Virée nocturne aux urgences du CHU de Tizi Ouzou

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Des dizaines de malades assis sur les bancs du centre de tri de l’hôpital de Tizi Ouzou, attendant d’être admis dans une salle de soins. Les infirmiers se démènent et tentent de faire face à la très forte demande. Au dixième jour de ramadhan, la pression est toujours à son summum, alors que certains patients décrient la lenteur des services d’urgences, le personnel se plaigne de l’afflux extraordinaire de malades. Virée «ramadhanésque» aux urgences du CHU Nedir-Mohamed de Tizi Ouzou.

Reportage réalisé par Omar Zeghni:

Quelques minutes seulement après la rupture du jeûne, les différents services des urgences du CHU Nedir-Mohamed de Tizi Ouzou sont pris d’assaut par un important afflux de patients. En dix jours de carême, l’hôpital de Tizi Ouzou a reçu plus de 3 500 patients. La pression monte d’un cran dès les premières minutes qui précèdent le f’tour. Les citoyens viennent consulter pour des problèmes liés à la saison. Franchir le portail de l’hôpital de Tizi Ouzou de nuit provoque l’étonnement. En face à une structure agréablement illuminée, une affluence remarquable de citoyens, un personnel désorienté et une pression à gérer quotidiennement. Pour prendre la température des lieux en ce mois de Ramadhan, nous avons effectué la semaine passée deux virées sur les lieux qui, nous ont permis de constater l’ambiance électrique qui y règne. Les chiffres sont, à ce sujet, très édifiants de la réalité. Pas moins de 3 500 malades ont transité dans les différents services des urgences du CHU Nedir-Mohamed. Il est presque 19h30 du mardi dernier, une journée particulièrement éprouvante pour les jeûneurs qui ont eu à supporter un climat peu clément. Au service des urgences du centre hospitalo-universitaire Nedir-Mohamed de Tizi Ouzou, c’est le calme plat. Quelques minutes seulement avant le f’tour, le service est déserté par les médecins. La salle de consultation est affreusement vide. Un seul malade, un sexagénaire est allongé au fond de cette salle, à l’intérieur du service, les parents s’affairent à préparer le dîner à leurs malades dans une ambiance plutôt calme. Dehors, les quelques infirmiers qui ont résisté à la tentation de «fuir» le service discutent entre eux. «C’est le calme qui précède la tempête», fait remarquer l’un d’eux, comme pour signifier l’appréhension qui s’empare des lieux du fait du nombre important de malades attendus. Si la tranche horaire qui couvre la rupture du jeûne est marquée du sceau de «rien à signaler», le décor est tout à fait le contraire, une demi-heure après. En effet, le déphasage est tellement grand que le visiteur de l’hôpital reste ébahi devant ce qu’il constate. 20h passées, d’une dizaine de minutes, le pavillon des urgences est bondé de monde. «Les malades que nous traitons présentent généralement des douleurs abdominales, des vomissements et diarrhées», indique de prime abord un médecin résident qui assure la garde. Notre interlocuteur avouera toute la difficulté de faire face à l’afflux de malades : «Généralement, nous enregistrons des pics aux enivrions de 22h jusqu’à 1h du matin soit la période qui suit la rupture du jeûne», nous fera-t-il savoir. Pour lui, les cas traités sont liés à des problèmes digestifs du fait de l’inadéquation du régime alimentaire de la majorité des citoyens avec les conditions qu’impose le jeûne. Visiblement dépité par cette situation, un infirmier lâche en direction d’un parent de malade, qui vociférait dans le hall du centre de tri. «Attendez votre tour et gardez votre calme. Nous ne pouvons pas traité tout le monde au même temps !» Rapidement, la tension monte d’un cran et le bruit se fera entendre de loin. Un jeune médecin nous fera savoir que ces scènes sont habituelles pour le personnel hospitalier : «Vous n’avez encore rien vu !», ironisera-t-il.

«Un monde fou…l’hôpital explose la nuit !»

22h, alors que le pavillon des urgences de médecine peignait à faire face au nombre important de malades, la structure de l’hôpital est prise d’assaut par une incroyable affluence de visiteurs. On dirait la grande rue du centre-ville des Genêts. Des centaines de citoyens affluent au chevet d’un malade donnant lieu à une situation difficilement gérable pour le personnel hospitalier. Comme nous l’explique le Pr Ziri, directeur général du Chu rencontré à l’entrée de l’infrastructure hospitalière, le problème est crucial. «Nous tentons de gérer au mieux cet afflux. Certes, c’est regrettable de constater que les gens ne respectent pas les horaires de visites mais le problème doit être traité sans provoquer aucune tentation. On essaye de faire comprendre au gens le désagrément qu’ils causent par leurs attitudes», dira le DG du Chu. Ce dernier, tenue débrayée, nous fera savoir qu’il est à sa troisième inspection du jour. Nous effectuons une virée au niveau des urgences de pédiatrie. Un service qui semble bien reprendre son fonctionnement normal. À l’intérieur, la structure a subi d’énormes transformations pour offrir aux patients les meilleures conditions d’accueil. «Nous avons reçu aujourd’hui plus de 80 enfants dont la majorité des cas relèvent des évacuations de Sbihi ou des structures périphériques. Souvent, le malade arrive dans un état grave qui nécessite souvent un lourd traitement», nous dit, l’air agacé l’infirmier de garde. Pour ce dernier, les cas les plus compliqués sont transférés de Bordj Menaeil et de la wilaya de Boumerdès en général.

Les évacuations anarchiques provoquent la pagaille !

23h, retour au centre de tri des malades. L’ambiance est pratiquement la même. Durant les deux virées effectuées mardi et jeudi, c’est la même configuration. Des patients allongés sur les brancards dans l’attente et un personnel stressé. «Nous sommes à 200 malades pour la seule journée d’aujourd’hui et ce n’est pas encore fini», confie le réceptionniste en nous montrant le registre des consultations du jour. Un médecin qui a finit d’ausculter un malade nous fait remarquer avec ironie non sans montrer sa colère, que les citoyens «ne se gênent pas de remplir leurs ventres au moment du f’tour pour faire ensuite la chaîne aux urgences. C’est malheureux». Notre interlocuteur précisera, dans ce sillage, que le personnel est dépassé par l’afflux des malades. Pour le DG du Chu, même si l’on vient à doubler les effectifs, cela ne réglera pas le problème. Il nous invitera, pour conforter ses affirmations, à une virée au pavillon des urgences. Entre des remarques faites en direction du personnel quant à l’hygiène du service, le Pr Ziri nous montrera la fiche des malades qui indique leurs origines. Les patients viennent des différentes régions de Tizi Ouzou mais surtout de Boumerdès, Naciria, Bordj Menaeil.

«Nous devons redorer au Chu sa vocation initiale qui est celle des soins spécialisés. Nous ne devons plus jouer le rôle d’une polyclinique ou d’un centre de santé. Les établissements périphériques doivent faire leur travail de tri. Nous recevons comme vous l’avez constaté des cas de simple vomissement et d’hypertension. Cette situation nous prend du temps au détriment de notre mission initiale», regrettera le Dg du Chu. Ce dernier nous fera savoir que son établissement a réceptionné plusieurs nouveaux équipements à même d’améliorer le service à l’image de l’IRM et un nouveau service de réanimation. Si en présence de leur directeur général, le personnel semblait mobilisé surtout qu’il s’agissait de la troisième inspection du jour, un relâchement a été par contre, constaté deux jours après. À notre passage, les patients se plaignaient de l’absence des médecins de garde notamment au service des urgences de médecine. «Je suis là depuis une heure et mon fils est toujours à la recherche d’un médecin. Un interne est venu prendre le cliché de radio et n’a pas plus donné signe de vie depuis !», déplore une quadragénaire, venue des Ouadhias et souffrant de douleurs abdominales. Son fils rouspète et crie sa colère en direction des agents de service en l’absence d’un réceptionniste qui pouvait bien orienter les malades. Beaucoup parmi les malades ont fait état des «fuites» organisées des médecins de garde et du personnel hospitalier durant la nuit. «Il faut faire appel à une connaissance pour intervenir en sa faveur afin d’être soigné. C’est malheureux», tonne un autre jeune, qui semble souffrir d’une fracture au bras. Une radiographie à la main, Meziane de Draâ Ben Khedda, tient sa maman, il nous dit sa colère de ne pas pouvoir bénéficier de certains services à l’intérieur du CHU. «Je suis contraint de faire des échographies dans une clinique privée en l’absence d’un technicien de garde à l’hôpital. C’est éprouvant sur tous les plans.» Cependant, le Dg du Chu assure que le scanner s’effectue aux urgences en poste garde.

«Nous mobilisons un technicien radiologue pour assurer la garde de nuit au service des malades. Cela apporte des détails dans le traitement et le diagnostic rapide en attendant la mise en service de l’IRM dont nous sommes au stade de formation du personnel», rassure le Pr Ziri. Aux environs de minuit, nous effectuons une virée au Samu. Le service est plutôt calme contrairement aux idées reçues. Au lieu des deux brigades prévues, le service fonctionne, paradoxalement, avec une seule en cette période où la demande se fait de plus en plus sentir. Le SAMU de Tizi Ouzou a reçu en ce mardi une centaine d’appels. «Le gros, ce sont des transferts notamment de la clinique de Sbihi», fait remarqué le médecin de garde. Nous retrouverons quelques minutes après le service du pavillon des urgences, à peine sorti de la salle de colloque, un maître-assistant vêtu d’une blouse blanche affichant un visage crispé est «harcelé» par les accompagnateurs de malades, jusqu’au supplice, ils lui demande les nouvelles de leurs parents. «Venez voir cet enfant, il n’arrête pas de vomir», supplie une jeune maman. Cette dernière dit avoir sollicité les services de la clinique de M’douha. «Je n’ai trouvé personne là-bas », disait-elle. Epuisé l’infirmier de garde nous dit, le regard hagard, que «le calvaire continuera jusqu’au petit matin, juste après le s’hour». Il était 1h du matin, au moment où Tizi Ouzou s’apprêtait à prendre, dans le calme, son s’hour, le Chu de Tizi Ouzou ne connaît pas de répit. «Le service ne s’arrête pas, le personnel restera mobilisé pour le bien des malades», dira le Pr Ziri comme pour signifier un état d’esprit qui ne cède pas devant les pressions, mêmes les plus fortes .

O. Z.

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