Accueil Évènement Béjaia : Les salles obscures dans le noir

Béjaia : Les salles obscures dans le noir

4410
- PUBLICITÉ -

La wilaya de Béjaïa ne compte que 10 salles de cinéma pour près d’un million d’habitants. Et pour enfoncer le clou, seule la cinémathèque, celle de la ville de Béjaia, a les moyens de projeter en 35mm, et elle est à l’arrêt pour rénovation. Les autres sont soit abandonnées, soit exploitées par des privés en vidéo-projection. Pour démêler le pourquoi du comment de ce marasme cinématographique, nous avons enquêté sur la gestion de quelques salles obscures.

- PUBLICITÉ -

Portail d’entrée battant au gré des quatre vents, une bâtisse à la peinture décrépie, et aux vitres cassées, au milieu d’une cour rongée par les mauvaises herbes… On est au cinéma de la ville d’Aokas. Crée en 1982, le cinéma d’Aokas a changé d’appellation officielle, il est devenu « Salle des fêtes, cinéma du 20 Août 1956 ». En effet, cet édifice en état de détérioration avancé ne sert plus qu’à accueillir les fêtes de mariage des habitants de la commune pour un prix symbolique pour les familles démunies de la ville. Selon M. Saadi Djouder, premier adjoint du P/APC d’Aokas, « la restauration du cinéma coûtera à la collectivité 4 millions DA, et notre commune n’a pas le budget suffisant pour ce genre de projet, mais le cas de cet édifice est à l’ordre du jour de la prochaine assemblée communale pour décider de ce qui devrait être fait pour sauver ce patrimoine culturel ». Et quelle serait justement la solution que les autorités préconisent ? « Pour l’APC d’Aokas, la meilleure solution, serait de le mettre en adjudication avec un cahier des charges rigoureux pour ne pas refaire les erreurs commises par nos prédécesseurs ». L' »erreur » dont parle M. Djouder remonte à 2005 où l’APC a cédé l’exploitation du cinéma à un opérateur privé contre lequel ils ont entamé des poursuites judiciaires depuis deux ans, pour non paiement des frais d’exploitation.

« Il est hors de question de le céder au ministère de la Culture »

Quant aux avertissements du ministère de la Culture qui menace de récupérer les salles de cinéma inexploitées, le premier adjoint du P/APC est catégorique : »c’est le bien culturel de la commune. Il est hors de question de le céder au ministère de la Culture ». Notre recherche de cet opérateur privé qui a exploité la salle de cinéma d’Aokas de 2005 à 2009, n’a pas été longue car il est connu de tous dans cette ville. Nous l’avons rencontré dans sa vidéothèque, dans laquelle il a aménagé un espace « playstation ». M. Miloud Midouna était projectionniste au cinéma d’Aokas de 1987 jusqu’à sa fermeture vers le début des années 2000. « La commune m’a cédé les droit d’exploitation en 2005, de gré à gré car j’étais le seul prétendant, pour la sommes de 80.000 DA, et pour une durée d’une année, nous explique-t-il, et j’ai du investir près de 600.000 DA en matériel de projection (data show et sonorisation) car le matériel du cinéma était complètement inutilisable ». Et de poursuivre, « les problèmes ont commencé au moment où j’ai demandé à renouveler le contrat d’exploitation, il s’est trouvé qu’il y’avait d’autres soumissionnaires ce qui a fait grimpé le prix à 510.000 DA pour trois années d’exercice. Je l’ai eu tant bien que mal car ce projet me tenait à cœur, cependant, je croyais que les autorités allaient me soutenir dans les travaux de restauration des sièges, de l’étanchéité et mettre à ma disposition des extincteurs. Et à mon grand regret, Ce ne sera pas du tout le cas malgré mes innombrables sollicitations, au contraire, la nouvelle équipe à la tête de l’APC, installée en 2007, a refusé ma demande pour aménager une cafétéria dans le sous-sol. Et c’est pour cela que j’ai refusé de payer les droits d’exploitation car je ne suis pas rentré dans mes frais à cause justement du manque de soutien des autorités ». Concernant le volet exploitation du cinéma, M. Midouna organisait des séances bi-quotidiennes de projection de films pour 20 DA la séance, et 25 DA pour les matchs de foot qui drainaient beaucoup de monde, « il y en avait même qui venaient de Souk El Thenine et de Tichy », nous confie-t-il avec enthousiasme. M. Midouna faisait travailler deux employés, et selon lui, « le prix de la séance n’est que symbolique car je ne pouvais pas demander 50 DA la séance dans une salle pareille ». Aucune association de cinéma n’existe à Aokas

Cinémathèque de Béjaia, après 48.5 millions DA, 3 ans de fermeture… toujours rien

La cinémathèque de Béjaia, anciennement appelée l’Alhambra, puis « la Révolution », ne fait plus le bonheur des cinéphiles depuis mai 2008. Fermée pour cause de travaux de rénovation, la cinémathèque ne projette plus. Et pourtant les travaux, pris en charge par la Direction de l’urbanisme et de la construction (DUC), sont terminés depuis octobre 2010. C’est ce qui se constate de visu, tout a été refait à neuf : une ambiance bleuté très agréable assurée par les 350 sièges et les revêtements, un écran transonore, c’est-à-dire assez fin pour laisser passer le son, dans le cas où les enceintes seraient placées derrière l’écran, et assez dense pour offrir une image contrasté d’une grande qualité. Le « must », c’est l’équipement : deux cabines de projection Ermann 35 mm (fabrication allemande), un vidéoprojecteur (data show) professionnel de haut standing, la sonorisation avec les tables de mixage qui vont avec, et un groupe électrogène pour offrir l’autonomie qu’il sied à l’édifice… tout est flambant neuf, avec en prime, une médiathèque de 10 postes ayant un accès sur la deuxième entrée de la cinémathèque. Le tout a couté 48.5 millions DA dont près de 20 millions DA pour le matériel de projection. La cinémathèque est donc théoriquement opérationnelle depuis près de 7 mois mais aucune image n’y a été projeté à ce jour, car il subsiste encore deux problèmes auxquels la Direction de la culture peine à trouver des réponses : les deux entrées menant à la cinémathèque jugées indignes d’un tel édifice, et l’épineux problème de l’étanchéité de la place Gueydon, mise à l’indexe il y a de cela plusieurs années, dont les infiltrations d’eau peuvent remettre en cause toute les rénovations effectuées. La cinémathèque a été visitée par le Wali de Béjaia le 18 avril passé et il a été décidé de son ouverture avant l’été. Ce qui s’avérera être un simple vœu pieux. L’APC a été chargée des travaux d’étanchéité et en ce qui concerne les entrées, le Wali décida, comme l’a préconisé la DUC, la suppression pure et simple de la ferronnerie désobligeante qui défigure la place du 1er Novembre. La cinémathèque n’accueillera pas les traditionnelles rencontres cinématographiques de Béjaia qui se dérouleront au TRB, qui est certes une bonne solution de rechange, mais il est loin d’égaler le charme de la cinémathèque avec son balcon qui donne sur la splendide baie de Béjaia et les pauses-citron sur les terrasses des cafétérias de la mythique place Gueydon… et puis comme le dit Abdennour Hochiche, organisateur des Rencontres « la cinémathèque est l’endroit naturel pour ce genre de manifestation ».

Le cinéma du peuple (ex Mon Ciné) dans un état lamentable

Le cinéma du peuple existait bien avant l’indépendance, et il est dans un état de dégradation très avancé. 500 sièges dont la quasi majorité est inutilisable, la toiture ne sert pas à grand-chose et une légère odeur d’urine plane dans l’atmosphère. Il est géré par le Collectif du cinéma du Peuple (un groupe d’anciens travailleurs dont la moyenne d’âge est d’au moins 55 ans) depuis 1986 année où le cinéma a changé de main en passant du CAIC à l’APC de Béjaia. « Maintenant, on est que trois anciens travailleurs pour assurer l’exploitation du cinéma. L’APC nous loue la salle à raison de 50.500 DA/an. Pour être bien gérée, le Cinéma du Peuple, exige au moins 8 employés, mais comme on n’a pas les moyens de recruter, on se démène comme on peut pour assurer le bon fonctionnement » nous affirme un des membres du collectif, « en plus, nous avons sollicité par écrit et verbalement, à différentes reprises l’APC pour une aide à la rénovation de la salle, mais c’est demeuré sans suite. Les derniers travaux de réfaction datent de 1995 » lâche-t-il.

18 à 20 spectateurs par séance pour une salle de 500 personnes

Le cinéma du peuple rempli tant bien que mal sa mission en assurant deux vidéo-projections par jour, pour 25 Da la séance. Le jour de notre visite, c’était le film d’action culte « Reservoir Dog » de Quentin Tarantino qui était à l' »affiche ». Pour les membres du Collectif, le fort penchant des cinéphiles vers les films d’action est dû au « ravages de l’arabisation ». « Oui, l’arabisation outrancière a fait que les gens ne comprennent plus le Français, et de ce fait, ils n’aiment pas trop les films où il y a trop de dialogues, ce qui fait qu’ils se rabattent sur le cinéma d’action » explique-t-il. La clientèle est exclusivement masculine. « Nous avons en moyenne 18 à 20 spectateurs par séance, et la gent féminine représente une portion infime » apprenons-nous. La chute du nombre de visiteurs est due selon le Collectif à la propagation des vendeurs de DVD piraté dans les rues, « quand vous achètez 6 films pour 100 DA, comment voulez-vous que les gens viennent voir un film au cinéma, ils ont tout chez eux. Il n’y a plus de cinéphiles à Béjaia ».

Nadir B.

- PUBLICITÉ -