Amar Berzouk

«Il faut préserver ce service public»

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Dans cet entretien, le directeur de l’ADE de Tizi Ouzou revient sur la situation actuelle de son entreprise et parle des problèmes que rencontre son personnel.

La Dépêche de Kabylie : Quelle est la situation actuelle de l’ADE

de Tizi Ouzou ?

Amar Berzoug : Des problèmes existent depuis longtemps, nous en avons parlé à plusieurs reprises. Nous sommes dans la même situation que toutes les unités du pays qui doivent fonctionner sur leurs fonds propres. L’État a mis à notre disposition des moyens que devons gérer et faire fonctionner pour gagner de l’argent et maintenir le service public.

Comme vous le savez, les problèmes sont divers, cette histoire de fonctionner sur nos fonds propres est pratiquement impossible. Et le souci majeur dans le fonctionnement, ce sont les frais d’énergie. Pour faire fonctionner nos installations, on doit payer 60 milliards de centimes de facture à la Sonelgaz. La situation est difficile, nous avons des dettes de près de 100 milliards auprès de la Sonelgaz et celle-ci nous persécute un peu. Concernant les autres problèmes, nous essayons de trouver des solutions et de fonctionner, mais la situation sur le plan financier est difficile.

Mais l’ADE aussi à des créances à recouvrer. Qu’en est-il exactement ?

En effet, nous avons des créances à recouvrer auprès de nos clients et nous avons aussi des frais de maintenance, d’exploitation et la masse salariale, il nous faut au moins 18 milliards de centimes pour tourner normalement. Nous n’arrivons pas à engranger ce montant car le prix de base de l’eau est dérisoire. Cela fait des années que nous disons que la situation ne peut pas continuer ainsi. Il faut vraiment trouver le bon moyen pour préserver ce service public.

Quelle serait la solution pour dépasser cette crise ?

Il faut vraiment que les pouvoirs publics se penchent sérieusement sur ce problème. On ne peut plus continuer à fonctionner de cette manière. Et les revendications des ouvriers sont légitimes. Le salaire moyen est de 32 000 DA et c’est trop bas, mais la situation est connue de tous et sur nos fonds propres on ne peut pas prendre en charge une quelconque augmentation, car nous ne gagnons pas suffisamment.

Cela fait trois mois que nos caisses sont fermées, automatiquement nous avons perdu de l’argent. Nous perdons 60 millions de centimes sans compter les dysfonctionnements et les problèmes générés et non pris en charge. C’est malheureusement la situation actuelle de notre unité. Les deux mois passés nous avons pu payer nos ouvriers, mais maintenant on ne peut plus le faire. Le salarié a droit à sa paie, l’entreprise doit recouvrer ses créances et le citoyen a le droit d’avoir de l’eau…

On se retrouve dans une situation inextricable. Il ne faut pas oublier que nous totalisons 1 800 ouvriers, leur salaires étaient toujours assurés grâce à la stabilité de l’entreprise. Concernant la révision des salaires et les grilles, c’est un chantier, il faut un débat et retourner vite au travail. Les revendications sont nationales mais la grève illimitée ne concerne que Tizi Ouzou, c’est là où le bât blesse. Les négociations sont ouvertes, il faut tout faire pour préserver l’intérêt de notre unité et cela ne saurait se faire sans la reprise du travail. Néanmoins, je dois dire qu’à ce stade où nous sommes la situation est grave, nous n’avons fait ni le bilan de l’année, ni l’inventaire et c’est uniquement notre unité qui est dans cette mauvaise posture.

Nos ouvriers ont jugé que la grève illimitée est la seule manière d’arracher leurs droits, mais ils doivent mesurer l’impact et les conséquences de cette action. Nous leur avons expliqué et nous ne cessons de les avertir que si la situation traîne encore, elle portera atteinte à leurs intérêts.

Sur le terrain, est-ce que la mission de l’ADE est accomplie ?

Oui, les installations fonctionnement, le pompage se fait et l’eau parvient aux clients, mais des problèmes surgissent sur le terrain et nous n’arrivons pas à y faire face à cause de cette grève. Cette situation nuit encore plus à l’unité. Nous enregistrons des fuites et des avaries que nous devons continuer à prendre en charge. Cela a été à l’origine de perturbations mais la situation est normalisée.

Les fuites nous causent d’énormes pertes et il faut en mesurer l’impact. Quant au mouvement des ouvriers, il faut là aussi en mesurer les conséquences, quelle que soit l’importance des revendications. Il faut donner du temps au temps et préserver le collectif et les intérêts acquis notamment le service public et l’unité est un acquis des ouvriers. Les portes des négociations sont ouvertes, il faut se mettre autour de la table sans faire de mal à l’unité.

Qui peut trouver une solution définitive à ce bras de fer ?

Nous sommes un organisme sous tutelle du ministère des Ressources en eau. L’administration centrale est interpellée pour régler ce problème rapidement. Au niveau local, nous devons arrêter l’hémorragie. On est censés fonctionner sur nos fonds propres pour gagner nos salaires, mais quand on ne gagne rien on ne prend rien, c’est la réalité. Certains disent qu’il y a de l’argent, moi franchement j’ignore où il se trouve cet argent.

Cette équation financière est dure à résoudre parce qu’elle ne concerne pas seulement l’augmentation des salaires qui est un point parmi tant d’autres. Il y a aussi les conditions de travail, les moyens de travail et d’autres besoins et paramètres à régler pour pérenniser ce service public. C’est sur ces questions que l’administration et les pouvoirs publics doivent se pencher.

Qu’en est-il des unités locales ?

L’unité de Tizi Ouzou est une unité centrale comme c’est le cas à travers toutes les wilayas. Toutes les unités à l’échelle nationale vivent le même problème. L’ADE nationale génère un déficit de 17 milliards de dinars par année. On ne peut pas continuer comme ça. On ne peut pas demander à une entreprise déficitaire d’être à l’écoute du citoyen, cette affaire doit se régler rapidement.

L’État a réalisé des infrastructures à coups de milliards. Ses installations, nous devons les préserver, les pérenniser et les gérer avec raison. J’interpelle les ouvriers et la population, on ne peut pas se faire mal et revendiquer des améliorations. Là, nous ne fonctionnons pas normalement. Espérons que ce mouvement trouvera vite son dénouement pour ne pas aggraver la situation davantage. La sagesse et la prise de conscience de l’impact doivent prévaloir pour l’intérêt de tous.

Entretien réalisé par H. T.

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