«Mes soucis ? Les déchets et la direction des mines»

Partager

Abdelaziz Mehdi est responsable du secteur de Tala Guilef relevant du Parc national du Djurdjura (PND). Dans cet entretien, il parle des menaces qui pèsent sur ce site naturel, classé réserve mondiale de biosphère.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous vous présenter ainsi que le secteur que vous gérez ?

Abdelaziz Mehdi : Je suis le gestionnaire du secteur de Tala Guilef, rattaché au Parc national du Djurdjura, mais aussi d’un autre secteur, à Aït Ouabane. Cela fait maintenant 21 ans que je suis l’évolution de cette vaste partie du Parc national du Djurdjura. A titre de rappel, ce parc a été créé en 1925 par l’administration coloniale et s’étendait à l’époque sur une superficie de 1 000 hectares. Pour information, la France a créé ce parc avant même qu’elle n’en ait un en Métropole. Après l’indépendance, ce parc atteindra 18 550 hectares et couvrira les wilayas de Tizi-Ouzou et Bouira.

Pouvez-vous localiser précisément le secteur que vous gérez ?

Il est situé dans la partie occidentale de la wilaya de Tizi-Ouzou, à quelque vingt kilomètres de la ville de Boghni. L’accès est facile par voie carrossable. La partie que je gère s’étend sur 5 400 hectares et recèle de paysages magnifiques et d’une végétation luxuriante. Cinq communes lui sont riveraines : Boghni, Assi Youcef, une partie de Bounouh, Ath Bouaddou et Agouni Gueghrane.

Quels sont les moyens mis en œuvre pour contrôler tout ce territoire ?

Ce n’est pas facile. Et puis, on ne peut pas tout contrôler. Nous avons seulement quatre ouvriers et un inspecteur. Nos ouvriers sont âgés et ne tarderont pas à partir en retraite. Un moment que nous redoutons, car on ne sait pas comment faire s’ils ne sont pas remplacés. C’est dire que notre tâche est compliquée, d’autant plus que plusieurs phénomènes impactent négativement ce grand secteur.

C’est-à-dire ?

Ces dernières années, les lieux ne désemplissent pas de visiteurs, de plus en plus nombreux à y affluer. Malheureusement, bien des touristes laissent des déchets sur place. C’est vraiment regrettable car ce bel espace verdoyant est devenu un dépotoir à ciel ouvert. D’ailleurs, je saisis cette occasion pour lancer un appel à tous les visiteurs, qui font une escapade sur les lieux, pour laisser les lieux propres en prenant le soin de ramasser leurs déchets. J’appelle aussi la commune de Boghni à nous aider pour l’acheminement des tas d’ordures collectées par semaine. Cela fait maintenant une année que les déchets n’ont pas été enlevés. En dépit de nos volontariats, nous ne sommes pas venus à bout de ce désastre. L’autre phénomène qui nous cause d’énormes soucis à trait aux visites nocturnes. Ce genre de phénomènes est incontrôlable ! A l’approche de l’été, nous craignons les départs de feu.

Y aurait-il d’autres problèmes que vous voudriez signaler ?

Les deux hôtels hérités de l’ancienne gestion du parc sont un grand problème pour nous. D’ailleurs, j’appelle les gestionnaires de ces structures à plus de vigilance et à veiller à leur bonne gestion. Cela ne veut aucunement dire que nous sommes contre le développement touristique… mais pas au détriment de la salubrité publique ! Nous encourageons toute initiative allant dans le sens du développement local, comme celle des fellahs de la commune d’Ath Bouaddou qui viennent de bénéficier d’une aide financière dans le cadre d’appui aux communautés paysannes, pour lancer de petites unités diverses dans l’agriculture de montagne. J’appelle les agriculteurs des autres communes riveraines du parc à s’investir dans de tels créneaux. D’un côté, ils vont améliorer leur cadre de vie, et d’un autre, ils vont nous aider dans la préservation du parc.

Pouvez-vous nous faire un descriptif de la faune et de la flore que recèle ce parc ?

Dans cette réserve mondiale de biosphère, nous avons compté 398 espèces animales, dont 134 variétés d’oiseaux parmi lesquelles 23 espèces de rapaces. C’est une grande richesse à protéger d’extinction. Ces rapaces font leurs habitats sur des rochers. Ce sont des nettoyeurs de la nature et ils permettent aussi un bon équilibre de l’écosystème. Malheureusement, nous constatons que leurs habitats sont détruits parce que la direction des mines s’affaire à l’exploitation intensive des carrières d’agrégats. N’oublions pas que ces gisements sont des réservoirs d’eau très importants. Doit-on choisir l’extraction d’agrégats au détriment de l’eau ? C’est un choix à faire. Par rapport à la flore, nous avons recensé 1 100 espèces, c’est-à-dire le tiers de toutes les variétés à l’échelle nationale qui sont de l’ordre de 3 339 espèces. Nous avons des variétés qu’on ne trouve pas ailleurs telles que, par exemple, le pin noir. Parmi toutes ces richesses floristiques, il y a 76 espèces endémiques à l’Algérie et 25 au majestueux Djurdjura.

Autre chose qui vous tient à cœur de signaler ?

Ces dernières années, nous avons remarqué l’émergence de «guides-charlatans». Ils «prennent en charge» des randonneurs sans avoir aucune connaissance dans ce domaine. Pis encore, ils piétinent le parc en laissant derrière eux des tonnes de déchets. En revanche, je rends hommage aux habitants d’Ath Bouaddou qui mobilisent des volontaires pour nettoyer les alentours du magnifique Lac Goulmine, qui culmine à plus de 1 700 mètres d’altitude. Ils transportent, à dos, tous des détritus qu’ils ramassent le long du parcours jonchant les lieux jusqu’au centre du village Ighil Bourmi, sur une distance de plus de quatre kilomètres. J’informe tous ceux qui voudraient faire des randonnées pédestres dans le secteur de Tala Guilef que nous avons au sein de nos secteurs de Tizi N’Tléta et d’Ath Ouaâvane des guides formés qui les accompagneront et les orienteront afin de leur éviter des accidents ou tout autre incident fâcheux dans ce vaste territoire, surtout en cas de brouillard.

On vous laisse le soin de conclure…

Le Parc National du Djurdjura est un patrimoine qui appartient à tous. Nous avons la grande responsabilité de le protéger et de le sauvegarder, afin d’assurer sa pérennité et le léguer aux générations futures en bon état. Nous sommes tous appelés (responsables, citoyens, riverains, visiteurs…) à ne ménager aucun effort pour préserver cette réserve naturelle parce que c’est une richesse inestimable sur tous les plans. Que les APC environnantes travaillent avec nous main dans la main ! C’est très important de le souligner car nous sommes tous concernés.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane

Partager