“Le Ramadan des uns et celui des autres”

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“Si cela ne tenait qu’à moi, je serais avec mon père et ma mère», nous a confié Mustapha, un “Zoufri’’(hors wilaya), qui vient de la wilaya de M’sila. Beaucoup de jeunes pourraient prendre à leur compte cette phrase lancée par notre interlocuteur, qui habite à M’sila et qui travaille à Alger. En effet, ils sont nombreux ceux qui comme Mustapha, rompent le jeûne loin de leurs familles et de leurs enfants, non autour d’une table en famille, mais dans les restos de la Rahma. Nous les avons rencontrés à la rupture du jeûne, à la Place des Martyrs comme ailleurs. Autour d’une même table, on retrouve souvent des gens qui se connaissent à peine, mais qui conversent comme s’ils étaient de bons vieux amis. Et c’est une nouvelle relation sociale qui se tisse à partir de ces rencontres improvisées. “Nous nous sommes rencontrés le premier jour de Ramadan, et nous avons vite sympathisé. Nous partageons non seulement le repas du f’tour, mais nous parlons de choses et d’autres comme si nous nous connaissions depuis longtemps. C’est peut être pour créer cette ambiance familiale qui nous manque tellement», nous dira Rafik qui est issu de la wilaya de Sétif et qui travaille à la capitale dans un chantier. “Ce qui me pèse le plus c’est le sentiment de solitude !” dira Zoubir, sur un ton triste.

Ces derniers de plus en plus nombreux, se plaignent de ce sentiment de vide et de solitude, qui s’accentue pendant ce mois sacré où les réunions familiales sont privilégiées, et devant une morosité totale qui couve sur une capitale qui est dépourvue de toutes les commodités d’attraction. D’autres tentent de trouver une certaine forme de compensation, à l’image de Si M’hamed, un quadragénaire qui est apparemment un habitué des lieux : “Vous savez, ce n’est pas trop mal. C’est vrai le f’tour n’est pas toujours très bon, je veux dire que ce n’est certainement pas comme celui que l’on prépare chez soi, mais l’ambiance est assez agréable», lance-t-il.

Quelque fois, des familles viennent aussi y goûter…

Le phénomène est donc complexe. D’une part, il y a ceux qui ne peuvent faire autrement et sont obligés de rompre le jeûne dans un endroit impersonnel, faisant contre mauvaise fortune bon cœur et d’autre part, il y a ces petites familles qui, par moment, essaient d’échapper à la routine et tentent l’aventure. Même si le repas servi n’est pas toujours très bon.

“C’est trop étroit chez nous, jugez-en, nous sommes 8 personnes dans un studio nous ne pouvons pas être tous au même endroit et au même moment est exigu’’, dira Soufiane, qui habite à la Casbah. “Je suis là dans l’attente que quelqu’un termine, sort, puis moi je le remplace’’, ajoute-t-il. Ce jeune nous l’avons rencontré avec plusieurs autres de son quartier, vivant tous dans la même situation et se trouvant tous là pour la même raison. Pas seulement à la Place des Martyrs, mais dans plusieurs quartiers d’Alger. “Le destin en a voulu ainsi», dira Said sur un ton résigné alors que Mohamed ne cache pas sa préférence pour un f’tour avec ses parents : “Si cela ne tenait qu’à moi, je serais maintenant avec ma mère et mon père.”

Comme ces gens, des milliers de personnes, pour une raison ou une autre, rompent le jeûne en dehors de chez eux, loin de leurs familles. Le phénomène est de plus en plus répandu dans le milieu urbain. Si, généralement, cette population est obligée de prendre son f’tour dans des restos privés ou bien des restos de la Rahma, pour des raisons d’éloignement, de nouveaux facteurs motivent ce choix. En effet, une clientèle de plus en plus importante se constitue et participe ainsi à changer fortement la physionomie de la ville, donnant lieu à un nouveau mode de vie propre au mois de Ramadan.

Yahia Maouchi

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