«Il y a une mafia qui prospère dans l’évasion fiscale»

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Créée en 1956, la municipalité des Ouadhias, à une trentaine de kilomètres au sud du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, n’arrive toujours pas à sortir la tête de l’eau. En cause, cette commune-mère est déficitaire et ne fonctionne que grâce aux subventions de l’État.

La Dépêche de Kabylie : Pour commencer, pouvez-vous dresser un état des lieux global de la municipalité ?

Youcef Akir : La situation est loin d’être des plus confortables. La commune reste dépendante des subventions de l’Etat. Si on supprime les subventions accordées, on ne pourra même pas payer nos salariés pour la simple raison que nous n’avons aucune autre source d’argent. Pour créer des entreprises ou des micro-entreprises, nous n’avons ni foncier, ni accompagnateur…

Le nouveau Code communal, dont on dit, depuis 2014, qu’il va renforcer les prérogatives des maires et nous donnera le droit à des prêts bancaires, n’est toujours pas en vigueur. Avec l’actuel Code des collectivités locales, on ne peut rien faire, surtout au niveau des communes pauvres comme la nôtre. Certes, les communes riches, comptant des usines, des entreprises et autres, et donc des recettes fiscales importantes, peuvent prétendre à la création de richesses et à se prendre en charge financièrement, mais ce n’est pas le cas de notre commune. Si on nous supprime les subventions de l’État, ce sera l’arrêt de mort de notre municipalité. Nous regrettons aussi la diminution des subventions pour les communes-mères au profit des nouvelles communes dites pauvres. A présent, le BP de ces communes-là est plus consistant que le nôtre, c’est une irrégularité qu’il faut réparer !

Mais que faut-il concrètement faire pour permettre à la commune de booster ses fonds propres ?

Il faut déjà que l’ensemble des services travaillent dans la collégialité. Je veux dire par là que les services des impôts, des domaines et de la trésorerie intercommunale doivent se focaliser sur les mêmes objectifs. A l’heure actuelle, chaque service travaille en solo. Simple exemple concernant la fiscalité ordinaire, à savoir les impôts : les taxes sur les ordures ménagères, sur l’habitation et sur l’environnement peuvent permettre des rentrées d’argent appréciables, mais, malheureusement, rien n’est fait pour engranger cet argent et éviter l’évasion fiscale. Il y a une mafia dans ce domaine.

Un simple buraliste paie le même impôt que celui qui détient un supermarché ! Ces gens ont tous des astuces pour éviter les impôts. Quelqu’un possédant deux chambres paie la même taxe que celui qui possède un château ! Sous d’autres cieux, mêmes ceux qui exploitent les trottoirs paient leurs impôts. Ce qui est loin d’être le cas chez nous. Il y a donc tout un travail à revoir pour assurer des ressources financières nouvelles aux communes. Il faut que l’ensemble des services de l’État travaillent dans la collégialité pour recouvrer cet argent. Actuellement, de nombreuses catégories échappent à l’impôt, dont les redevances représentent le double de notre masse salariale. L’irrégularité devant l’impôt est importante puisque le taux de recouvrement n’est que 10%. On doit corriger cette

situation, et c’est, avant tout, au service concerné d’agir en conséquence.

L’hôpital des Ouadhias sera-t-il opérationnel en mars 2020, comme annoncé ?

Il ne faut pas mentir aux citoyens. Si on arrive à inaugurer cet hôpital en juillet ou le 1er novembre 2020, ce sera déjà une réussite. Mais parler de mars 2020 ou d’une ouverture partielle en décembre 2019, c’est de l’utopie ! Tous les walis qui se sont succédé depuis 2014 ont été bernés par le maître d’ouvrage et l’entreprise en charge des travaux. Lors de sa dernière visite aux Ouadhias, le wali actuel a donné un ultimatum pour la rentrée sociale passée.

Hélas, rien n’a été fait. Dernièrement, lors de la visite du P/APW, on lui a encore avancé de nouvelles dates : ouverture partielle en décembre 2019 puis ouverture totale en mars 2020. Cette échéance ne sera pas respectée, j’en suis sûr, car l’entreprise est défaillante. Elle n’emploie que quelques ouvriers qui s’attellent à exécuter des travaux qui n’avancent pas. Pourtant, elle (entreprise) est payées rubis sur l’ongle. Il y a manque de sérieux, il faut le reconnaître !

Qu’en est-il des projets de l’ovoïde et de la station d’épuration ?

Ce sont des projets renvoyés carrément aux calendes grecques ! On nous ment toujours. Ils ont été confiés à l’ONA qui n’en a rien fait à ce jour. Maintenant, on veut les réattribuer à la direction de l’hydraulique. Mais il faut savoir qu’avec les lenteurs administratives et la lenteur des procédures, ces deux projets ne verront même pas le jour en 2025. Il faut signaler que les eaux usées des Ouadhias se déversent toujours dans le barrage de Taksebt et les riverains du talweg des Ouadhias continuent à souffrir de tous les désagréments engendrés par ce réceptacle d’eaux usées. Les blocages sont multiples et freinent tout élan de développement. Par exemple, pour la mise en service du marché de proximité, la Sonelgaz exige la réalisation d’un poste maçonné alors que le marché n’a besoin que d’une force motrice. Heureusement que lors de sa visite, le P/APW nous a promis de nous accorder une fiche technique pour la construction d’un poste maçonné.

La ville des Ouadhias s’agrandit et l’amélioration urbaine ne suit pas…

Oui, c’est la triste réalité. Les gens doivent savoir que l’éclairage public nous revient à 450 millions de centimes par an. Nous n’avons pas d’argent pour faire face à cette dépense. Les gens doivent payer leurs impôts pour que nous ayons l’argent nécessaire à la prise en charge de ce volet. Il faut noter que l’amélioration urbaine est du ressort de la DUC. Depuis sept ans, on ne nous a alloué qu’un milliard de centimes, ce qui est insuffisant pour installer et réparer l’éclairage public ou pour procéder à d’autres travaux d’aménagement urbain. Ouadhias est parmi les cinq villes les plus importantes de la wilaya, mais les subventions n’évoluent pas. Nous n’avons pas d’argent pour satisfaire les besoins exprimés.

Le souci de l’environnement semble aussi relégué au moindre souci dans la localité…

C’est une question complexe. L’environnement doit être l’affaire de tout le monde. La population doit montrer plus de civisme et respecter les horaires de passage des bennes tasseuses. La mairie, à elle seule, ne peut pas tout régler, d’autant plus que la voirie n’emploie que cinq ouvriers. Aussi, nous n’avons pas de chauffeur et si l’un des ouvriers tombe malade, c’est la paralysie ! Le recrutement est gelé. Nous avons demandé à la fonction publique de recruter des chauffeurs contractuels que nous payerons avec l’argent destiné au ramassage scolaire, car nous avons un parc suffisant pour tout assurer, mais nous n’y avons pas été autorisés. Nous avons quatre bus stationnés dans le parc mais sans chauffeurs !

Les villages des Ouadhias sont toujours sans gaz naturel. Pourquoi ?

Pour le réseau de distribution, les travaux se poursuivent, bien qu’il y ait du retard. Mais pour le réseau de transport, il y a une opposition qui date de 2014 sur un linéaire de 300 mètres. Si on avait utilisé la force publique, le problème aurait été résolu dès 2014. Mais les walis préfèrent négocier, ce qui n’a toujours rien donné. Le wali actuel a donné son accord pour employer la force publique, mais entre-temps, il y a eu résiliation du contrat de l’entreprise réalisatrice. C’est vous dire qu’il y a impasse ! Actuellement, nous sommes à la recherche d’une entreprise qui acceptera de réaliser les 300 mètres restants, car le plus gros du chantier (11 km) a été déjà concrétisé.

Et en matière d’électrification ?

Nous avons cinq quartiers qui attendent d’être branchés à ce réseau. Mais seuls deux sites (Iguer Aroum et Fekous) sont programmés pour le moment. En principe, les travaux seront entamés incessamment. Pour les autres quartiers, on attend la réponse de la Sonelgaz. Au niveau des villages, les listes sont établies et, normalement, nous aurons une aide de ministères de l’Intérieur. Par ailleurs, nous avons le problème du torsadé, nous demandons à la Sonelgaz de faire le nécessaire. Il y a également lieu de signaler les lignes de moyenne tension qui traversent la ville et qui ont déjà provoqué des drames humains. Nous demandons des tracés souterrains pour écarter définitivement le danger.

Les activités culturelles et sportives sont au ralenti à Ouadhias, pourquoi ?

Les jeunes doivent s’organiser en associations et travailler. L’APC va bien sûr les accompagner. Concernant les équipements culturels, il y a là encore des entraves. Nous avons, à titre d’exemple, une maison de jeunes fermée depuis trois ans. Elle a été réhabilitée à coup de millions, mais elle est toujours fermée et nous ignorons les raisons. La DJS doit faire le nécessaire pour sa réouverture. Le centre culturel est aussi inexploité.

Entretien réalisé par Hocine T.

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