«Le MN était un appui au Congrès de la Soummam»

Partager

Le 20 Août constitue une date repère dans l’histoire de l’Algérie contemporaine. Une date qui marque simultanément deux moments

historiques déterminant la suite de la lutte armée pour l’indépendance

du pays. Lounis Mehalla, 78 ans, ancien moudjahid et cadre supérieur à la retraite, livre, dans cet entretien, quelques péripéties de cette date aux dimensions multiples.

La Dépêche de Kabylie : Que représente pour vous la date du 20 Août ?

Lounis Mehalla : Le 20 Août 1955 remémore l’offensive générale faite par Zighoud Youcef et ses troupes dans le nord constantinois dans l’optique de donner un plus de vigueur à la révolution. Sentant comme si la lutte armée était en train de s’éteindre, et pour lui donner un élan, Zighoud Youcef a fait des attaques partout dans le nord constantinois pour dire que l’action armée se poursuit. L’offensive a ciblé plusieurs endroits. Même les centres urbains n’étaient pas épargnés des attaques des moudjahidine. De leurs côtés, les Français, surtout les civils,  étaient pris de panique, car leur sécurité était mise en péril même dans les villes. Il y avait plusieurs victimes de part et d’autres. Les forces armées coloniales ont riposté violemment, causant plusieurs massacres. Ils ont tué des milliers de gens. Des milliers d’hommes ont été fusillés au stade de Skikda. Il y en a ceux qui ont reproché à Zighoud Youcef d’avoir engagé ses troupes dans cette espèce d’offensive aux conséquences inattendues. Il a riposté, au Congrès de la Soummam, en disant qu’il était obligé d’agir de la sorte pour sauver la révolution de l’extinction. Il a dit aux congressistes que ce type d’actions militaires était certes un sacrifice, mais, d’un autre côté, un investissement pour le maintien du combat armé. Le 20 Août 1955 a donc donné un élan au combat révolutionnaire. Sur un autre plan, les dirigeants de la l’Armée de Libération Nationale ont décidé aussi de se réunir le 20 Août 1956 à Ifri Ouzelaguen pour tenir ce qui est appelé le Congrès de la Soummam. Ils se sont réunis à la Soummam dans des conditions difficiles. Ils étaient plusieurs fois contraints de changer de place où ils devaient se rencontrer. Dans la perspective de jeter les bases de la structuration de la révolution, ils ont opté finalement pour Ifri comme lieu du déroulement du Congrès historique. Abane Ramdane était le cerveau politique incontestable de ce Congrès tenu à la barbe de l’armée française qui était déjà partout. Les travaux des dirigeants de la révolution se sont soldés d’une plateforme formidable. Une plateforme qui demeure une merveille.

Que stipule cette plateforme issue du Congrès d’Ifri Ouzelaguen ?

Elle consacre, entre autres, quelque chose de formidable, à savoir la primauté du civil sur le militaire, d’une part, et la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, de l’autre. La primauté du civil sur le militaire est une idée géniale pour épargner la révolution de la dictature militariste. Même si on y est tombé dedans par la suite, la révolution a quand même échappé à l’étouffement. Les deux impératifs, la primauté du civil sur le militaire et la primauté du l’intérieur sur l’extérieur, sont importants. Il faut reconnaître par ailleurs que l’insurrection du 1er Novembre 1954 a drainé beaucoup de gens volontaires et dévoués, mais beaucoup d’entre eux manquaient en parallèle de culture politique. Or, en Algérie, depuis les années 1920, l’Etoile Nord Africaine a servi, en partie, de base et de source d’inspiration d’un point de vue politique et idéologique pour l’enrichissement des débats tenus au cours du Congrès de la Soummam en 1956.

Vous voulez dire que le Congrès de la Soummam a ressuscité le combat politique datant du mouvement national des années 1920 ?

Bien sûr. Parce que le mouvement politique algérien date de la création de l’Etoile Nord Africaine en 1926. Cette organisation demeure un autre symbole de résistance et de lutte politique et pacifique pour l’indépendance de l’Algérie. Elle a permis quand même l’émergence d’hommes de grande valeur, de grands militants, même si par la suite certains d’antre eux se sont retrouvés dans le camp adverse, en se dressant contre le principe de la lutte armée. Il y a donc le problème de Messali qui a voulu garder la maîtrise de la lutte pour l’indépendance, mais que les gens veulent diaboliser. Car on ne peut pas nier qu’il s’agit d’un homme qui a lutté toute sa vie pour la libération de son pays. Le problème c’est qu’il a voulu être le chef, le zaïm en quelque sorte. Quand on a demandé à Hocine Ait Ahmed (que Dieu ait son âme) de dire ce qu’il pensait de Messali, il a refusé de s’en attaquer. Pour lui, il a un problème de zaïmisme. Ait Ahmed disait aussi qu’il y a des gens qui pèsent peu devant Massali et qui veulent être qualifiés de zaims. En tout cas, quelques grands leaders politiques ne cèdent pas facilement. J’ai lu quelque part à propos de l’histoire de la guerre de libération nationale que Ben Boulaid (que Dieu ait son âme), un grand homme, un sage, qui, à la veille du déclenchement de l’insurrection armée, est allé voir Messali en France, où il était en résidence surveillée, pour avoir l’avis de celui-ci au sujet de la lutte armée. Messali n’étant pas acquis au passage à l’action armée, le groupe des six (Krim Belhacem, Larbi Ben M’Hidi, Didouche Mourad, Mostefa Ben Boulaid, Rabah Bitat et Mohamed Boudiaf qui fait la liaison avec la délégation extérieure), a décidé de passer à l’action en date du 1er Novembre 1954. Une fois la décision est prise, Boudiaf a été chargé de transmettre la déclaration du 1er Novembre à la délégation extérieure se trouvant en Egypte, pour qu’elle soit lue à la radio Sawt Elâarab du Caire. Là aussi, tout comme Messali, d’aucuns pensaient que le déclenchement de la lutte armée était une aventure. Mais c’était une réussite. Autant d’objectifs ont été attaqués un peu partout à l’échelle nationale. Et une fois la révolution a pris, la lutte armée nécessitera une organisation. Ceux qui l’ont déclenchée ont vu la nécessité de lui donner une assise, une structuration, un programme etc. Ces mêmes révolutionnaires qui ont déclenché la guerre ont fait leurs classes dans le mouvement national, dans les partis politiques, dans le PPA/MTLD. Et à cette époque-là, même si le Parti du Peuple Algérien était autorisé, les militants subissaient la pression française. Les services de police et de renseignement français intimidaient les nationalistes. Même les veilles femmes, n’ayant aucun lien à la politique, connaissaient le PPA/MTLD. Ce qui confirme d’ailleurs le rôle politique du parti à la même époque. Il y avait aussi des chants patriotiques à la gloire du nationalisme qui maintenaient la ferveur nationaliste au sein du peuple.

D’après vous, pourquoi l’idée de la primauté du civil sur le militaire n’a pu avoir sens et être concrétisée après la tenue du Congrès historique de la Soummam ?

La primauté du civil sur le militaire est une idée géniale consacrée par les promoteurs du Congrès. Elle n’a pu être concrétisée car certains dirigeants de la révolution, même si leur nationalisme n’a pas de mesure, manquent de maturité politique et n’ont pas confiance en l’idée de la primauté du civil sur le militaire. Faute de maturité politique, ils ne l’ont pas bien acceptée. Aussi, les drames survenus après 1956 dans les rangs de l’Armée de Libération Nationale ont failli même étouffer la révolution. La mort d’Abane Ramdane par exemple est susceptible d’anéantir la révolution. Si ce n’était la grande sagesse et le grand patriotisme de Krim Belkacem et de Amar Ouamrane, qui ont avalé des couleuvres, la révolution était sur le point d’éclater. L’assassinat d’Abane Ramdane est une véritable catastrophe. Il a failli éclater la révolution. Il en était question, seulement l’incomparable sagesse de Krim Belkacem et ses compagnons l’ont emporté. Krim Belkacem et Amar Ouamrane auraient pu riposter après l’assassinat d’Abane Ramdane. C’était un acte scandaleux qui était même pris pour provocation, mais ils ont opté pour la voie de préserver la révolution. À mon sens, ceux qui veulent vraiment se former à la politique et apprendre à faire face dans des moments cruciaux doivent s’inspirer de la sagesse sans égal de Krim Belkacem et Amar Ouamrane. Il faut aussi beaucoup lire et analyser correctement l’histoire du Mouvement national algérien et de la guerre de libération nationale. Des événements presque miraculeux avaient lieu pendant la guerre d’indépendance.

En parlant justement de lecture, quels sont, à votre avis, les livres que devraient lire les jeunes et les férus d’Histoire ?

Il y a quelques livres qu’il faut en effet lire, même si les gens lisent de moins en moins. Il y a des choses intéressantes à lire dans par exemple les écrits de Mahfoud Benoun. Aussi, Le lion du Djebel, un livre sur Krim Belkacem, écrit par Amar Hamdani, vaut ce qu’il vaut. Les gens doivent le lire. Il faut lire aussi Sans haine ni passion de Mouloud Chaid, qui contient des pages d’histoire de l’Algérie combattante. L’auteur y consacre tout un chapitre au colonel M’hamed Bougara, ce personnage historique important. L’œuvre de Ferhat Abbas, dont en particulier L’autopsie d’une guerre, est également à lire.

Propos recueillis par Djemaa T.

Partager