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L’exemple des Ath Douala

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n Par Ramdane LASHEB

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Cette région se présente comme une ligne de crêtes successives se ramifiant vers l’ouest et l’est en crêtes secondaires séparées par des ravins profonds, allant d’une altitude de 250 m sur les limites nord et sud à 800 et 900 m sur les hauts sommets. Son climat se caractérise par un été chaud et un hiver froid, avec un degré d’humidité supérieur à la moyenne de la wilaya pour les villages situes au nord, à proximité du barrage Taksebt.

Bien que l’arch des Ath Douala concerne que quelques villages (selon le découpage traditionnel), tous les habitants des quatre tribus déjà cités s’identifient curieusement à l’extérieur comme étant natif des Ath Douala. C’est vrai qu’à un moment donné, de 1962 à 1985 les quatre tribus citées sont groupées en une seule et même commune, celle des Ath Douala. Quant aux Ath Yirathen notamment ceux de la commune d’Irdjen continuent à nos jours de nommer tous habitants des villages qui leurs font face à l’ouest, c’est-à-dire ceux qui sont situés sur le versant nord-est par les Ath Aissi, nom de toute la confédération.

Ainsi, cette région est connue surtout par cette multitude d’hommes et de femmes de divers horizons des écrivains Mouloud Feraoun auteur du fils du pauvre, Fadhma Ath Mansour, Imache Amar (essai politique), Rachid Alliche (tamazight)… aux chanteurs Matoub, Hamani, Zeddek, Domrane… en passant par les militants berbéristes Smail Medjber, Mokrane Chemim et les sportifs tels Iboud, Harb, Sebbar en football et Hadid kahina en judo.. Et plus récemment par le sacrifice du jeune lycéen Masinissa Guermah… la liste est longue, on ne peut hélas, nommer ici tout ceux et celles qui ont honoré et fait connaître cette région des Ath Douala.

Pour mieux donc cerner l’histoire des Ath Douala on parlera volontairement de tout ce territoire qu’occupent ces quatre tribus car l’histoire des villages se confond avec celle de l’arch, de la confédération et de toute la Kabylie.

Après la conquête de la Kabylie en 1857, avant que l’administration militaire coloniale cède la place à l’administration civile, le bureau arabe a adopté le découpage territorial traditionnel. La confédération des Ath Aissi compte sept (07) tribus : Ath Douala, Ath Mahmoud, Iferdioun, At Amar Ou Fayed, Ihesnaoun, Ath Zmenzer et enfin At Abelmoumen. Et depuis ce territoire ne cesse de subir d’autres découpages territoriaux. Ainsi l’arrêté du 25 août 1880, les autorités civiles ont fait introduire le douar. Les At Douala, les At Mahmoud deviennent des douars à part entières. Les Iferdioun, les Amar Ou Fayed et les Ath Abdelmoumen sont groupés dans un seul douar celui de Béni Aissi. Quant aux At zmenzer et Ihesnaoun, ils appartiennent au Douar Zmenzer et à la commune de plein exercice de Tizi-Ouzou contrairement aux autres cités qui faisaient parti de la commune mixte de Fort National. En 1946, les douars sont supprimés au profil des centres municipaux, pratiquement chaque village devient centre municipal et tous faisaient partie de la commune mixte de Fort National. En 1956, lorsque Tizi-Ouzou devient département de la Grande Kabylie, Fort National est promu arrondissement et Béni Douala une commune. En mars 1957, en plein guerre toujours, lors de la reforme des communes, quatre communes sont crées dans l’ancien douar : Béni Douala, Aït Mahmoud, Taguemout Oukerrouche (At Amar Oufayed) et enfin Ighil Bouzrou (Iferdioun). En quelque sorte, c’est le retour au découpage traditionnel.

A l’indépendance du pays, l’Algérie a reproduit le même schéma d’organisation administrative d’avant l’indépendance avec un rétrécissement des circonscriptions. Ainsi, le décret du 31 mai 1963 portant sur la réorganisation territoriale des communes, les trois tribus: les Ath Douala, les Ath Mahmoud et les Ath Aïssi furent réunis en une seule commune, celle de Beni Douala. Plus tard en 1985, on revient à l’ancien découpage d’avant l’indépendance à l’exception de Taguemout Oukerrouche qui était annexé à Ath Douala.

Les écrits ou les ouvrages connus qui traitent du passé des Ath Douala sont à compter aux bouts des doigts et sont tous postérieures à la conquête des At Douala. On citera en exemple celui de Devaux, ancien chef du bureau Arabe ‘‘Le kebailles du Djerdjera’’ paru en 1850 ou il donne une description de la confédération des Ath Aissi. Le deuxième celui de Hanoteau ‘‘Poésies populaires de la Kabylie’’ dans lequel l’auteur a consigné deux longs poèmes de résistances, l’un du poète Lhadj Rabah de Taourirt Moussa sur l’insurrection de 1856, combat au marché des Ouadhias et l’autre de Lhadj Mohammed-Bachir des At Bouyehya sur l’insurrection de 1856 ‘‘attaque de Dra Elmizan’’ a été édité en 1857. Les poète Lhadj Rabah relate le combat au marché des Ouadhias, il rend hommage aux tribus qui combattaient aux coté de celle des Ouadhias notamment les At Mahmoud, ennemis d’hier des Ouadhias (7 ans de guerre). Quant à Henri Genevois on lui doit la monographie de Taguemout Azzouz. Sinon, tout ce que l’on sait sur l’incursion turque et la résistance des Ath Douala à la conquête française, on le doit surtout au colonel J.N. Robin. Et c’est sans doute l’un des plus ancien récit écrit sur les At Douala.

Avant et pendant la période turc, la Kabylie était plongé dans une guerre tribale. Les tribus de la confédération des At Aissi n’échappent pas à ce triste sort. Les Ath Mahmoud étaient souvent en guerre soit avec les Ath Douala au sujet du souk de Larbaa soit avec les Ath Amar Oufayed pour des histoires d’honneur. Mais lorsque par exemple les Ath Mahmoud étaient engagé dans une guerre tribale contre une autre confédération ou un village extérieur à la confédération des Aïssi comme les Ouadhias Ou les Ath Yenni, les Ath Douala et les Ath Amar Oufayed combattaient à côté des Ath Mahmoud.

Au début du XVIIIe siècle, pour réduire les tribus des At Aissi, des Ath Douala et Ath Mahmoud à l’obéissance, Ali Bey de Titery marcha avec une colonne sur ces tribus. Et « seuls le village de Taguemout Azzouz et celui des At khelfoun, faisant partie de la tribu des At Mahmoud, opposèrent une résistance si énergique que, les colonnes turques durent s’en retourner sans avoir pu s’en emparer». Pas pour longtemps puisque Mohamed Bey réussit à prendre Taguemout Azzouz et le village de Tizi-Hibel. Ainsi, la tribu des Ath Mahmoud fit sa soumission. Il est de coutume chez les kabyles, les frères ennemis d’hier s’unissent souvent contre un ennemi commun. Et c’est dans cette logique que les Kabyles répondent à l’appel de Hussein Pacha à la guerre sainte contre l’envahisseur français.

Avant de marcher pour la guerre contre les troupes coloniales qui débarquaient en juillet 1830, les kabyles s’organisent. Robin notait à ce propos : « il est d’usage que chaque tribu ou chaque groupe de tribus d’un même sof soit accompagné d’un de ses marabouts les plus en renom, porteur du drapeau de sa zaouïa. Le jour du combat, ces drapeaux sont plantés sur la ligne de bataille pour servir de points de ralliements, et ils y restent jusqu’à ce que le sort des armes soit décidé.» Ainsi Les Ath Mahmoud avaient Lhousin Naït Mbarek comme chef et Si Nordin Nait Zian comme marabout et les autres tribus des Ath Aissi marchait avec Si Lhadj Tahar en compagnie du moukaddem de la zaouïa de Sidi Ali Ou-Moussa.

Quant à la conquête française des Ath Douala, elle commença le 7 octobre 1856. Après la conquête des tribus des Guechtoulas, l’expédition quitte le camp de Boghni et prirent la direction des Ath Douala et des Ath Mahmoud, deux tribus jusqu’à la, non conquises. La division Renault passa par Ighil Imoula et les At Abdelmoumen, une région déjà soumise et arriva à Larbaa à la fin de l’après midi du 6 octobre. Le médecin de l’expédition, le Dr Bertherand notait : “Nous posons pied à Béni-Douala aux environs de quinze heures(…) des groupes d’hommes valides desquels s’échappent des cris, des vociférations et parfois des injures en langue française. Ils semblent se concerter pour la défense ou l’agression. Les Béni-Douala passent pour compter parmi eux un bon nombre d’anciens tirailleurs indigènes libérés ou fugitifs et prétend-on aussi plusieurs déserteurs français.»

La division Renault composée de 203 officiers et 5427 hommes et les 4 bataillons de la colonne Pellé venus de Tizi-Ouzou, attaquèrent les villages des Ath Douala. Des contingents des Ath Yiraten et des Ath Yenni combattaient à cote des Ath Douala comme le notait Devaux : « Après avoir réduit les Guechtoulas, le maréchal Randon passa au mois d’octobre auprès des deux tribus Ath Douala et Ath Mahmoud, et eu affaire non seulement à elles mais encore aux contingents des Ath Yirathen et autres». La résistance n’a pas tenu longtemps devant l’arsenal militaire mis en œuvre par le maréchal Randon pour cette conquête. Par contre elle fut farouche et l’attaque meurtrière. Robin notait: «l’ennemi, embusqué dans le ravin d’Ighzer Oumalou où les contingents des Béni-Raten se sont portes en grand nombre; continuent une tiraillerie meurtrière. Cette journée, nous a coûté 11 tués, dont un officier le capitaine Cuignier du régiment étranger, et 38 blessés dont 3 officiers».

Le 8 octobre, l’attaque se poursuit, «dix bataillons commandés par les généraux Liniers et Deligny, sous la direction du général Renault, descendent du camp et vont s’emparer des points qui ont été occupés la veille (…) Nos pertes de la journée sont de trois hommes tués et 22 blessés, dont 2 officiers(…) Comme la veille, le 13 bataillon de chasseurs a rempli sa tâche; il est allé incendier le marabout de Sidi Bouali, qu’il avait visité le 7 octobre. On apprend que les pertes de l’ennemie on été plus nombreuses que la veille.»

Tous les villages des Ath Douala furent tous détruits et l’oliveraie était en flammes. «Dans la soirée, on a pu apercevoir des montagnes de la Kabylie, les villages et les oliviers des Béni Douala en flammes». Les Ath Douala vaincus mais pas encore soumis, continuent la révolte comme le notait de son côté C.Devaux : «les Ath Douala seuls, dont les intérêts sont intimement liés à ceux des Ath Yirathen, persistèrent dans l’insoumission.» Ainsi, lors de la conquête des At Yiraten, pour empêcher les Ath Douala d’aller prêter main forte aux At Yirathen, les officiers français, avec l’appui des tribus soumises attaquèrent de nouveau les Ath Douala comme le notait J.N.Robin: «Les mêmes jours, des tribus soumises font une diversion chez les Béni Douala, la lutte était restée sans résultats, mais le 25 mai, le combat fut repris (…)».

La politique de la terre brûlée du maréchal Randon et la reddition des Ath Irathen ont entraîné immédiatement la soumission des Ath Douala. Elle intervient le 27 mai, après celle des At h Yiraten le 26 mai 1857 avec une imposition (contribution de guerre) de 89 600 F.

La violence économique et sociale de la politique colonial, caractérisée par l’expropriation des terres, la destruction du patrimoine forestier et arboricole, les impôts sur la guerre, l’interdiction du commerce dans les souks, la déportation et le démantèlement des institutions sociopolitiques traditionnelles ont fait plonger la Kabylie dans un chaos total. Ainsi, l’équilibre qui a maintenu les populations sur ces terres déjà ingrates se trouve compromis. La montagne ne peut plus répondre aux besoins de ses habitants par conséquent l’émigration est impérative pour le surplus humain, dans le premier temps vers les grandes villes d’Algérie comme Boufarik, Alger et Annaba ensuite vers la métropole.

L’émigration des Kabyles en Europe a commencé bien avant la première guerre mondiale. On compte en Mars 1914, 1635 mineurs kabyles employés dans le bassin houiller du Pas de Calais et du Nord. C’est à partir de la deuxième guerre mondiale que l’immigration fut effective pour les Kabyles. Le manque de dynamisme économique, la densité humaine, la scolarisation et l’offre d’emploi du pays d’accueil a poussé les gens à s’immigrer en France. En 1950, les Ath Douala ont un taux d’immigration des plus important de la commune mixte de Fort National, soit 13,2% d’émig/ à la population totale. Mahé écrivait: « Après avoir envisage, tous les paramètres qui concourent à l’ampleur du phénomène migratoire, c’est seulement dans les deux douars (Béni Douala et Béni Mahmoud) présentant respectivement 372 hab. /km_ et 314 hab./km_ en 1950 que la corrélation entre densité démographique et intensité d’immigration nous semble relativement pertinente puisque les taux d’immigration par rapport à la population active masculine atteignent respectivement 53% et 47% contre une moyenne régionale de 245 hab./km_ et 36,3°% d’émigres.»

L’immigration en France a permis à un grand nombre de citoyens d’Ath Douala, d’investir les syndicats et les partis nationalistes à l’image du grand militant de la cause nationale Imache Amar membre de la direction de l’ENA (Etoile Nord Africaine). Ainsi, lorsque la guerre de libération s’est déclenchée les militants nationalistes étaient déjà à l’avant-garde.

Par sa situation géographique et le dévouement de sa population à la guerre de libération At Douala a abrité de grands chefs de la révolution. Dés le début de la guerre, en février 1955, Krim Belkacem, et Mohammedi Saïd (si Nasser), successivement chefs de la wilaya III historique ont tous les deux installé leur poste de commandement (P.C), à Tala-Khelil et à Tizi n Tlakh. Plus tard en 1961, le PC zonal était même installé en contre bas d’un village des At Mahmoud qui était encore occupé par l’armée française.

Après le Congrès de la Soummam, lors de la réorganisation du découpage territorial, le territoire national est divisé en wilayas et chaque wilaya est divisée en quatre zones, chaque zone en quatre régions et enfin chaque région est divisée en quatre secteurs. Ainsi, la superficie que couvrent les quatre tribus traditionnelles se nomme secteur 1 de la région 2 de la zone 3 de la wilaya III. Ce secteur 1 épouse totalement la superficie que couvre la SAS des Ath Douala et il est baptisé par les maquisards secteur llah irehmou, le secteur de la mort. Dans son témoignage sur la bataille de Si Aissa, le maquisard Helli Mohamed Arezki dit Muhend Arezki Amesbah, disait à propos de ce secteur : « Le secteur des Ath Douala était baptisé par les maquisards (secteur llah irahmou), secteur de la mort parce que la mort est partout. C’est une région étroite, au relief découvert, à l’exception de l’étroite partie orientale qui touche à la rivière. Elle est quadrillée par de nombreux postes militaires, avec un accès facile aux différents villages par des routes carrossables. Elle ne permet pas un bon camouflage des maquisards, notamment lors de replis et lors des accrochages. Le fait que la région soit proche du chef lieu de Tizi-Ouzou, les renforts de l’armée française sont rapides, cela n’arrange pas les choses… Le chef de secteur Ucarqi, disait que «j’étais parti voir ma famille, je leur ai dit, tant que je suis dans le secteur des At Douala, vous vous considériez comme étant des orphelins… Ainsi, on affectait les maquisards indisciplinés, dans ce secteur». Selon les maquisards, la région des Ath Douala c’est-à-dire, le secteur 1 comme ils avaient l’habitude de l’appeler était un secteur ou on mène des actions militaire contre l’armée française, contrairement à celui d’Amejoudh qui est un secteur de repli. On ne peut pas aborder l’histoire de cette période de la guerre du secteur des Ath Douala sans parler de la fameuse SAS de Béni-Douala symbolisé par son responsable, le sanguinaire capitaine Oudinot, cet ancien parachutiste, défenseur de l’Algérie Française qui termina dans l’organisation armée et spéciale (L’O.A.S) avant d’être arrêter et traduit en justice avec ses copains généraux putschistes.

La SAS de Béni Douala est fondé pour la première fois en 1955 par le capitaine Reynaud. Sa fonction principale est la destruction des OPA (organisations politiques administratives) poumon de l‘ALN, la destruction des katibats de l’ALN et œuvrer pour la politique de pacification. Le Capitaine Oudinot reçoit d’abord son affectation à Fort National comme adjoint de Regerat premier administrateur de la commune mixte de Fort National. Un mois après son installation, il convînt le capitaine Reynaud lors d’une réunion des chefs de SAS avec les officiers supérieurs, d’accepter une permutation. Ainsi il prend les commandes de la SAS des At Douala en mai 1956. Cette année là est pleine d’événements que ce soit du coté FLN/ALN que ce soit du coté armée française.

Après l’implantation à Ighil Bouzrou d’une batterie d’artillerie et l’installation de la première brigade de gendarmerie, le groupement de parachutistes dit du 11e choc commandé par le capitaine Bauer investit les lieux. Aussitôt installé, ces paras investissent les villages à la recherche d’anciens militants du PPA entrés de France ou éléments fichés. Le poète Si Cherif Kab était de ceux qui ont été appréhendé et humilié par les chasseurs alpins et il ne manquera pas de le signaler ainsi que les exactions d’Oudinot chef de la SAS des Ath Douala dans un de ses poèmes sur la guerre de libération national. Du côté des maquisards, il y’avait eu d’abord en janvier 1956 la démission collectives des maires de leurs postes, répondant ainsi à l’appel du FLN. Le 20 Août 1956, une date mémorable pour l’Algérie, pour la première fois sous la houlette de Abane, la majorité des responsables du FLN/ALN se sont réunis en congrès pour discuter de la stratégie de la lutte et de la destinée de la l’Algérie. Beaucoup de maquisards de la région ont pris part à cet événement, que ce soit pour assurer la logistique ou pour mener une diversion. Le 30 octobre 1956, dans le secteur des Ath Douala comme tout ailleurs en Kabylie la force K, après avoir mené des attaques et des actes de sabotages contre les postes français et leurs intérêts rejoint le maquis comme prévu avec armes et munitions. Aux Ath Douala cet ex-parachutiste d’Oudinot est devenu enragé et ne tarda pas à manifester sa rage envers la population. Comme ses collègues chefs des SAS, il est dans le collimateur des maquisards. Ainsi, le 13 octobre 1956, de retour de Fort National, il échappa de justesse à une embuscade tendue par les maquisards au lieu dit Tala Bounan.

En juillet 1957, il subit une autre humiliation au village de Tamaghoucht où une opération combinée entre le capitaine Cathelineau de la DST et lui même pour arrêter un maquisard et mettre la main sur des archives importantes que ce dernier doit convoyer en Tunisie. Cagoulé un gars de ce village les accompagnait, leur montre la cache. Après avoir quadrillé le village, les militaires investissent les maisons et regroupent les habitants en un seul lieu avec interdiction de bouger. Les femmes et les enfants étaient restés toute la journée sans manger et boire. Le lendemain à la fin de la matinée, sous la torture, le gars décide de leur montrer la deuxième cache. Oudinot écrivait : “En arrivant vingt minutes après, je me suis fait raconter les circonstances : personne n’a été témoin direct mais les faits ont été facilement reconstitués…Tout est clair. Tout alla très vite ! Le sergent arma son PM et fonça, Cathelineau sur les talons suivi des autres…” Le sous officier pénétra dans la première cache sous la dalle et sonda les murs : «C’est là, j’ai trouvé», cria-t-il. Rien d’autre ne fut dit…le capitaine sauta dans la cache…Quelques secondes après on entendit une brève rafale suivi d’un cri inintelligible. Et aussitôt une deuxième rafale…Puis un homme en treillis, PM au poing, sortit de la cache en tirant dans le tas, blessant l’adjudant et le sous lieutenant, avant de s’écrouler » Selon les habitants du village le nombre de militaire qu’a tué le chahid Elkhouni puisqu’il s’agit de lui s’élève au moins à sept comme le précise ce poème collecté auprès des femmes du village Tamaghoucht :

Lkapiten n Micli Le capitaine de Michelet

Mi t-wwten i•„li Il tomba lorsqu’on lui a tiré dessus

L•Âesker ihzen fell-as Les militares étaient en deuil

I t-id-in•„an d Lxuni C’est Lkhouni qui l’a tué

D ta•Ârict i yuli Sur une soupente

Iqus-it-id •„er wemmas IL le visa au ventre

A lexber iwwden larmi La nouvelle parviénne aux maquis

D argaz l•Âali C’ést un noble homme

Isse•„li sseb•Âa deg wass Il a tué sept en une journée

(…) (…)

Du côté FLN/ALN cette année 1957 est surtout marquée par la succession du colonel Amirouche aux commandes de la wilaya III qu’il structure et dote d’armes de guerre. Ainsi, l’ALN enregistre des sucées dans plusieurs combats contre l’armée d’occupation.

A Béni Douala, la situation militaire ennemi se renforce de plus en plus, des sous quartiers se créent ici et là pour quadriller mieux la région. En plus des deux sous quartiers de Béni-Douala et celui d’Ighil Bouzrou, deux autres sont créés. Un, à Taguemout Azzouz commandé par le capitaine Cheyroud et un autre à Taguemout Oukerrouche commandé par le capitaine Madolin.

Le dimanche 10 janvier 1958, le lieutenant colonel Belaid Nait Lhadj membre du service des affaires musulmanes portant un ordre de mission “service”d’Ager signé colonel Ducournau chef du cabinet militaire du ministre résident Lacoste était en route pour rencontrer un des responsables de la wilaya III. A Agouni Arous une équipe d’escorte l’attendait pour le conduire au rendez-vous. Seulement la situation tourne mal. En sortant du village, une patrouille en observation en face, au dessous des sœurs blanches les repérèrent et le chef de patrouille ouvre le feu avec son fusil mitrailleur. Le lieutenant colonel Naït Lhadj originaire du village At Lhadj est tué.

Le 28 Février 1958, soit un mois après la mort du lieutenant colonel, de retour d’un bouclage au sud du quartier de Taguemout Azzouz à côte de Tizi Hibel, dans une embuscade le capitaine Cheyroud tombe sous les balles des maquisards. Comme nous l’avons déjà signalé, le secteur des Ath Douala était un terrain d’action militaire pour les maquisards contre l’armée d’occupation. Ainsi, les accrochages avec les soldats français sont nombreux. Le plus important d’entre eux est sans doute la bataille de Tala Khelil du 24 juin 1958, de l’officier Si Aïssa dit El Bandaoui chef du bataillon du Djurdjura qui s’est soldé par la mort de l’officier et onze de ses compagnons du côte maquisards et 13 soldats tués et un bon nombre de blessés du côté ennemi.

Au sommet de la hiérarchie des deux camps par contre beaucoup de choses se passent en cette année 1958. Le retour au pouvoir du général De Gaulle et l’avènement de la V république marquent un tournant dans la politique française en Algérie. Il propose aux Algériens la paix des braves que ces derniers réfutent. Au moment où on parle de négociations à Paris, dans le maquis de la wilaya III, la purge bat son plein. La Bleuité a fait des ravages parmi les meilleurs maquisards. Tout de même un point positif, c’est la création du gouvernement provisoire de la république Algérienne (GPRA) le 19 Septembre 1958.

L’année 1959 commence à Béni Douala par la visite le 24 janvier 1959 du ministre français de la défense de l’époque Guillaumat. Il était accompagné du général Zeller chef d’état major de l’armée, du général Martin, du général Massu et du général Faure. L’exposé d’Oudinot chef de la SAS sur la situation de la SAS et de sa vision de l’avenir n’était pas du gout du ministre. Oudinot finit son exposé ainsi : «(…) J’ai juré et je ne suis pas le seul que je n’amènerai pas une nouvelle fois nos couleurs…jamais, quoi qu’il en arrive, même si vous m’en donniez l’ordre !». Par contre ses amis le général Massu et Faure étaient aux anges, tous les deux, je le rappelle étaient pour la politique de la pacification et feront plus tard parti des putschistes. Quelques jours après, ces derniers lui écrivent pour le remercier.

Le chef de la SAS de Béni Douala notait déjà dans son rapport daté du 5 Mars 1957 ceci : «Nous avons à faire à un ennemi qui nous fait une guerre révolutionnaire (…) et seule la présence au sein des villages permettra d’atteindre notre but». Ainsi l’opération tant rêvée d’Oudinot arrive et se concrétise avec le déclenchement de l’opération Challe pour la Kabylie. L’opération Jumelles débutera donc le 23 juillet 1959, «fort de 380 000 hommes soit un tiers du corps expéditionnaire engagés dans la guerre. Le principal objectif visé est la destruction des wilayats par l’anéantissement des katibates, la destruction des OPA et l’instauration d’une nouvelle force politique appelée l’auto défense.» A Béni-Douala, Orange l’escadron du 2e régiment de parachutistes coloniaux commandé par Haynin Brye et Bleu, une compagnie du même régiment commandée par le lieutenant Lamiaux déballent en cette fin de juillet 1959. Orange s’installe à Ait Idir et les paras de cet escadron investissent les huit villages de la ligne de la crête Est-Ouest et ceux des crêtes secondaires. Quant à ceux du lieutenant Lamiaux, ils investissent les villages de l’autre crête qui est parallèle à celle des 8 villages. Sont surtout ciblés les villages qui sont connus pour leur assistance au maquis. Le couvre feu permanent nuit et jour est instauré jusqu’au nouvel ordre, personne, femmes et enfants inclus ne doit sortir du village, tout contrevenant met sa vie en danger… tels sont les ordres du chef de la SAS de Béni-Douala. En plus des restrictions qui ont affamé les habitants, les humiliations de tout genre, les arrestations, la torture et la liquidation physique des prisonniers étaient les pratiques quotidiennes des paras et de Oudinot qui torture de ses mains femmes et hommes et acheve les prisonniers qui ont résisté à la torture. A propos de cet officier Salah Mekacher secrétaire de la wilaya III écrivait : «Cet élément de l’armée française n’a rien d’un soldat. Il n’y a pour le décrire qu’une épithète, celle d’un nazi. Ce fut un tortionnaire qui terrorisa toute la population de Béni-Douala qui se souviendra longtemps de lui. Il deviendra par la suite un OAS parmi les plus féroces dans la poursuite du génocide, avec les exécutions sommaires et les liquidations.» Avec la force et la terreur, en prenant en otage la population en appliquant la politique de la carotte et du bâton, Oudinot impose sa politique de pacification.

La 9e compagnie du lieutenant Bovero remplace l’escadron de Haynin et la 6e s’installent à Ait Bouyehia. Ainsi, des postes militaires étaient installes dans la majorité des villages et quadrillent tout le secteur. Après que De Gaulle a dit : ‘‘Je vous ai compris’’ à Alger et ‘‘vive l’Algérie Française” à Mostaganem lors de son voyage de juin 1958 en Algérie, il met fin aux espoirs des défenseurs de la pacification en Aout 1959 en Kabylie, au moment où l’opération jumelles bat son plein. A Béni Douala, plus précisément à Tizi-Hibel, devant un parterre de généraux acquis pour l’Algérie française il parla pour la première fois de l’autodétermination. Après le cessez-le-feu, les Algériens choisiront entre la francisation ou l’intégration, l’association avec la France et la sécession c’est-à-dire l’indépendance. Seulement, d’un côté De Gaulle propose la paix d’un autre côté il applique une autre stratégie militaire pour anéantir le maquis. N’a-t-il pas dit : «Il fallait finir, et bien !» La stratégie de De Gaulle était claire, son objectif était d’être en position de force lors de la négociation pour imposer son choix.

La purge, la mort de Amirouche en mars 1959, l’opération jumelles n’ont pas venu à bout de L’ALN. Il n y’avait pas eu la réédition attendue et souhaitée par les officiers français, l’ALN, au contraire elle releva la tète avec le nouveau chef de la wilaya III Mouhend Oulhadj. Le train des négociations avance et le cessez le feu fait place à l’indépendance. Aux Ath Douala comme tout ailleurs en Kabylie, dans les villages, les habitants tentent de panser leurs blessures et s’occupaient à faire des sépultures dignes à leur valeureux chouhadas. Les blessures n’étaient pas encore cicatrisées qu’un autre conflit commence et cette fois-ci entre Algériens. La liberté pour laquelle des milliers ont sacrifiés leurs vies se trouve confisquée par un pouvoir autoritaire. Ainsi, beaucoup de maquisards d’Ath Douala ont rejoint l’insurrection de 1963 et la suite on la connait…

Après la création de Agraw Imazighen où l’académie berbère à Paris par Bessaoud Mouhend Arab, une cellule de militants à leur tète Smail Medjber travaillant en relation avec l’académie pour la sensibilisation des citoyens à la cause berbère était créée aux Ath Douala. Et plus tard dans les années 70, un groupe de jeunes militants de la cause berbère dont Medjber de Taourirt Mousa, Haroun, Cheradi et d’autres fonda une organisation des forces berbères dont l’objectif principal était la défense et la promotion de la langue amazighe. Ils étaient arrêtes en décembre 1975 dans l’affaire dite des poseurs de bombes puis condamnés à de lourdes peines de prison. Ils sortiront malades en Juillet 1987. La plus part d’entre eux n’ont pas baissé pour autant les bras, au dépend de leur santé, ils continueront à lutter à l’exemple de Medjber qui a contribué à la promotion de la langue et culture amazigh par la création en 1996 de la revue ABC Amazigh (1996-2001). En 1980, dans Tafsut n Imazighen les Ath Douala n’étaient pas du reste absents des événements, bien au contraire on les retrouve comme toujours dans les premiers rangs comme animateurs du mouvement, au lycée, à l’université, à l’usine… Ainsi, les militants de la cause berbère, Chemim Mokrane d’Ighil Bouzrou et Berdous Mammar de Tagemmout Azzouz faisaient partie des 24 détenus. Le sacrifice des Ath Douala ne s’arrêtait pas là, après avoir été blessé par balles par les gendarmes à Aïn El Hemmam en en octobre 1988 puis kidnappé par les terroristes islamistes en septembre 1994, l’enfant cher des Ath Douala, le chanteur militant de la cause berbère et des droits de l’homme Lounes Matoub était assassiné le 25 juin 1998 par des lâches ennemis de la liberté et de la démocratie au lieu dit Tala Bounan. Et enfin en 2002, lors de Tafsut Taberkant ou le Printemps noir, le mouvement des arouch prit naissance à Ath Douala après l’assassinat du jeune lycéen Masinissa Guermah par la gendarmerie de cette région. Pour ne pas conclure, l’esprit de liberté et d’indépendance qu’animent les Amazighs, on le retrouve toujours chez les Ath Douala. Il se manifeste par la résistance contre l’étranger d’abord, ensuite contre le pouvoir en place et contre l’obscurantisme. Les Ath Douala tout comme les Kabyles ne cessent d’être là, présents à tous les moments forts de l’histoire que traverse le pays kabyle et l’Algérie pour contribuer à l’édification et la concrétisation des idéaux des Amazighs.

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Bibliographie

1) Abboute.A, 2009, Avril 80 : Un des 24 détenus témoigne, Edité à compte d’auteur.

2) Boulifa.A, 1925 Le Djurdjura à travers l’histoire, Organisation et indépendance des Zouaouas, Alger Bringou.

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4) Chaker. S, 1990, Imazighen ass -a, Alger, Bouchene.

5) Chemim.M, 2009, Berberes d’Afrique du Nord, Etre ou Disparaître, Edition Le Savoir.

6) Dahmani. M, 1987 Economie et société en grande Kabylie, Alger, O.P.U.

7) Dessomes F, 1964 Notes sur l’histoire des Kabyles P.DB n°84 Fort National.

8) Devaux. C, 1859, Des Kebailles du Djerdjera,Editions, Camoin frere.

9) Genevois.H,1972 Taguemout Azzouz des Beni Mahmoud, FDB

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