« J’ai démissionné pour éviter de mentir à mes concitoyens

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Elu en octobre 2007, à la tête de l’Assemblée populaire communale de Kherrata, il a démissionné le 7 avril courant, avant d’être rejoint, six jours plus tard, par les autres membres de l’exécutif, ses trois colistiers FLN.

Une démission d’un maire de l’Alliance présidentielle au pouvoir laminée par les débats parlementaires sur le nouveau Code communal.

Entretien réalisé par A. Gana :

Kheireddine Amrane, le désormais ex- maire de Kherrata a bien voulu nous livrer les raisons de son départ. Interview.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à démissionner ?

Elles sont multiples et c’est une décision mûrement réfléchie mais l’une des raisons essentielles est que notre pays traverse une situation des plus critiques sans que personne ne s’en soucie. Avec une insécurité totale, une instabilité à tous les niveaux et un tas d’autres choses, le pays agonise et apparemment c’est tout le monde qui trouve son compte sauf moi. Je ne pouvais continuer à cautionner de telles choses en ma qualité de représentant de l’Etat et d’élu du peuple. Une double casquette difficile à porter.

C’est-à-dire ?

Mais franchement ,vous ne voyez pas que le pays se débat dans une situation à tel point que le recours à la rue est devenu chose courante et que les pouvoirs publics semblent avaliser surtout au niveau de notre wilaya. Ce comportement citoyen est un cancer qui peut contaminer beaucoup d’autres régions du pays lequel pourrait engendrer une situation de chaos dans le pays d’ici quelques temps.

Les citoyens n’ont pas raison de faire entendre leurs voix ?

Si. Ils ont tout à fait raison surtout que nos décideurs n’arrêtent pas de crier haut et fort que l’Algérie a beaucoup d’argent mais sans, hélas, que cela ne se traduise sur le terrain. C’est pour cela que j’ai décidé de démissionner pour éviter de mentir à mes concitoyens contrairement à ce que font nos décideurs qui ne cessent d’utiliser la langue de bois dans leurs différents discours.

Donc, toutes ces promesses de faire de l’Algérie une fleur ne sont qu’utopie ?

C’est tout le monde qui en a pris conscience mais le fait que le citoyen se satisfasse de la délivrance à temps d’un simple extrait de naissance prouve tout simplement que même les citoyens refusent la vérité. Il y a absence totale de l’Etat, qu’on le veuille ou pas. Les récentes émeutes citoyennes ont fait qu’il y ait eu des vols, des incendies, des saccages sans que quiconque ne daigne intervenir dans l’intérêt du pays. D’ailleurs, je prendrais le simple exemple de ma commune où des cambrioleurs, ayant profité des émeutes populaires pour s’introduire dans le parc communal et voler certaines pièces, ont été interceptés dans la wilaya de Sétif en possession du butin du vol puis ont été acquittés par la Justice. Peut-on continuer à travailler dans de telles situations ?

Pour vous le problème se situe au niveau supérieur ?

Mais bien sûr. Je tiens à rappeler que j’ai démissionné pour ne pas être le porte-parole d’un clan de menteurs alors que j’avais promis à mes concitoyens lors de la campagne électorale que je rendrais le tablier dans le cas où il n y aurait aucune amélioration de la situation.

De quelle situation ?

En décidant de me présenter aux élections de 2007, j’avais cru les pouvoirs publics qui avaient déclaré que la réforme du Code communal avec son fameux statut de l’élu se fera en priorité et que les nouveaux élus l’appliqueront en plus de la promesse qu’il y aura une banque qui financera sans intérêts tous les projets communaux de développement. Rien de tout cela n’a été fait et je n’ai fait donc que respecter mes engagements avec les citoyens de Kherrata en démissionnant.

Au fait, votre démission a été acceptée sur le champ ?

Cela se voit qu’on m’attendait au tournant. Effectivement, envoyée le 07 avril, ma démission a eu l’aval du wali sans qu’il ne me demande de la justifier, lequel a, d’ailleurs, dépêché le DRAG et le chef de daïra de la localité six jours plus tard, pour procéder à l’installation d’un nouveau maire mais mes colistiers du parti ont démissionné , une réunion à laquelle d’ailleurs, j’ai été invité en ma qualité d’élu alors que j’avais démissionné non seulement du poste de président mais aussi de celui de membre de l’APC.

Démissionnaire de l’APC mais pas de votre parti, le FLN ?

Pas du tout. Je suis au FLN et j’y resterai. Si je dérange qui que ce soit dans ce parti qu’il parte mais moi je ne partirai pas. J’épouse totalement la politique de mon parti même si je continue à ne pas être d’accord avec la direction nationale comme je vous l’avais d’ailleurs déclaré dans l’interview que je vous avais accordée il y a deux années de cela. Je suis un homme à principes et ce n’est pas aujourd’hui que je changerai.

On se souvient justement que lors de l’interview de 2009, vous avez appelé à une démission collective de tous les élus locaux…

Effectivement, car une démission individuelle n’a pas de sens mais je voulais justement attirer l’attention de mes collègues que l’élu au niveau local n’est pas protégé comme c’est le cas des parlementaires qui sont loin de la population tout en ayant l’immunité en plus d’un bon salaire.

Déjà en 1992, vous avez démissionné de votre poste de membre de l’APC et maintenant vous récidivez. N’avez-vous pas peur d’être taxé de fuyard par les électeurs aux prochaines joutes électorales ?

A l’époque, j’avais démissionné pour dénoncer l’arrêt du processus électoral et l’emprisonnement arbitraire de certains citoyens, aujourd’hui je l’ai fait car je refuse de mentir à mes concitoyens et d’être le porte- parole de spécialistes de la langue de bois.

En étant victime justement de cette langue de bois, le citoyen ne fait plus confiance aux élus locaux qu’il ne croit plus au même titre que les responsables d’en haut. Alors, je préfère faire passer l’intérêt de ma commune avant le mien et d’ailleurs je ne risque pas de me représenter s’il n y a aucune amélioration. Je suis convaincu que les citoyens ne peuvent condamner les gens honnêtes qui ont le courage de dire la vérité.

En parlant des communes justement, elles sont abandonnées à ce point ?

A ce rythme et en se basant sur les mêmes moyens, d’ici un quart de siècle, nous n’arriverons pas à satisfaire les doléances citoyennes recensées et arrêtées à la date d’aujourd’hui.

Les PCD qui sont le seul moyen dont dispose la mairie pour répondre à ces attentes est de 2 milliards 800 millions de centimes pour notre commune alors que cette dernière, par exemple, a beaucoup de retard dans les réseaux d’assainissement, d’adduction en eau potable, de routes dont le réseau est de près d’une centaine de kilomètres dont les quatre cinquièmes dans un état des plus lamentables. Si notre APC s’amusait à dépenser le montant des PCD dans l’achat de bonbons à distribuer aux citoyens, il y aura assurément des mécontents.

Donc, la commune de Kherrata est très lésée ?

Pas uniquement Kherrata. Bref, si je dois parler uniquement de ma commune, effectivement elle est non seulement déficitaire mais aussi elle bénéfice, à l’instar toutefois d’autres communes de la wilaya, d’un montant des PCD très dérisoire par rapport à son importance en population. A titre d’exemple, les subventions allouées par la commune du chef-lieu aux associations sportives représentent le double du budget de toute la commune de Kherrata lequel est de douze milliards de centimes, montant qui n’arrive même pas à couvrir les salaires et les charges obligatoires.

Le Code communal en débat en ce moment à l’APN doit justement prendre en considération ces lacunes. Avez-vous été associé à son élaboration ?

C’est à travers la presse que nous entendons parler de ce nouveau code.

On veut mettre la charrue avant les bœufs. Il faut des moyens avant de penser à élaborer un nouveau Code communal. Beaucoup d’élus, dont des centaines ont menacé de démissionner ces derniers temps, attendent de ce code, l’amélioration de leur situation notamment financière en faisant fi de celle de leurs communes et de leurs concitoyens.

Il y a énormément de personnes qui ont perdu leurs principes et autant que la situation actuelle du pays arrange. Il y a un mutisme sur la situation actuelle du pays et je ne peux continuer à cautionner tout cela. Il valait mieux que je me retire.

Il y a quand même des projets qui se font à Kherrata tel que celui de l’évitement de la ville…

Il y a une très grande lenteur dans la réalisation de ce projet justement. Alors que les arrêtés d’expropriation ont été signés par le wali que je me suis chargé de notifier aux intéressés, conformément à la réglementation, aucun propriétaire n’a été indemnisé à ce jour. Le travail se fait à l’algérienne comme d’habitude et les délais de réalisation ne seront jamais respectés, j’en suis convaincu.

Un dernier mot ?

J’ai mûrement réfléchi avant de démissionner et je l’ai fait à l’européenne non pas comme les élus du tiers monde qui reviennent sur leur décision. Comme je l’avais dit, je ne me représenterai plus aux élections si la situation reste telle quelle. Il est temps que l’on prenne conscience que nous avons réellement atteint l’abîme.

A. Gana

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