La grogne des transporteurs en commun

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A la nouvelle gare routière de Béjaïa, les esprits s’échauffent vite. Dans une course contre la montre, des transporteurs travaillant sur des lignes interurbaines s’engueulaient, mardi matin, sous une aubette submergée par des usagers des transports en commun. C’est la grogne chez les transporteurs.

Les minutes s’égrènent, des empoignades entre transporteurs accablent les chefs de quais. Des chefs qui se battent sur tous les fronts. Ils régulent les flux, veillent au respect des horaires, orientent les usagers et, surtout, interviennent pour calmer des esprits surexcités.  » Essayez de vous entendre sans hausser le ton « , une rhétorique bien huilée et… à peu de frais, répétée à longueur de journée, par des chefs de quais, apparemment coriaces.

Et pourtant, d’aucuns prédisaient que le temps où les transporteurs des lignes intra-urbaines se disputaient quelques arpents de bitume à la station du Stade ou celle de l’arrière-port était bel et bien révolu à la faveur de la mise en service de la nouvelle gare routière de Béjaïa, tant attendue. Malheureusement pas !

Après une première action de protestation de quelques transporteurs travaillant sur des lignes inter-wilaya, ce sont les 47 transporteurs assurant la liaison Oued-Ghir- Béjaïa qui sont montés au créneau en observant un arrêt de travail d’une demi-journée, samedi 25 juin.

Ils indiquent avoir donné un ultimatum d’une semaine au directeur des transporteurs de Béjaïa pour revoir la décision de leur transfert de la station du Stade vers la nouvelle gare routière.  » C’est une décision irréfléchie prise sans consulter au préalable les transporteurs pour, au moins, leur fournir des explications concernant leur nouveau cadre de travail  » résument quelques transporteurs assurant la desserte Oued-Ghir- Béjaïa.

Les transporteurs mécontents de Oued-Ghir espèrent même un retour aux “sources’’ dans les tous prochains jours, préférant ainsi troquer une infrastructure disposant de toutes les commodités contre quelques mètres carrés de désolation. C’est-à-dire l’ex-station de bus du Stade sans Abribus, sans sanitaires, sans ombre, sans rien. Incompréhensible attitude !

Ils motivent leur choix, expliquent-ils, par une baisse importante de leur chiffre d’affaire et l’augmentation des charges au niveau de la nouvelle gare routière. Une baisse de plus de 50% du chiffre d’affaire et une augmentation de 1000% de charges, suivant leurs calculs.

 » Nous voulons aussi un changement de type de ligne en passant de l’interurbain à l’urbain » plaident-ils.

Au cœur de la tempête

Prise en étau entre des usagers ‘’déroutés’’ et des transporteurs en colère suite à leur transfert et l’augmentation des charges liées aux droits d’accès et de stationnement, la direction de la nouvelle gare routière de Béjaïa se trouve depuis la mi-juin au cœur d’une tempête.

De quai en quai, un vent de fronde souffle sur la nouvelle gare routière de Béjaïa, mais la succursale bougiote de Sogral reste, toutefois, droit dans ses bottes, du moins jusqu’à maintenant.

Elle compte même déclarer la guerre à l’anarchie. Une anarchie que traînent des transporteurs habitués à dicter leur loi par le passé en se soustrayant notamment à la réglementation.  » Une réglementation pourtant juste  » explique avec chaleur et volubilité Farès Tazarart, le tout nouveau directeur de la nouvelle gare routière de Béjaïa.

Farès Tazarart estime que les transporteurs d’Oued-Ghir mettent sur le tapis  » un faux problème « . Il pointe du doigt quelques ‘’apprenti-transporteurs’’ qui chercheraient à plonger la nouvelle gare routière dans l’anarchie pour, lâche-t-il,  » ne pas se conformer à la réglementation en vigueur « .

Une réglementation qu’il compte bien appliquer à la lettre même au risque de s’attirer les foudres des ‘’lobbies’’ des transports en commun.  » Nous avons procédé dès l’ouverture de cette gare à la répartition des quais pour permettre aux usagers de se retrouver. Les chefs de quais veillent au respect des horaires et la régulation des flux. Nous tenons à ce que les transporteurs respectent à la lettre la réglementation » explique-t-il.  » Sous peu, ce sera la tolérance zéro. Nous sévirons en cas de manquement et les transporteurs réfractaires seront carrément radiés » met-il en garde. Même la criée, poursuit-il, sera interdite.

Au service des usagers

Dans les locaux impeccablement entretenus de la nouvelle gare, des agents de sécurité veillent au grain. C’est une autre guerre qui est déclaré par la succursale locale de Sogral aux “racoleurs’’.  » Le bien-être, l’intégrité physique et morale des usagers et leur sécurité sont nos priorités  » souligne Farès Tazarart. Il se déclare prêt à  » recevoir, écouter et prendre en charge toutes les réclamations des usagers des transports en commun ».

Depuis l’inauguration de la nouvelle gare routière de Béjaïa, aucune agression physique ou verbal, ni vol n’ont été enregistrés, se félicite notre interlocuteur.

Derrière son comptoir en fer à cheval, la préposée à l’accueil semble boire les propos des voyageurs. Sans répit, elle écoute, puis répond sur un ton affable à toutes les questions.  » Il est de mon devoir d’éclaircir les voyageurs en leur fournissant les renseignements nécessaires  » dit-elle, sourire en coin, un peu hésitante.

Et pourtant ! La nouvelle gare routière dispose d’un système de téléaffichage pour permettre aux voyageurs de prendre connaissance des départs et arrivées des bus desservant notamment des lignes inter-wilaya. Une infrastructure offrant aussi toutes les commodités nécessaires aux milliers de voyageurs qui y transitent quotidiennement.

15 dinars de trop !

Les déplacements en transports en commun à Béjaïa reviennent désormais plus chers pour les usagers. 15 dinars de plus pour un déplacement de la nouvelle gare jusqu’au centre ville. Et autant pour y retourner. Un aller-retour à 30 DA. Donc de quoi s’en plaindre.

La délocalisation des stations de fourgons de l’arrière- port et du Stade vers la nouvelle gare routière est d’ailleurs diversement accueillie par les usagers des transports en commun des différentes régions de la wilaya de Béjaïa.

Des habitants des régions situées à moins de 15 kilomètres du chef-lieu de wilaya se disent contre cette décision.  » C’est trop !  » estime Sofiane, originaire de Tala Hamza et cadre dans une entreprise privée.

Comme lui, des centaines, voire des milliers d’usagers des transports en commun, notamment ceux faisant des déplacements quotidiens, disent qu’ils trouvent la situation  » inacceptable « .

Et pour cause, pour un aller-retour le prix du ticket est passé de 30 à 60 DA, soit le double. Des augmentations ressenties par les citoyens des communes d’Oued-Ghir, Tala Hamza et Tichy.

Sous un soleil de feu, des dizaines de personnes faisant escale à la nouvelle gare routière s’entassent dans un bus de l’ETUB (Entreprise du transport urbain de Béjaïa). Quelques-uns perdent vite patience après quelques minutes d’attente. Le chauffeur manque à l’appel.  » Le receveur est déjà passé pour récupérer les 15DA, mais le chauffeur n’est même pas là qu’attendent-ils pour démarrer  » s’emporte une quadragénaire, apparemment pressée d’arriver à destination, le boulevard Amirouche.

Multiplication des correspondances, temps de voyages longs et inconfort lié à l’entassement concourent à stresser les usagers des moyens de transports en commun à Béjaïa. Des usagers peu enclins également à changer leurs habitudes.

De et vers la nouvelle gare routière, l’ETUB met à la disposition de ces clients, 15 bus d’une capacité de 100 places chacun. Ces bus assurent des navettes vers trois destinations, le boulevard Amirouche, l’ex-SNTV et l’ex-station de bus du Stade.

Les taxieurs réticents

Sur les bandes de bitume de la nouvelle gare routière de Béjaïa, pas l’ombre d’un seul taxi ! Et pour cause, les taxieurs de Béjaïa n’ont pas  » accepté les conditions de Sogral « , révèle Farès Tazarart.  » Ils s’opposent aux procédures habituelles et au principe de facturation liés aux droits d’accès et de stationnement « dit-il, en ajoutant que ces derniers lui avaient proposé un mode de paiement peu orthodoxe.  » Les taxieurs espèrent un paiement de 100 DA pour chaque accès, ce qui est contraire à la réglementation de Sogral  » précise-t-il.

Le transport par taxis à Béjaïa, faut-il le signaler, demeure en deçà des attentes. Seulement 917 licences de taxis parmi les 4286 attribuées sont exploitées, soit un taux de 21, 39%.

La direction des transports de Béjaïa indique dans un récent rapport présenté aux élus de l’APW que  » le transport routier de voyageurs est caractérisé par une meilleure assise en matière d’offre des moyens de transport qui est sans cesse évolutive « .

Il est précisé dans le même document, lourd de plusieurs pages, que le mode de transport est à grande part assuré par des opérateurs privés, lesquels sont au nombre de 2503 totalisant un parc roulant de 2744 véhicules d’une capacité de 63209 places. L’apport du privé en moyens de transport, est-il souligné a considérablement atténué le déséquilibre existant auparavant entre l’offre et la demande.

De nouvelles lignes de types inter-wilaya au départ de Béjaïa vers plusieurs wilayas du pays, dont Ghardaïa, Bechar, Annaba et tant d’autres destinations, seraient mises en exploitation dans les tout prochains mois. C’est du moins ce que nous déclare Farés Tazarart, directeur de la gare routière de Béjaïa.

Dans le même rapport, le premier responsable du secteur dresse le constat suivant :  » la wilaya de Béjaïa est bien dotée en moyens de transport, malheureusement le professionnalisme (…) n’a pas suivi l’évolution de l’offre de transport, ce qui n’a pas manqué d’affecter la qualité de service. « 

Qui peut bien fixer les règles du jeu pour faire sortir le secteur des transports de cette “anarchie caractérisée’’ ? dixit Hamou Ahmed Touhami, wali de Béjaïa.

Dalil S.

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