«La prise en charge médicale est une priorité»

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Nommé il y a trois mois à la tête de la Direction de la santé de Bouira, Mohamed Laib parle notamment dans cet entretien de sa stratégie pour optimiser la prise en charge des patients, vu le déficit avéré en certains médecins spécialistes.

La Dépêche de Kabylie : La wilaya de Bouira est-elle à la traîne en matière de prise en charge médicale ?

Mohamed Laib : J’ai eu à tenir plusieurs séances de travail avec les directeurs des EPH et des EPSP, les chefs de service et surtout avec les entreprises ayant en charge certains projets relevant du secteur de la santé ainsi que des bureaux d’étude. Après le constat établi, je reconnais que Bouira est un grand chantier et qu’un immense travail nous attend. Toutefois, je tiens à préciser que la situation n’est pas alarmante, d’après mon expérience en tant que directeur de plusieurs hôpitaux à travers le pays. J’ai vu les indicateurs du secteur de la santé et ils sont dans la moyenne nationale. C’est vrai que les citoyens exigent toujours plus et mieux et c’est tout à fait légitime, mais je tiens à les rassurer à ce sujet. Bouira est au même niveau que d’autres wilayas du nord du pays.

Pourtant, la prise en charge aux urgences est toujours décriée…

La prise en charge médicale est acceptable et dans le pavillon des urgences, elle figure parmi nos priorités. Il en est de même pour le ministère de la Santé. D’ailleurs, nous sommes conscients qu’un personnel compétent, des médicaments disponibles, des équipements fonctionnels forment une chaîne de prise en charge et que s’il manque un maillon, c’est tout le service qui en pâti.

Cette chaîne est assez complexe et il faut que tous les moyens soient réunis pour que tout se déroule bien, car le malade n’attend pas. Comme partout ailleurs, il faut savoir que l’environnement est parfois hostile, ce qui a un impact sur la prise en charge des malades. Par environnement, je veux dire la population et la société. Il est dans nos habitudes que lors de l’évacuation d’un malade par ses proches, ses parents, voisins et amis l’entourent. Des accompagnateurs souvent stressés qui ne facilitent pas la tâche au personnel soignant et lui exigent que leur parent soit pris en charge immédiatement, alors que c’est au médecin de juger son état, car il y a une différence entre une urgence réelle et une urgence ressentie par les proches du malade.

Seul le médecin est apte à établir un diagnostic pour décider s’il s’agit de douleurs passagères, ce qui n’est pas grave, ou d’un cas à traiter en urgence. C’est ce qui se passe au niveau du service des urgences de l’hôpital Mohamed Boudiaf de Bouira. Les couloirs sont archicombles, les salles de soins sont envahies par les accompagnateurs, les salles d’observation également. Cela rend la tâche des médecins qui sont souvent pénalisés par le stress ambiant ardue.

Souvent, il est signalé des pannes de scanners, d’appareils de radiologie et l’absence de médicaments. Un commentaire ?

Quelques fois, certains équipements tombent en panne et leurs pièces de rechange mettent un certain temps pour parvenir, surtout lorsqu’il s’agit de scanners ou d’appareils de pointe. Pour les médicaments, ce n’est plus comme avant, il n’y a plus de rupture de stocks, car nous faisons nos commandes auprès de la Pharmacie centrale des hôpitaux dans les temps. Une fois les commandes faites par les hôpitaux, au niveau national, la PCH nous livre les médicaments demandés, selon nos besoins. Il s’agit de ceux administrés pour le traitement des maladies chroniques ou les cancers.

En ce qui concerne les maladies dites orphelines, les traitements sont assez onéreux. J’ai reçu une fois un malade qui se plaignait du fait que son traitement ne soit pas disponible à l’établissement. Après avoir demandé des explications à un responsable, il s’est avéré qu’il lui a délivré son traitement une seule fois, faute de budget. Ce patient souffre d’une maladie génétique et doit prendre ce médicament à vie. Un traitement qui coûte 12 milliards de centimes par année ! Imaginez-vous 120 millions de dinars pour un malade.

Notre budget ne peut faire face à ce genre de situations. Si on achète ce traitement, nous allons pénaliser des centaines d’autres malades. C’est pour cela que nous devons fixer des priorités, tout en respectant la déontologie. En tout cas, je vais saisir de manière officielle la tutelle pour que ce malade soit pris en charge parce que, actuellement, nous sommes incapables de lui assurer ce traitement et nous ne pouvons pas l’abandonner non plus. Il existe un seul service de référence au niveau d’Alger et nous verrons s’il est possible de l’y inscrire pour sa prise en charge.

Le secteur de la santé est un secteur humain avant tout. Pour revenir au service des urgences, il faut le réorganiser et le restructurer, car il dispose de plusieurs spécialistes qu’on ne trouve pas ailleurs avec une affluence de malades entre 400 et 450 par jour. Un montant de 35 millions de dinars lui est réservé, ce qui est loin d’être suffisant. Je tiens aussi à signaler que j’effectue des visites impromptues au niveau des anciennes urgences de la ville de Sour El Ghozlane, Aïn Bessem, M’Chedallah, Lakhdaria et que les directeurs de ces structures me rendent compte régulièrement de leur situation.

Les citoyens se plaignent aussi du manque de spécialistes. Qu’en est-il exactement ?

La wilaya est couverte en matière de spécialistes avec plus de 250 praticiens. C’est un nombre acceptable par rapport à d’autres wilayas. Malgré cela, on déplore le manque de quelques spécialistes en gynécologie-obstétrique dans le secteur public. Mais ce n’est pas le cas du privé. Nous attendons l’application des textes sanitaires de la nouvelle loi 18-11 pour que le secteur public et le secteur privés soient complémentaires.

Il faut juste que les mécanismes de cette complémentarité soient mis en œuvre avec des décrets et des arrêtés. On dispose actuellement de 5 gynécologues et dans deux mois, on n’aura que quatre, sachant que le départ de l’un d’eux à Lakhdaria est prévu. Mais l’hôpital de Lakhdaria, qui est proche d’Alger, est très prisé pour effectuer le service-civil. Ce problème sera donc vite résolu. En ce qui concerne la maternité de l’hôpital de Bouira avec ses 64 lits, il est vrai qu’elle ne dispose pas de gynécologue, de même que M’Chedallah, Sour El Ghozlane et Aïn Bessem.

Et pour assurer de manière convenable les gardes, on a besoin de 7 gynécologues, au moins pour créer un point de chute pour les parturientes de la wilaya nécessitant une prise en charge spécialisée. Il faut savoir également que d’importants efforts ont été consentis ces vingt dernières années et que le nombre de décès maternels ont été réduits avec 57 cas de mortalité pour 100.000 naissances. Un nombre qui a baissé de moitié. Nous allons continuer dans ce sens, afin de réduire davantage ce chiffre.

Nous enregistrons outre cela un manque en médecins réanimateurs, après avoir ouvert des gardes de wilaya à notre niveau en orthopédie et en chirurgie infantile. Mais quelques fois, on est obligés de procéder à des évacuations hors wilaya. Notre objectif est de prendre en charge les malades de Bouira, au sein de la wilaya. Que ce soit au niveau de Lakhdaria, Sour El Ghozlane, Aïn Bessem ou M’Chedallah, il est important d’éviter les transferts et de faire de telle sorte qu’il n’y ait aucun problème pour la prise en charge du malade. Et si un problème surgit, nous pourrons alors intervenir.

Chose que nous ne pouvons pas faire si le malade est évacué hors wilaya avec les risques de décès qui peuvent intervenir, en cours d’évacuation. Sans oublier que les médecins anesthésistes et réanimateurs font parfois défaut, lors d’une garde d’orthopédie. L’anesthésiste aussi. Le malade souffrant de plusieurs maladies ne peut alors être opéré. On voit alors s’il peut attendre ou pas et s’il nécessite une intervention, on procède alors à son évacuation.

A noter que la wilaya de Bouira dispose de 18 médecins réanimateurs pour toutes les spécialités disponibles. Un nombre hélas insuffisant pour couvrir tous les établissements. Toutefois, je tiens à signaler qu’il y aura une promotion fin janvier début février de nouveaux spécialistes. A cet effet, on va demander au ministère de nous en affecter pour parer au manque enregistré.

Pour la neurochirurgie également, j’ai remarqué beaucoup d’évacuations vers Tizi Ouzou, sachant que nous n’avons que 4 neurochirurgiens. Un nombre insuffisant pour assurer les gardes. Nous avons aussi un problème de moyens opératoires. Il faut investir dans cette spécialité, mais le matériel coûte un peu cher. On va essayer de restructurer d’autres programmes pour ajouter du crédit à cette spécialité, afin que ses médecins puissent intervenir dans le cadre de l’urgence, en cas de traumatisme crânien, d’hématome sous-dural pour absorber le sang ou pour décompresser comme dans certains AVC hémorragiques.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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