tentation ce jour là. “J’ai fais les répétitions mais je n’ai finalement pas chanté. Et pourtant tout le monde m’a dit que j’ai une belle voix. Mais comme j’étais petite, j’avais tellement peur de la réaction de mes parents. Au moment venu, j’ai été comme bloqué. A mon retour chez moi j’en ai parlé à mon père. Il n’a pas réagi négativement”. Pour Siham le faite qu’il n’a rien dit était déjà de bonne augure. Elle n’avait pas tort. Puisque à peine quelques semaines plus tard, c’est carrément avec lui qu’elle tentera son premier duo à l’occasion d’une fête familiale. “C’était à l’occasion du mariage d’un cousin, Marzouk. Moi j’avais appris une de ses chansons, alors je lui ai fait la surprise. Je me souviens, j’avais vraiment osé car en plus c’était une chanson d’amour…” Son premier test sur scène, Siham le subira durant la même année au centre de formation de Tala Allem ou exerce son père lors d’un gala au mois de Ramadhan qui avait suivi. “Ce jour-là j’avais interprété un mélange de H’nifa, Si Moh, enfin un peu de tout. Ce fut dur, j’ai été très impressionnée par la scène. Mon cœur a failli s’arrêter, la scène est encore pire lorsqu’on n’y voit rien…” Mais malgré la phobie, l’essentiel était ce déclic qui allait tout lancer. Siham ne perdra pas de temps par la suite. Ni du rythme. En 1996, elle fait sa première apparition à la télé. Entre temps, elle s’est beaucoup investie pour apprivoiser la scène, mais aussi pour convaincre son paternel de lui composer son premier album, “Tefthiyi afous” (Tenez-moi la main…) qui la propulsera sur la place artistique à l’âge de 17 ans. Aujourd’hui, elle en totalise cinq produits dont…des spécials fête. C’est ce qu’on appelle avoir du caractère. D’aucuns à sa place auraient sombré dans la mélancolie, le chagrin, et la tristesse de respirer la vie à moitié. La goûter sans jamais ouvrir l’œil sur ses tableaux. Mais elle n’en fait pas cas de son handicap qu’elle a désormais apprivoisé, dépassé. Elle a le sourire presque constant. Ça lui rajoute de l’éclat. Elle est belle. Son cœur est encore plus beau. Elle ne se plaint jamais. Elle ne réclame rien aux autres. Mais elle est très exigeante envers elle-même. Elle veut réussir toujours mieux dans son univers. Celui de la chanson. Elle ne distingue que le blanc du jour et le noir de la nuit. Mais elle a décidé de donner de la couleur à la vie des autres…”Je ne peux pas être ingrate, et je tiens à dire que je ne serais sans doute pas là ou je suis s’il n y avait pas tous ces gens là qui m’ont aidée. Je dois beaucoup à ma famille, et encore plus aux amis qui ont toujours été là pour moi. Ils m’ont énormément donné. Ce n’est pas rien de vivre sans voir. Mais grâce à eux j’ai réalisé que ce n’est pas la fin du monde non plus. C’est vrai que ça ma chagrine de ne pas pouvoir aller à l’école mais… Ça serait vous mentir aussi de dire que je n’ai jamais rêvé de voir un jour. Déjà que quelqu’un de normal dès qu’il a les yeux fermés, il s’empresse de les rouvrir. Mais avec le temps j’ai tout accepté. De toutes les façons à quoi bon de se lamenter…? Mais le problème, c’est ma mère. Elle est tout le temps prête à me prendre là ou on lui en parle d’un guérisseur, d’un nouveau médecin…Ça me fait mal, et ça me déchire quand au bout, on fini toujours par me dire : “Désolé ma fille finalement on n’y peut rien”. C’est toute la frustration qui vous remonte, la réalité amère vous frappe à nouveau. Le temps me permet d’oublier, de faire avec mais, là, ça vous choque davantage, n’empêche que je marche toujours pour ma mère, enfin pour ma famille en générale. Et puis qui sait ? me dis-je intérieurement. Que ce que j’ai à perdre de plus précieux » ?

L’autre choc en juillet 2002Voilà une question que Siham s’est sans doute posée plus d’une fois. La dernière ne remonte pas plus loin que 2001. Cette année-là, tout le monde a failli croire au miracle. Pendant près de neuf mois Siham et sa famille ont couru derrière le rêve fou. “Je me souviens pas quand tout a commencé. Mais je sais qu’on était en 2001, et c’était l’hiver, il y’avait la pluie, et les nuits sont longues. Je crois que c’était en novembre que j’avais entamé les soins à l’hôpital Mustapha. J’ai fait des tas de radios, des examens, des bilans. On y avait presque vraiment cru avec l’avancée de la médecine. Même à l’hôpital, le professeur m’avait rassurée. On m’avait alors parlé d’une opération de 36 millions. C’était trop mais la vue n’a pas de prix, et tout le monde était prêt pour réunir la somme. Mes tantes étaient prêtes à vendre leurs bijoux. Elles étaient sincères, vraiment, et ça m’a touchée. On était tous excités à l’idée de enfin partager cet immense bonheur de se voir, se découvrir. On s’est même souvent emportés à nous imaginer, comme dans un film, le moment où le médecin viendrait m’enlever le bandage autour des yeux, quand je serais en face de la glace. Mes tantes et mes sœurs se disputaient qui je verrais la première…” Mais tout en restera là. Car le moment venu, l’intervention s’avérera impossible. L’espoir s’écroule alors un certain 26 juillet 2002, date fatidique pour laquelle était fixée l’opération dans une clinique privée à Hydra. La famille était trop pressée pour attendre le rendez-vous qui n’allait jamais arriver de l’hôpital Mustapha. “Ce jour-là, je me suis présentée avec mon père et un cousin. Sur place, la bonne dame qui devait m’opérer se contentera finalement d’expliquer à mon père qu’il serait préférable qu’il me mette les 36 millions dans un compte. Ça nous a tous coupé les jambes. Ce jour-là, j’avais vraiment senti une atroce douleur. Car j’avais vraiment rêvé. J’avais en plus 21ans…Ce n’est pas facile pour une fille à cet âge-là.

“Mon rêve de discuter avec Aït Menguellet”“Je me souviens à notre retour à la maison, on avait une fête dans la famille. Et tout s’est transformé d’un coup. Tout le monde s’est mis à pleurer dans son coin. Ce souvenir est atroce, et terrible pour moi. Après tout ce qu’on prévoyait…Bon, on essaye encore d’oublier”. Pour ce faire Siham se remet à rêver à nouveau de la chanson qui la fait évader. C’est ainsi qu’elle a produit un spécial fête en 2002, intitulé “A zin Arkak”, puis d’autres. C’est son père qui lui a jusque là tout composé avant d’entamer une autre expérience l’an dernier avec Dehak intitulé “A Lahvav” (Chers amis). C’est son grand hommage au public. Puis, elle a dû marquer une petite halte pour soigner une angine aigue qui lui a valu une intervention le 5 décembre dernier. Cette année, elle a encore un spécial fête déjà sur bobine qui sortira prochainement. Il essaye ainsi de transcender sa tristesse pour donner du bonheur aux autres. Elle aime célébrer les fêtes, chanter la nature ; les fleurs, et la beauté telles qu’elle se les imagine, la joie, le mariage même si la concernant elle préfère considérer “mon CD sera toujours mon mari”. Lorsqu’on l’invitait à dire ses souhaits, elle n’y va pas par trente-six chemins. “J’ai en mémoire un gala que j’ai partagé le 18 avril 1996 à Azazga avec Medjahed Hamid, Ahres, Taleb Tahar, Cherif Hammani, et Zedek. Ca m’a fait plaisir, j’étais toute petite. Maintenant je rêve d’approcher Aït Menguelet, je l’ai rencontré par deux fois mais je n’ai pas pu lui parler, et, Mon Dieu, si je pouvais faire le Zénith par exemple avec lui, Idir, ou encore Takfarinas”!. En attendant elle continue de faire son chemin avec sa famille ses amis pour mener à bout ses projets : Ce nouvel album où elle s’est initiée agréablement au hawzi algérois, des produits en vidéo, une tournée pour l’hiver prochain, et plein d’autres folies que son cœur lui dicte. Elle ne peut pas lui dire non. Elle n’a que lui pour sentir et…voir.

D.C.

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