«Ne pas céder à la panique !»

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Dans cet entretien, le directeur de la santé publique de Bouira, M. Mohamed Laib, parle du premier cas positif au coronavirus enregistré au niveau de la wilaya et des dispositions à prendre en cas d’une éventuelle propagation du virus.

La Dépêche de Kabylie : Tout d’abord vous confirmez ce premier cas de coronavirus annoncé au niveau de la wilaya de Bouira ?

Mohamed Laib : Effectivement, le malade est revenu de l’Arabie saoudite depuis quelques jours et présentait quelques signes d’une grippe en plus d’un problème respiratoire avec quelques complications. Après examen, le médecin a pris la décision de le mettre en isolement en date du jeudi 12 mars dans la soirée et les résultats des analyses sont tombés lundi soir. L’enquête épidémiologique a débuté immédiatement dans son entourage.

Mais on dit que le patient s’est présenté au niveau de l’EPH Mohamed Boudiaf plusieurs jours auparavant et on l’a laissé repartir…

Lorsqu’un malade se présente, et cela arrive même à l’étranger, et ne présente pas les symptômes clairs du coronavirus, il peut être considéré comme atteint d’une grippe saisonnière. Avec le temps, le virus devient plus virulent et se propage et les vrais symptômes se manifestent. Il peut parfois s’agir d’une petite toux avec allergie et ce n’est pas aussi simple, ce n’est qu’avec le temps qu’on peut diagnostiquer le coronavirus.

Donc, selon vous, il ne s’agit pas d’une négligence du personnel hospitalier ?

Non absolument pas, on ne peut pas parler de faute et encore moins de négligence. Pour les médecins, le patient doit présenter les trois symptômes du coronavirus qu’il ne présentait pas. Il a dû être diagnostiqué dans un premier temps à la grippe saisonnière compliquée et c’est pour cela qu’à l’hôpital de M’Chedallah, des prélèvements ont été effectués et envoyés à l’Institut Pasteur. Les mesures du ministère de la Santé ont été appliquées à la lettre pour le mettre en isolement.

Quelles sont les mesures concrètes prises lors de l’enquête épidémiologique ?

Une équipe spécialisée s’est rendue sur les lieux, au foyer, nous avons averti son fils qui travaille à Bouira et nous lui avons expliqué qu’il allait être placé en isolement et nous allons le prendre en charge pour éviter la panique. Le foyer a été mis en isolement et l’enquête démontrera s’il y a eu beaucoup de sujets contact. Nous allons renforcer les équipes médicales pour effectuer les tests rapidement avec des déplacements deux fois par jour pour un suivi avec prise de température matin et soir et nous allons les sensibiliser sur le plan sanitaire et s’il y a un petit symptôme qui se manifeste, il sera pris en charge comme étant porteur du virus et des prélèvements seront effectués pour éviter toute complication, surtout respiratoire.

Donc il n’est pas procédé à des prélèvements systématiques auprès de l’entourage du malade ?

Non, tant qu’il n’y a pas de symptômes et qu’il n’y a pas de charge virale importante, on ne pourra pas détecter le virus. Nos équipes font le suivi et nous serons attentifs à l’évolution de chaque sujet contact selon la durée pendant laquelle il a côtoyé le malade. Si les membres de sa famille l’ayant côtoyé plus de 14 jours ne sont pas tombés malade, cela veut dire qu’ils n’ont rien. Donc, les prélèvements ne sont pas systématiques.

Pourtant un mouvement de panique fait des vagues à El Esnam, surtout avec le nombre de personnes ayant côtoyé le malade avant son isolement…

Oui c’est le cas. À chaque fois qu’un foyer de coronavirus se déclare, il y a une panique, mais nous devons séparer entre les deux étapes du coronavirus. Il y a la phase d’incubation qui peut durer 14 jours et le malade ne présente aucun signe, dans ce cas ce n’est pas contagieux et le virus ne se transmet pas sauf lors d’un contact direct et prolongé. Il faut d’abord une certaine charge virale avant que les signes se manifestent. La contagion s’effectue après la période d’incubation avec l’apparition de toux, de fièvre, une fatigue générale et une gêne respiratoire importante par rapport à la grippe. C’est à partir de ces symptômes que cela devient contagieux. Nous avons rassuré la population d’El Esnam pour qu’elle évite de sombrer dans la panique, notamment les gens qui ont été en contact avec le malade qui peuvent se présenter auprès des structures de santé et nous allons les ausculter pour savoir s’ils ont été contaminés. Ce n’est pas parce que quelqu’un a rencontré le malade qu’il sera systématiquement atteint. Le virus se propage rapidement et de cette propagation rapide il faut en tenir compte. Le Covid-19 se propage dans des conditions particulières et tout dépend de certains facteurs, tels la température ambiante, le taux d’humidité… Il faut, de ce fait, respecter les consignes de sécurité pour éviter sa propagation en tenant compte d’une hygiène stricte et parfaite. Je précise que le virus se propage rapidement mais qu’il est moins dangereux. Il y a un risque mais ce n’est pas un risque majeur ou important comme le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) qui avait un taux de mortalité de 10% même s’il se propageait moins rapidement que le coronavirus. Le coronavirus se propage de manière rapide avec un taux de mortalité inférieur d’environ un tiers, donc moins virulent. Le Covid-19 est également plus sensible et fragile. Il y a des dispositions à prendre pour lutter contre sa propagation.

De combien de lits dispose la wilaya de Bouira pour faire face à une éventuelle propagation de ce virus ?

Déjà ce premier malade confirmé a été admis et placé en isolement dans un service de 30 lits réservés uniquement pour les patients atteints du coronavirus au niveau de l’EPH Mohamed Boudiaf de Bouira, service de référence. Tout cas confirmé sera évacué vers cet hôpital, c’est le protocole. À travers la wilaya, environ 43 lits sont dédiés à l’isolement avant confirmation du cas car il peut s’agir d’une grippe saisonnière compliquée. Si le coronavirus est diagnostiqué, le cas sera évacué vers Bouira. En cas d’une propagation de l’épidémie et si les 30 lits réservés ne suffisent pas, nous avons élaboré un autre plan avec extension de 20 lits. Et si les 50 lits ne suffisent pas, nous prendrons une aile supplémentaire au niveau supérieur ce qui fera 100 lits. En cas de débordement, c’est toute la structure hospitalière avec ses 300 lits qui pourra accueillir les malades. Nous transférerons alors toutes les activités chirurgicales ailleurs dans d’autres hôpitaux de la wilaya et l’activité médicale sera suspendue au sein de l’hôpital Mohamed Boudiaf. Mêmes le service des urgences sera délocalisé à la polyclinique d’Oued D’hous. Dans notre plan d’urgence, au cas où l’EPH de Bouira est submergé, nous avons prévu le pire des scénarios, bien sûr qui j’espère n’arrivera pas en réquisitionnant l’hôpital d’Ain Bessem qui sera dédié aux malades atteints par le coronavirus et Bouira disposera alors de 400 lits. Si on est dépassés, nous garderons uniquement deux hôpitaux à travers la wilaya pour les autres malades ordinaires, la gynéco-obstétrique, l’orthopédie, la chirurgie et les urgences, à savoir celui de M’Chedallah et celui de Lakhdaria pourront faire face avec 250 lits et 700 lits seront réquisitionnés pour les malades atteints du coronavirus. Mais nous espérons ne pas en arriver à ce stade avec le dispositif de prévention que nous avons mis en œuvre.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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