De l’autre côté du 8 mars

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Une seule chose les préoccupent : finir la journée avec un maximum de sous et sans trop de dégâts. Elles, ce sont comme dirait-il un cheikh en fiqh « Nos sœurs, nos mères et nos femmes ». Ou, comme dira un humain qui vomit le code de l’infamie, « des Hommes comme vous et moi ». Le regard que l’on pose sur elle est ou inquisiteur ou de compassion stérile. Pour notre part, nous refusons l’un et l’autre. Nous proposons une sorte d’arrêt sur image sur un vécu au féminin pluriel. Un vécu que sûrement l’UNFA ignorera en déposant la traditionnelle gerbe de fleurs à la mémoire de…

Dhaouia, l’ancienneElle a 55 ans, à l’âge de 19 ans, Dhaouia sera mariée à un homme que ses parents lui avaient choisi. Même si,chaque jour que Dieu fait, elle subissait l’ivresse que son époux lui imposait, elle essaya tant bien que mal de gérer son foyer d’autant plus qu’elle avait deux petites filles qu’il fallait élever dans de meilleures conditions. De plus en plus insupportable, le mari pousse Dhaouia à l’extrême : demander le divorce.Elle se retrouve sans travail avec deux filles à charge. « Je n’ai jamais été à l’école. Je n’avais donc aucune qualification pour prétendre à un emploi », elle se rabat donc sur le plus vieux métier du monde. Elle nous apprendra que ses débuts dans le milieu étaient insupportables. « Je me détestais », nous avouera-t-elle. Mais, les deux filles étaient là. Maladroitement, Dhaouia a commencé par faire les trottoirs. La prostitution à ciel ouvert durera trois années. Un jour, une fille plus expérimentée lui propose de travailler dans des boîtes. Elle ne se fera pas prier.Pendant très longtemps, la boîte deviendra pour Dhaouia un véritable chez-elle. Elle y trouve plus d’argent et plus de sécurité. Entre temps, ses filles grandissent. Ces dernières ne sauront jamais qu’elles vivent de la prostitution. Leur mère réussira à leur cacher son environnement. « Jamais mes filles ne vivront mon parcours, je les protégerai même si je dois donner ma vie », dira Dhaouia, en étouffant un sanglot.Le temps passe. Dhaouia vieillit. Les boîtes ne veulent plus d’elle. Dans ce métier, à quarante ans on est bon pour la retraite. La vie, elle, est toujours plus exigeante. Ses filles vont à l’école. La charge est de plus en plus lourde. Après avoir poireauté quelque temps, l’ancienne découvre « le maquis ». Ce dernier est une sorte de bar-restaurant à ciel ouvert. Il est chaque soir fréquenté par les amateurs de la belle étoile enivrante. Au maquis Dhaouia est essentiellement chargée de grillade. Le déhanchement d’antan ne fait plus recette et elle en a conscience. Cela étant, elle ne s’en sort pas mal avec son choua. Et puis, elle est plutôt respectée par les clients qui connaissant son parcours et ne lésinent pas sur les pourboires. »Le maquis » est sans doute la dernière étape avant la retraite finale, pour Dhaouia. Elle vieillit. Ses filles aussi deviendront un jour grandes et peut-être même très grandes grâce au sacrifice de leur mère-résistance pour qui le 8 mars est une journée comme les autres. C’est-à-dire, une journée de grillade au maquis.

Les premiers pas de MouniaPour cet arrêt sur image, il n’est question ni de boîte, ni de trottoir ni encore moins, de « maquis ». « Notre femme » travaille dans une pizzeria. Vue de l’extérieur, l’établissement à tout l’air d’une pizzeria anodine. Nous entrons avec notre ami Sofiane, un jeune qui connaît bien le « fonctionnement » de la boîte et d’autres encore. D’emblée, les employés nous scrutent du regard. Cela ne nous empêcha pas de prendre place et de commander deux cafés à… 100 DA. L’odeur de l’urine mêlée à la fumée de cigarettes était insupportable. Mounia,une jeune fille, vient nous servir en affichant un sourire grand comme ça. La salle était masculine plurielle.En fait, nous apprendra Sofiane, tout se passe dans l’autre salle. Mais, impossible d’y accéder sans être accompagné. Nous tentons le tout pour le tout. Nous appelons celui qui avait l’air d’être le patron, déclinons notre identité et lui expliquons l’objet de notre visite, tout en lui garantissant l’anonymat de l’établissement. A près un moment de flottement, le patron finit par sourire et nous ouvrir son établissement. Nous passons dans l’autre salle. Elle ressemble à un long wagon de train avec couchettes. De part et d’autre du couloir qui ne dépasse pas les 25 centimètres de largeur sont engouffrés des couples derrière des rideaux.Ni pizza ni thé n’étaient le souci des « tourtereaux ». Nous ne pouvions interrompre leurs ébats avec nos questions qu’ils trouveraient sans aucun doute malvenues. Nous regagnons nos tasses de café et rappelons Mounia.Mounia a 20 ans. Elle est originaire de la région de Sidi Aïssa, très jeune, elle a été placée par ses parents à l’assistance de Bir Khadem. Ayant divorcé puis s’étant remarié chacun de son côté, Mounia devint une charge pour ses parents. La solution : se débarrasser d’elle. La jeune fille qu’elle est devenue traînera son statut de SDF çà et là pour atterrir à Bouira. « Je ne sais même pas où passer la nuit ce soir », nous avoue Mounia pour laisser entendre que, malgré elle, elle s’accrochera à la première proposition. « Je ne cherche qu’à quitter ce milieu. Comment faire ? », nous interrogeait-elle. La question nous mit mal à l’aise. Mounia retient difficilement ses larmes en nous disant : « Je n’ai personne bach yesterni men el âar (protéger de la débauche) ». Nous n’avons même pas songé à lui demander ce qu’elle pensait du 8 mars. Cela aurait été ridicule. Tout comme pour Dhaouia son aînée, le 8 mars est une autre journée à soustraire par tous les moyens à sa destinée de SDF.Nous lui demandons si des mineurs fréquentaient l’établissement. Elle se tait, regarde le patron et les deux autres employés et répond : « Non » !

Des maquereaux dans la villeAvec des mots à elle, Mounia nous parlera du proxénétisme : -Je connais des filles qui vivent en famille et qui ne manquent de rien, mais fréquentent ce milieu.

-Pour de l’argent ?Oui, mais, pas pour elles. Chwakerhoum (les proxénètes) les terrorisent. Si elles ne leurs remettent pas une somme d’argent chaque jour, elles risquent d’être tabassées. Sur le sujet, le patron s’étalera davantage. Il nous expliquera qu’un proxénétisme organisé existe à Bouira. Des individus prennent en charge des fugueuses. Ils mettent à leur disposition des appartements qu’elles rejoignent chaque soir. En échange, il leur est exigé de s’acquitter d’une certaine somme d’argent. Des filles seraient, selon notre interlocuteur, poussées par leurs parents dans ce milieu. « Ouache theb, l’mizirya (c’est la pauvreté !) », justifie-t-il.

La femme de ménageElle est mariée et a trois enfants. La famille est plus ou moins heureuse. Nouara, car c’est d’elle qu’il s’agit, était loin d’imaginer qu’un jour elle serait dans une situation qui la pousserait à l’extrême. Pourtant ce jour arriva. Son mari sera impliqué dans une affaire de vol et sera arrêté, jugé et emprisonné pour une longue durée. Sans qualification, sa femme réussira cependant à trouver du travail comme femme de ménage. Le métier, celui qu’on aurait préféré laisser aux autres, ne satisfait pas les exigences matérielles de la vie. Les enfants, deux jeunes hommes et une jeune fille, grandissent, leurs besoins aussi. « Encouragée » par d’autres femmes vivant la même situation, Nouara se laissera entraîner dans l’univers de la prostitution.Un univers, pour son cas et celui d’autres femmes de ménage, clos. Le « commerce » est intra-muros. Il ne franchit pas les limites du lieu du travail. Tout est organisé, étudié et négocié à l’intérieur, avant le rendez-vous à l’extérieur.Les clients de ces femmes de ménage sont, généralement plus ou moins, des cols blancs. Contrairement aux amateurs de boîtes, ces derniers sont discrets.

La divorcéeComme beaucoup de femmes relativement âgées, Aouicha fait les frais du code de la famille. Son mari s’amourache d’une jeune fille qui aurai pu êtres fille. Il répudie Aouicha et du même coup tout ce qu’il avait construit une vingtaine d’années durant. Deux filles à nourrir et un gîte à trouver au plus vite, Aouicha n’a plus aucun choix. Elle fréquente la Pizzeria de tout à l’heure. Toutes les jeunes filles connaissent son histoire. Mounia la considère un peu comme sa maman.

L’étudianteHayat nous parle de Fadila, une amie à elle : « Nous avons été au lycée ensemble. C’était une fille qui en apparence ne manquait de rien. Elle semblait plutôt heureuse et bien dans sa peau ». Fadila décrochera son visa pour l’université. Une année après, affirme Hayat, elle se métamorphose : « Elle n’était plus la même Fadila. Elle semblait toujours préoccupée ». Fadila venait de moins en moins à Bouira. Même pendant les vacances, elle restait dans l’Algérois. Puis elle ne donne plus signe de vie. Son amie finira par découvrir le secret. En fait, Fadila vivait en ménage avec un homme d’un certain âge. Ce dernier la tenait en mettant à sa disposition des moyens de jet-seteur. La jeune fille qui ne semblait n’avoir d’yeux que pour la surface était comme droguée par les gadgets matériels. Son compagnon, lui aussi, assure Hayat, n’était intéressé que par la surface. Et justement parce qu’il ne s’agit que de surface, l’homme se sépare de Fadila. Hayat affirme que personne n’a de nouvelles d’elle.De temps à autre des personnes de sa connaissance affirment l’avoir vue dans telle ou telle ville. L’étudiante, ou l’ex-étudiante, est sans aucun doute passée de l’autre côté de la Journée internationale de la femme.

T. Ould Amar

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