Djamal Ferdjallah se souvient…

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«Sur initiative du RCD et de personnalités nationales, se sont tenus en 1993, à la coupole du 5 juillet, les états généraux des patriotes républicains. Cette rencontre, qui a réuni près de 5 000 cadres, issus de divers horizons, politique, syndical, société civile, intellectuels, maquisards, artistes, opérateurs économiques, a donné naissance à une structure transpartisane, dénommée, Mouvement Pour la République (MPR).

Le MPR se définissait comme un espace de convergence et de mobilisation des énergies républicaines et patriotiques, opposé au régime et à l’intégrisme ravageur qui menaçait les fondements de l’État algérien.

Après avoir réussi la gageure de tenir des meetings dans la plupart des grandes villes du pays, ce qui n’était pas évident vu le contexte apocalyptique de l’époque, le bureau du MPR avait décidé de franchir un pas de plus, en appelant à une marche populaire pour le 29 juin 1994, date anniversaire de la mort de Mohamed Boudiaf, afin d’exiger la vérité sur son assassinat.

Ce jour-là, une marée humaine, estimée à des dizaines de milliers de manifestants, avait convergé vers le point de départ de la marche, à la place du 1er mai à Alger. Celle-ci devait aboutir à El Mouradia, siège de la présidence de la République.

En tête du cortège, se trouvaient les responsables de 1er plan du MPR, tels que Saïd Sadi (Président du Mouvement), Khalida Toumi (vice-présidente), Mustapha Bacha, Amara Benyounès, professeur Kaci Louiza, ainsi que Matoub Lounes, Boudjmaa Agraw et tant d’autres.

En ma qualité de premier responsable de l’organisation, ma mission consistait à veiller à la bonne marche des opérations, donc de passer régulièrement en revue les carrés et les délégations issues des différentes wilayas.

À un moment donné, arrivé au niveau du 2ème portail de l’hôpital Mustapha, une explosion, suivie juste après, de tirs d’armes de poing a déchiré l’atmosphère. Une mêlée indescriptible, accompagnée d’une panique généralisée s’était emparée des marcheurs. Emporté par le souffle, je me suis retrouvé roulant par terre, pratiquement entrelacé avec Mme Djamila Khiar, responsable nationale du MPR, elle aussi étalée par terre.

Je m’étais tâté fébrilement tout le corps afin de vérifier si je n’avais pas été atteint. Dieu merci, je n’avais rien eu de grave. Malheureusement, c’était loin d’être le cas pour des centaines de nos camarades, dont beaucoup étaient sérieusement blessés. Deux jeunes militants de Tadmaït (Tizi-Ouzou) perdront la vie. L’un d’eux laissera un enfant et une veuve inconsolable. Saïd Sadi et Khalida Toumi avaient reçu quelques éclats qui se sont avérés sans gravité.

Dans la débandade généralisée qui avait suivi l’attentat, le réflexe vital était de rebrousser chemin pour fuir la mort qui rodait devant. En déboulant vers le bas, nous nous sommes retrouvés face à un carré composé essentiellement de femmes. L’image de ces sœurs de combat, les yeux exorbités, à l’allure déterminée et visiblement prêtes au martyr, restera gravée dans ma mémoire.

Devant ce qui pouvait apparaître comme une désertion de notre part, ces femmes courage nous ordonneront vertement de reprendre la marche. En nous confondant dans notre vanité de mâles, elles nous ont donné la preuve de leur héroïsme. En mon for intérieur, je m’étais dit que si un jour l’Algérie s’en sortait, elle le devrait surtout à la résistance des femmes de ce pays. La marche a finalement repris son parcours, jusqu’à la place Adis Abeba, enjambant sur son passage des blessés qui gémissaient de douleurs, allongés sur l’asphalte, laissant à des brigades de militants le soin d’organiser les secours.

Ce jour-là, l’hôpital Mustapha s’était avéré trop exigu pour contenir les nombreux blessés Le lendemain, un journal du soir titrait : La marche du MPR a résisté aux bombes».

Par Djamal Ferdjallah.

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