Combien coûte un mariage en Kabylie ?

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C’est là un récit qui a déjà servi à noircir une des pages de l’édition du 10 juin 2014. Depuis, le temps s’est égrainé. Mais les choses n’ont pas vraiment changé. Le récit reste valable présentement… A quelques dinars près, malgré la grosse dépréciation subie par la monnaie. À peine quelques petites mises à jour effectuées pour le ramener au contexte du jour.

C’est toujours l’été même si la saison est sur sa dernière ligne droite. Il fait chaud mais il y a de l’ambiance. De l’animation, dans les villes et villages de Kabylie. Sur les plages. Les marchés s’emballent. Les boutiques sont prises d’assaut. C’est la frénésie. On n’achète pas forcément mais on y va quand même. On meurt aussi. Certains sombrent dans des deuils. Mais c’est la joie qui l’emporte à cette période. Il y a eu l’Aïd, et c’est la saison des klaxons, des mariages par excellence.

Cette année encore, le mois sacré a, encore un peu, contrarié au départ de l’été les programmes des uns et des autres. Normal ! On ne fait pas la fête en se privant de manger, boire… Difficile en effet de se déhancher avec le ventre vide. Donc on a repoussé les dates. Ce qui fait que la période s’est retrouvée encore une fois réduite pour caser toutes ces fêtes annoncées. Les salles des fêtes affichent quasiment toutes encore «complet !». La programmation est toujours saturée. C’est à croire que tout le monde se marie…

Pas un créneau pour caser encore la moindre réception ! Surtout pas dans les établissements du chef-lieu. Enfin pas avant la mi-septembre. Et pourtant, ce n’est pas du tout donné. Une salle moyenne en qualité et en capacité d’accueil est cédée à pas moins de cinq millions de centimes.

À Tizi-Ouzou ville, c’est entre 80 et 150 000,00 DA. Un chiffre bien rond auquel se greffent des tas d’autres dépenses qui décourageraient le plus déterminé à offrir le meilleur mariage possible à sa dulcinée. Et oui, il y a des créneaux comme ça où l’amour, aussi fort soit-il, n’y peut rien. Vous avez l’impression alors que chaque sentiment se paie cher et cash ! Et au bout, la facture s’avère très salée ! Certains ont alors du mal à s’y aventurer avec en sus cette appréhension que cela foire dès l’hiver arrivant. C’est bien connu, après coup, les mots doux, les sourires et toute la gentillesse d’avant se dissolvent presque naturellement dans le bain des conflits d’époux à épouse… C’est algérien ! Le geste sentimental laisse alors place aux devoirs, aux droits, aux obligations… Mais on n’en est pas encore là.

À la veille d’un évènement aussi important, on paie même des couronnes de fleurs à 20 000,00 DA pour la circonstance. C’est à rajouter à la facture globale bien sûr. Elles feront partie du décor de la fête, de la décoration de la voiture de la mariée, mais aussi de la salle… Il y a aussi le photographe cameramen, devenu à la mode, pour immortaliser en photos et en images l’évènement, pour la somme de 30 000,00 DA. Rien que ça ! Et c’est un bon prix, car si vous cherchez le détail, la caméra c’est entre 15 et 20 000,00 DA et pour les photos c’est 70 DA l’unité. C’est la nouvelle tendance.

Les nouvelles mœurs importées via la parabole et le net. Et il ne faut pas perdre de vue la bouffe ! La dernière salle vous propose le plat à 900,00 DA. Mais sinon, le plat potable c’est entre 1 000 et 1 300,00 DA. Faites le compte des invités et le total vous vient instantanément. Rien que pour quelque 400 convives, l’enveloppe se chiffre déjà à 360 000, 00 DA.

Ces nouvelles mœurs onéreuses importées via la parabole et le net…

Le disc-jockey est, minimum, à 15 000, 00 DA. Et ça va jusqu’à 30 000,00 DA. L’addition se corse déjà avec à peine quelques évidences de base… De quoi vous donner les idées les plus farfelues. Comme penser à passer par l’Ansej (Organisme algérien qui assiste les jeunes investisseurs)… Car la suite des dépenses inévitables est encore des plus coûteuses avec notamment le trousseau offert à la mariée. À commencer par les bijoux dont les prix font dresser les cheveux sur la tête. La dernière parure en or, qu’on aurait le moins de gêne à exhiber, est cotée à quelque 150 000, 00 DA.

La valise d’habits légers, entre autres robes, sacs, souliers, sandales… ne reviendrait pas à moins que ça non plus. Les gâteaux à également presque autant. Dans l’opération, quasiment tout se compte en millions… Et ce n’est pas du tout fini. Car pour la fameuse soirée, si vous vous prenez la tête à penser grand et à prévoir un orchestre, il vous faudra désormais compter à partir de 15 millions de plus, au lieu des deux millions (en moyenne) du disc-jockey.

Enfin, tout dépend de la pointure que vous ciblez. Un artiste connu ne viendrait pas à moins de 120 000, 00 DA. Bien sûr avec tous les faux frais qui vont avec. Combien même vous vous contenterez d’arroser vos convives au Coca ou au Pepsi, ça reste des frais en plus… Et quand il s’agit d’assurer de l’ambiance, comme en raffolaient Eltsine et Clinton dans le temps, fatalement «le spectacle» touche un peu plus la poche ! Et puis il y a encore cette Tasdira (défilé de la mariée avec différentes robes lors de la fameuse soirée) !

Ce n’est pas du tout du Givenchy, ni du Lagerfeld, encore moins du Cacharel, mais ça coûte aussi les yeux de la tête. Surtout pour un smicard qui se décide sur un coup de tête à l’aventure ! Mais Ouiiii, c’en est une ! Bref, la fameuse Tasdira revient, au bas mot, à quelque 10 autres millions de centimes…dans la formule location. C’est la trouvaille de certaines boutiques spécialisées dans la location des robes, de modèles différents. Et ça marche ! De plus, ça arrange tout le monde. En effet, bon gré mal gré généralement, les mariés (le couple), souvent tentés par le fashion, optent plus pour cette formule, afin de réduire un peu la facture finale. Car pour meubler la soirée, que madame veut généralement la plus longue possible, il faudrait réunir au moins une dizaine de tenues. Et forcément, on penche plus à louer un Kaftan (un modèle algérien) à 12 000,00 DA, qu’on ne mettra pas aussi souvent, qu’à l’acheter à 50 000,00 DA. Le Karakou est lui loué à 8 000,00 DA, tandis que son prix d’achat est à partir de 30 000,00 DA. La Chedda (un modèle de Tlemcen) est proposée à 9 000,00 DA en location et à partir de 100 000,00 DA à la vente.

Mariage «par location», une formule en vogue !

Il y a aussi le model indou (oui on défile même avec les modèles indous en Kabylie. Peut-être qu’on s’en sent proche avec le teint brun. Ou peut-être que c’est là l’impact de tous ces films diffusés à la pelle sur la télévision algérienne du temps du défunt Chadli. Avec le temps, on les a sans doute adoptés…). Ce modèle donc est proposé à 40 000,00 DA à la vente et à 6 000,00 DA à la location. La robe chaouie est, elle, cédée à partir de quelque 27 000,00 DA. La blanche, avec laquelle la mariée fait à chaque fois sa dernière apparition de la soirée est cotée à partir de 40 000, 00 DA. Il y a des modèles qui avoisinent carrément les 200 000,00 à l’achat.

«Il n’y a pas de limite dans les prix. Tout dépend de la qualité du tissu, de la couture, de la griffe, du modèle… Généralement, pour les robes blanches, ce sont tous des modèles importés. Il y a toutefois le modèle syrien qui coûte un peu moins que celui importé d’Europe, notamment de France. C’est pareil pour les robes de soirée», expliquait Farid, propriétaire d’un magasin spécialisé au centre-ville de Tizi-Ouzou. Les prix avancés sont d’ailleurs ceux affichés dans sa boutique. Comme tous les autres, il n’hésitera pas à vous lancer la fameuse phrase «si vous êtes vraiment intéressé, je vous ferai un arrangement !».

Rencontré sur place, Mouloud, un célibataire désormais endurci, la cinquantaine bouclée, est plus là en ami du propriétaire qu’en potentiel acheteur. Mais, il semble bien s’être fait une idée sur le sujet : ce mariage qui l’attend et qu’il finira par contracter un jour ou l’autre. «Je me suis toujours dit que ce sera un forfait à 80 millions…». C’est à peu près la somme globale des nécessitées précédemment comptées, même si beaucoup n’ont pas été évoquées, comme la coiffure, le maquillage… Car il faut bien garantir à la mariée une petite beauté même juste dessinée, à l’occasion, aux crayons de couleurs. Sauf que dans la liste énumérée, rien n’est au marié… Or, lui aussi a des «courses» à faire.

Donc des frais en plus. Il a beau joué l’économiste, mais il aura tout de même à se payer un costume pour la circonstance… Le moyen coûte à partir 16 000, 00 DA. Et il ne va tout de même pas se présenter devant la mariée en tongs. Forcément, il faudra rajouter une paire de chaussures potable à quelque 5 000, 00 DA. Et généralement, les nouveaux mariés algériens aiment bien se dégourdir les jambes en survêt’ quand ça leur arrive de sortir dehors… On se l’achète également alors. Et la facture grimpe encore ! Alors là, si par malheur vous avez la chambre à coucher aussi à acheter, un écran plasma, un climatiseur ou encore des travaux à faire, tels la peinture, pour donner une image gaie à la maison familiale, d’autres réhabilitations… il faudra bien avoir les moyens d’aller au-delà des cent millions de centimes pour assurer un mariage. À peu près la somme d’une voiture pas vraiment robuste, ni vraiment luxueuse, ni vraiment récente. En d’autres termes, dont on n’est pas sûr qu’elle ne tombera pas en panne, même si elle paraît neuve. Un peu comme ces mariages qui peuvent rater dès les premiers jours.

Djaffar C.

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