Entre misère et escroquerie…

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Visage chagriné qui renvoie à une insoutenable misère histoire de monter une terrible fringale, des béquilles ou une ordonnance à la mains et un bébé sale en loque, vêtements déchirés et handicaps montrés de manière ostentatoires… combien de fois n’avons-nous pas « cédé » devant une personne qu’on croyait nécessiteuse et contrainte par la misère à la mendicité. Faisant, indéniablement, partie du décor des villes d’Algérie, ce phénomène gangrène nos rues et squatte les espaces dédiés aux piétons. A Tizi-Ouzou, la mendicité se répand, s’organise autour de réseaux bien structurés mais qui sont toujours invisibles. Se muant en une activité florissante qui génère un gain non négligeable, la mendicité s’impose comme un marché juteux. Plus que jamais, le phénomène fait partie du décor de la ville des genets. Ils sont, en effet, plusieurs dizaines de personnes à prendre, quotidiennement, place sur les trottoirs de la ville de Tizi-Ouzou, pour exhiber leur misère et solliciter le sou qui leurs permettra, théoriquement, de survivre à leurs difficultés sociales. Ils sont d’ailleurs nombreux à investir les quatre coins de la ville, notamment aux alentours des édifices publics, à l’image de la mosquée du centre ville. Professionnels de la mendicité ou vrais nécessiteux ? Il devient difficile de faire la distinction tant la situation est confuse et laisse perplexe. Qui sont donc ces mendiants rencontrés à longueur de journée ? Où va toute la manne engrangée ? Des questions non élucidées par une enquête diligentée par le ministère de l’action sociale. Une enquête qui avait mobilisé en 2009, quelques 20 millions de dinars. Le geste est répété à longueur de journée. Cachant son visage avec un foulard, la main tendue vers les passants, c’est le début du boulot qui durera de longues heures. Une simple virée dans les rues des principales villes de la wilaya de Tizi-Ouzou permet de faire le constat de cette proportion alarmante que prend le phénomène. L’avènement du mois de carême n’a fait, de l’avis des citoyens interrogés à ce sujet, qu’accentuer un peu plus la mendicité avec la multiplication du nombre de personnes qui s’adonne à cette vile pratique qui rapporte gros, surtout qu’au fil du temps, beaucoup de réseaux se sont constitués, alliant prostitution et quémandage.

Des enfants en bas age… sur le chemin de l’apprentissage

Certains avis affirment l’existence d’interconnexion entre ces réseaux et la criminalité posant un réel défi aux autorités. Dans ce sillage, il est important de souligner que malgré toutes les initiatives allant de le sens d’endiguer le phénomène, la mendicité ne quitte toujours pas les trottoirs de la wilaya. Sous un soleil de plomb, une femme, la quarantaine d’années, tient dans ses bras un enfant visiblement exténué par la fatigue. Tendant sa main aux très nombreux passants dans la rue Lamali Ahmed, l’une des plus fréquentées à Tizi-Ouzou, elle ne cesse de crier sa misère avec un langage qui semble bien appris par cœur, histoire de provoquer la sensibilité de gens généreux, les pousser à mettre la main dans la poche. Il faut dire que contrairement aux idées reçues, ces personnes qui font de la mendicité un métier à part entière, gagnent « largement » leurs journées, comme nous l’explique bien Kamel, un marchand de meubles au centre ville des genets, « j’observe depuis pratiquement une année, des personnes défiler sur le trottoirs en face. En fin de journée, il leur arrive de me solliciter pour faire le change de la monnaie en billets. Je suis stupéfait du décompte. A chaque fois, la recette ne tombe jamais au dessous des 2000 dinars de quoi faire envier les ouvriers des différents secteurs d’activités », nous dit avec un ton ironique notre interlocuteur. Pour ce dernier il est bien clair que « ces personnes sont souvent accompagnées par des groupes qui leur assurent protection. Ils sont invisibles mais ne se gênent jamais à intervenir en cas de problème ». Naturellement, c’est à la grande rue de Tizi-Ouzou que se concentre le plus grand nombre de ces personnes. À quelques mètres de la femme qui tenait, depuis la matinée, un enfant en bas age, deux jeunes filles se font entendre par leurs voix appelant à la générosité et la bonté des passants. Loin de la « timidité » qui caractérisait, jadis, l’acte de mendier, la nouvelle génération ne se gêne plus à « agresser », tous les moyens sont bons pour arracher le sou à un citoyen de plus en plus désabusé par ce comportement. L’utilisation des enfants dans cette œuvre « destructrice » sur le plan moral est des plus inquiétants. De l’avis même des autorités, qui ont lancé par le biais du ministère de la solidarité en enquête sur le phénomène dans notre pays, les enfants en bas age sont victimes d’une exploitation des plus sordides par des réseaux qui investissent dans la misère des famille, faisant travailler les bébés dans le but d’attendrir les cœur des gens et leur arracher de l’argent. Une exploitation que confirme Saïd Barkat, ministre de la solidarité nationale, qui déclarait à ce propos que ces réseaux, bien organisés et structurés, «louent les enfants des voisins ou de proches contre une somme allant de 2000 à 9000 DA l’enfant». À Tizi-Ouzou, comme nous l’affirme Brahim, hospitalier, les enfants utilisés dans cette quête d’argent facile sont issus, pour certains « de relations illégitimes ». Notre interlocuteur dira, dans ce sillage, qu’à défaut d’une prise en charge réelle et effective, « ces enfants tombent entre les mains de réseaux sans scrupule qui les utilisent par la suite pour la mendicité ». Brahim précise que la rémunération varie de 1000 à 6000 dinars, « ils profitent de la misère sociale des familles pour en faire une marchandise qui servira juste de décor », ajoutera t-il sous un air plein d’amertume et de désolation. Un procédé pour maintenir le bébé « le plus longtemps possible », l’enquête du ministre de la solidarité nationale fait référence à l’usage d’un sirop qui sert à les faire dormir le plus longtemps possible au péril de leurs vies. L’essentiel c’est le profit, toujours le profit. D’aucun n’aura remarqué à Tizi-Ouzou les mêmes visages qui défilent, pratiquement au quotidien, pour solliciter de l’aide. Qui se plaignant d’un handicap, l’autre, ordonnance à la main datant de plusieurs mois, crie sa détresse et des jeunes filles qui s’installent dés les premières heures de la matinée sur les travées de la ville en quête d’argent,

La ville partagée en secteur !

« je vois les même visages débarquer chaque matinée dans cette rue. Parfois, je me dis qu’ils sont des fonctionnaires, avec des horaires et des lieux de travail fixes », nous dit Madjid, un commerçant installé du coté de la cité des 600 logements de la nouvelle ville de Tizi-Ouzou. Le mode d’emploi est pour lui très simple, « ces personnes s’installent généralement dés 8h du matin. Elles viennent en groupe, puis se dispersent un peu partout dans la ville pour occuper des espaces préalablement choisis. Chacun connaît son petit coin et on ne se bagarre jamais pour ça ! », explique, encore, Madjid. Ce dernier nous fera remarquer que durant ce mois de carême, les mendiants se font rares dans ces contrées «on préfère plutôt les travées des mosquées et les grands centres urbains, à l’image de Draâ Ben Khedda, Azazga et Boghni où les dons se multiplient durant la Ramadhan ». Notre interlocuteur ajoute que la ville des genets est « partagée » en secteurs où les places sont préalablement fixées, « aucune personne ne peut déloger une autre d’une place qu’elle considère comme étant acquise. Les gens se connaissent entre eux », dit Karim. Ce dernier nous fait savoir que ces groupes s’organisent selon une logique hiérarchisée, avec un leader qui s’occupe du dispatching des troupes sur des zones géographiques, « c’est le parrain qui centralise les recettes en fin de journée», précise notre interlocuteur. Des sources dignes de foi indiquent, à ce propos, que les leaders des groupes recrutent dans les bidonvilles situés du coté de la sortie nord de la ville, mais surtout des régions de Draâ El Mizan et de Bouira, moyennant une rémunération selon le rendement, « généralement, c’est entre 500 à 700 dinars la journée », ajoute Karim.

Le Ramadhan, une excellente aubaine…

Profitant justement de l’ambiance spirituelle qui caractérise le mois de carême, connu pour être une période de piété les personnes qui se font passer pour des mendiants usent et abusent de la naïveté et de la générosité des citoyens en pareilles circonstances, pour extirper de l’argent versé aux parrains de cette activité aux ramifications multiples pouvant s’étendre aux autres régions du pays, notamment celles du centre. Le phénomène se concentre ainsi autour des mosquées et des marchés fréquentés par les citoyens. Une pratique encouragée par l’absence d’un cadre réglementaire à même de réduire les capacités de nuisance de ces réseaux qui profitent de la bonté des gens pour gagner de l’argent. Dans ce sens, il est impératif que le projet de loi, portant criminalisation de l’acte, soit mis en œuvre avec l’application de la pénalisation des parents d’enfants impliqués. Cette configuration n’est pas uniquement l’apanage du seul chef-lieu de wilaya. À Boghni, qui présente une illustration parfaite de cette proportion prise par le phénomène, des sources locales évoquent des réseaux organisés, constitués depuis la wilaya de Bouira et qui sévissent dans les localités de cette importante daïra. C’est à dire qu’en matière de lutte contre la mendicité il y a fort à faire et les autorités sont interpellées pour prendre les mesures nécessaires afin d’endiguer définitivement ce phénomène. Ceci dit, il reste cependant une frange qui est prise dans le tonneau d’une crise multidimensionnelle aigue, des citoyens sont contraints à tendre la main pour solliciter de l’aide, à défaut d’une prise en charge conséquente de l’état qui n’octroie qu’une minable pension à des milliers de nécessiteux. Loin de constituer un phénomène socio culturel, la mendicité s’apparente à un métier hiérarchisé avec une organisation pyramidale. Il n’est plus un indice de pauvreté tant la perversion et la comédie se sont emparées des lieux, « l‘effet des richesses d’un pays, c’est de mettre de l’ambition dans tous les coeurs. L’effet de la pauvreté est d’y faire naître le désespoir. La première s’irrite par le travail , l’autre se console par la paresse » disait, à ce sujet, Montesquieu.

Omar Zeghni

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