Canicule et Poclains

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On a beau être habitué a ses annuels pics de chaleur et digéré le fait qu’il s’agit de smayem naturels intégrés à un cycle tout aussi naturel…, on ne s’y habitue décidément pas. Tout comme d’ailleurs on ne s’habitue pas aux baisses des températures hivernales que nous qualifions chaque année que Dieu fait d’exceptionnelles.

Mal réveillés et psychologiquement abattus à l’avance par les prévisions météorologiques, nous empruntons le bitume traversant le centre du vieux bâti de la ville pour nous rendre au bureau. Tiens, les infatigables Poclains sont là ! Ils ont déjà commencé à grignoter du goudron. Les engins font désormais parti du décor. Ils n’ont épargné aucun quartier de la ville. C’est leur omniprésence qui a d’ailleurs valu au wali le sobriquet de Ali Poclain.

Cela aurait été bien que ces Poclains arrêtent de tourner, le temps que nous traversons ces grandes chaleurs. Tant pis pour nous et tant mieux pour le devenir de la ville ! Et qu’ils ne s’arrêtent surtout pas jusqu’à ce que Bouira s’urbanise enfin.

Nous arrivons au niveau de la gare routière. La gare aussi n’a pas échappé aux assauts des Poclains. Tout y est sens dessus dessous. Et c’est tant mieux ! Vivement la fin du calvaire nauséabond imposé par le souk et la gare ! Le boulevard en chantier y prévoit un théâtre de verdure, l’annexe de la bibliothèque et, nous dit-on, une école privée. C’est dire qu’entre l’artère agonisante et le futur boulevard il n’y a pas photo. Nous savourons pendant quelques secondes les coups de Poclains avec le sentiment et l’impression de voir pousser les nouvelles bâtisses, avant de rejoindre nos bureaux. Premier geste : mettre en marche la clim. Tout de suite après, nous nous mettons autour de la table pour étudier le point du jour et faire une projection prévisionnelle. La canicule s’invite d’elle-même à notre «briefing régional». Nous retiendrons qu’en termes d’incendies et contrairement à ce que la canicule que subit la région laisse supposer, aucun foyer d’incendie jugé important n’a été enregistré. Cela étant, 4 hectares de blé et 555 arbres fruitiers ont été ravagés par les flammes, depuis le début de la semaine dernière. Des dégâts acceptables en pareille saison. Le cas de grippe porcine suspecté à M’chedellah, au début de la semaine en cours, sera aussi un sujet qui retiendra notre attention. Le briefing terminé, nous quittons le bureau avec le regret d’y laisser la clim.

Il est 11h 30. La chaleur monte, sans transition, de trois crans.

D’habitude grouillant de monde, le souk se vide. Y faire un tour au milieu de toute cette poussière générée par les engins et à ce moment déjà caniculaire est physiquement insupportable. On ne s’y risquerait pas, même si le tubercule y est cédé à 2 dinars le kilo. Nous sortons du portail débouchant sur la voie ferrée. Désagréable surprise : un poissonnier y étale encore sa marchandise ! Mais tant qu’il n’y aucune autorité pour le rappeler sévèrement à l’ordre, le poissonnier continuera à intoxiquer le citoyen.

La chaleur devient franchement insupportable. Nous avons l’impression que l’astre soleil s’est sensiblement rapproché de la Terre Bouira.

Nous résistons à l’appel de… la clim et continuons notre virée. La ville se vide petit à petit d’âmes qui vivent. Il n’y a que «les obligés de…» qui traînent et avancent «lourdement» sur les trottoirs. Le mercure se dilate encore et encore. Les cervelles marécageuses aussi. Tous les espaces ombrés sont occupés par les citoyens obligés, pour une raison ou une autre, de battre le pavé. Midi. L’enfer semble être à portée de main. Le geste devient très lent. Même l’irrésistible envie de griller une cigarette est vite refoulée. Les rues se vident de plus en plus. Seuls les engins de Ali Poclains résistent au «feu».

Nous regagnons notre bureau et notre… clim. Nous y resterons le temps de faire le tour de l’actualité de Bouira plus celui de «boucler».

17h 30mn. Dehors, l’enfer continue et n’est pas près, selon les services météorologiques, de lâcher prise. Idem pour les Poclains : ils «sévissent» toujours.

19 heures. Les citoyens commencent à quitter leurs «terriers». A partir de cette heure de la journée, la chaleur change de camp. Elle baissera d’un cran, un tout petit cran, et ira s’engouffrer dans les appartements déjà chauffé par la mise en marche des cuisinières et autre tabounas. Plus le temps passe, plus la situation se renverse à l’avantage du ciel ouvert.

A partir de 21 heures, femmes, enfants, jeunes, vieux… quittent leurs appartements en quête d’une brise fraîche. Le jet d’eau de la sortie sud de la ville et sa périphérie sont les destinations favorites de toutes ces familles malmenées par la chaleur.

L’artère Zighoud-Youcef aussi se réconcilie avec la vie. La rue ne désemplit pas jusqu’à une heure très tardive. On y va surtout pour y déguster des glaces chez Salim. La vie y est telle que, pendant un instant, on se surprend à longer virtuellement un quelconque flanc de mer. «Faut pas rêver !», nous rappellent à l’ordre les Poclains toujours sur place.

Çà et là au niveau des cités de la ville, les personnes âgées refusent encore de rejoindre leurs lits. Bien installées sur des toisons fait maison, elles profitent de ces moments de clémences climatiques.

L’esplanade de la maison de la culture est un autre espace où il fait bon respirer une petite brise d’air frais.

Une heure du matin, la ville s’apprête à dormir. Pas vraiment : le moustique, cet «animal» incontournable, nous attend aux abords du lit. Contre vents et marrées et moustiques, nous arriverons quand même à fermer l’œil pendant quelques heures.

Le lendemain matin sera peut être un autre jour. Auquel cas, nous aussi nous serons…

T. O. A.

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