Rachid Adjaoud raconte

Partager

Membre du comité d’épuration lors de la fameuse opération «la bleuite», membre du secrétariat du congrès de la Soummam et secrétaire personnel du colonel Amirouche, Rachid Adjaoud, en sa qualité de «dernier témoin», a livré un témoignage poignant sur la guerre de libération nationale, la semaine dernière, devant les stagiaires du centre de formation professionnelle de Tazmalt.

Membre du comité d’épuration lors de la fameuse opération «la bleuite», membre du secrétariat du congrès de la Soummam et secrétaire personnel du colonel Amirouche, Rachid Adjaoud, en sa qualité de «dernier témoin», a livré un témoignage poignant sur la guerre de libération nationale, la semaine dernière, devant les stagiaires du centre de formation professionnelle de Tazmalt. Devant une salle pleine à craquer, le natif de Seddouk fouilla dans sa mémoire et raconta avec passion les chroniques d’une guerre qui a peiné à se déclencher dans la région de la Soummam. Les préparatifs précédant le déclenchement de la révolution, sa toute première rencontre avec le colonel Amirouche, les premières actions armées qui ont marqué la vallée de la Soummam, les coulisses dans lesquelles le congrès de la Soummam 1956 a été préparé et aussi l’opération «la bleuite» sont, entre autres, les moments majeurs que l’orateur a voulu transmettre à une assistance jeune et assoiffée de connaître son histoire. «Ce qui m’intéresse réellement est de transmettre le flambeau aux jeunes.  Leur raconter l’histoire telle qu’elle est. Souvent, dans les conférences que j’anime, je me trouve devant une audience vieille, laquelle a vécu, d’une manière ou d’une autre, la révolution», déclara d’emblée M. Adjaoud devant les stagiaires de CFP de Tazmalt.

Premières actions armées dans la Soummam

«Nous étions étonnés de ce qui s’est passé aux Aurès et en haute Kabylie. On lisait la presse, notamment  la Dépêche de Constantine, qui rapportait les premières actions armées. On s’interrogeait : Que se passe-t-il au juste ?  Krim Belkacem, qui était le responsable de la Kabylie était sceptique et s’interrogeait tout autant : Pourquoi n’y avait-il pas d’attentats en basse Kabylie ?», dira M. Adjaoud des toutes premières heures qui ont suivi le premier novembre 1954 dans la région de la Soummam. Plusieurs facteurs ont été par ailleurs, évoqués par l’orateur pour déterminer les raisons ayant retardé le déclenchement de la révolution. Il y avait notamment cette «trahison» d’un militant messaliste censé apporter le message du déclenchement de la révolution armée aux militants de la basse Kabylie. «Pour la vallée de la Soummam, notre responsable qui est natif de Tazmalt a été chargé par Krim Belkacem et le colonel Ouamrane de nous informer de la date fixée du déclenchement de la guerre. Cet émissaire était malheureusement messaliste (contre la guerre). Résultat : le message n’a pas été transmis.  En outre, faute de convoi d’armes, à travers toute la vallée de la Soummam, le premier novembre, il n’y avait eu aucun coup de feu. Tout le long de novembre, décembre et janvier, point de nouvelle du déclenchement de la guerre !», explique-t-il. Aussi, poursuivra le conférencier, une délégation a été dépêchée par Krim Belkacem. Il s’agissait de Si Amer Aït Cheikh avec trois autre moudjahidine qui étaient munis, selon lui, de l’appel du premier novembre. Cette délégation s’était rendue, en premier lieu, à Ouzellaguen, puis à Ath Ouaghlis où ils rencontrèrent le commandant Ouali, ensuite à Ath Mansour pour voir Salah Agherbi. «La délégation sillonna pratiquement toute la vallée jusqu’à Ath Amer près d’Adhekar, pour transmette le message portant l’appel du premier novembre», ajoutera-t-il. Entre temps, Abderrahmane Mira rentra de France pour se mettre en contact avec la direction qui lui donna des renseignements sur le déclenchement de la guerre. Il commit ensuite les premiers attentats à M’Chedallah. Salah Agherbi, le Commandant Kaci, Salah Ahedadh  et d’autres responsables s’étaient mis d’accord pour déclencher la guerre dans la région. «Mais il n’y avait pas d’armes !», expliquera M. Adjoud. Donc, il fallait saboter, faire quelques attentats et nuire aux colonialistes pour montrer que la vallée de la Soummam «se rebellait». Le premier à supprimer, c’était le  responsable «traitre» qui n’avait pas transmis le message. «Il fut liquidé dans un guet-apens», dira-t-il. Les premières actions ont ciblé selon lui, «ces mouchards» qui travaillaient pour la France. «Donc, il fallait s’attaquer aux Caïds, aux conseillers municipaux», précisera Rachid Adjaoud. «Par ailleurs, Si Abderrahmane mira coupa les lignes électriques. A Ath Aidel, les militants étaient d’accord pour liquider le caïd Beni Mohli, l’un des plus virulents caïds dans la Soummam». «Deux caïds ont été abattus. Ayant bien compris le message, seul Ben Ali Cherif  abandonna tout et s’enfuit en Tunisie avec sa famille». Comme autres premières actions armées, le témoin oculaire évoque également les attentats commis au pont des gendarmes à Biziou.

Au congrès de la Soummam, Rachid Adjaoud rencontra amirouche

Selon le conférencier, le congrès de la Soummam devait se tenir à Leqlaâ Ath Abbas pour multiples raisons. D’abord celle historique, puisqu’il était le village d’El Mokrani qui orchestra la révolution de 1871 et puis pour sa situation géographique. La délocalisation du congrès est due à la fameuse histoire de «la mule» qui transportait des documents importants. «Les responsables venus d’Alger, Krim Belkacem, Omar Ouamrane et Youcef Benkhedda, entre autres, tombèrent dans une embuscade avec une mule portant des documents. Cette monture appartenait à un colon. Quand il y eut l’accrochage, la mule s’est enfuie avec les documents. Ceux-ci sont tombés entre les mains des Français mais sans susciter leur intérêt ni éveiller leurs soupçons», raconte encore M. Adjaoud. Abderrahmane Mira et Amirouche, deux responsables de la région, donnèrent par conséquent l’ordre de déplacer le congrès. «Tout de suite, Amirouche proposa Ifri Ouzellaguen qui était pour lui le meilleur endroit pour la tenue de congrès», dira-t-il, expliquant que la population de la région avait embrassé très tôt la révolution et que géographiquement le village était une véritable forteresse. Rachid Adjaoud racontera ensuite, avec émotion, ses premiers face-face avec le lion de Djurdjura : «Au début du mois d’août 1956, j’étais secrétaire de Si Mohand Akli et secrétaire à la mairie de Seddouk. J’avais une dactylo. Si Hemimi et Si Mohand Akli m’avaient proposé leurs services. Je me retrouvai à Ifri avec Si Lhoucine Salhi, Amirouche Boumendjel et Si Abdelhafidh Amokrane sans savoir les motifs de notre présence». La clandestinité dans laquelle s’était déroulé le congrès de la Soummam démontre l’ampleur de l’événement. «Nous savions juste qu’il s’agissait d’une grande réunion vu les nombreux chefs historiques que nous rencontrions chaque jour», se rappelle-t-il. «Nous avons rencontré plusieurs responsables de la région tels Benouda, Bentobal et Zighoud Youcef, mais nous ne les connaissions pas. Tout se passait dans une grande clandestinité. Si Amirouche entra souvent dans la salle où nous faisions la frappe, mais franchement nous ne le connaissions pas. A la tombée de la nuit, Si Mohand Oulehoucine prenait son poste radio et j’ai pris ma dactylo et nous marchions. Nous avons croisé Si Amirouche qui m’arrêta et me demanda ce que je transportais. Je lui répondis que c’était la dactylo avec laquelle je travaillais. Il nous prit les deux machines et demanda aux autres de les porter en disant que nous n’étions pas des porteurs (hamaline). Voilà comment j’ai fait la connaissance de Si Amirouche sans me rendre compte que c’était lui !». Ainsi, une longue histoire entre ces deux hommes commença. Depuis ce jour-là M. Adjaoud ne quitta pas Amirouche en devenant son secrétaire personnel.  Son dernier souvenir avec le héros Amirouche, c’était à Akfadou : «15 jours avant sa mort, nous étions à Akfadou. Il me fit part de son départ pour la Tunisie et du fait qu’il pouvait ne plus revenir, surtout à cause de la ligne Maurice. Il allait passer par le Sahara. Il me donna la consigne d’aller à Sétif au cas où il tomberait au champ d’honneur», s’émut l’ancien secrétaire du colonel Amirouche.

La «bleuite», cette affaire de grand espionnage français avortée 

Le lieutenant Rachid Adjoud tenta par ailleurs, dans son témoignage vivant, d’élucider une des plus grandes affaires qui continuent de susciter les interrogations des historiens, celle de «la Bleuite». «Nous avions pu récupérer 800 armes et près de 800 millions de francs de l’armée française dans l’opération « Oiseau Bleu ». La «bleuite» a été une réponse à l’opération de Krim Belkacem qui a réussi en 1955 à enrôler 1 500 soldats algériens, avec armes et bagages, dans les rangs de l’ALN. La disparition énigmatique du lieutenant politique Hocine Salhi a intrigué plus d’un parmi les effectifs de l’ALN y compris le colonel Amirouche», racontera Rachid Adjoud. Il tentera, en usant d’un langage simple, d’expliquer à l’assistance les détails de cette affaire qui a bouleversé les rangs du FLN dans la Wilaya III historique. C’est une stagiaire de la section de GRH qui lui a posé la question. «Se rendant à Aït Yahia Moussa pour enquête, le colonel Amirouche tomba nez à nez avec une jeune femme répondant au nom de Rosa et une autre femme, toutes deux recrutées à Alger. Ayant à peine échangé quelques phrases avec Rosa, notamment sur les circonstances de son recrutement, le colonel de la Wilaya III s’est rendu à l’évidence qu’un complot le visait lui et la wilaya qu’il commandait», raconte Adjaoud. Après un long interrogatoire, ajoutera-t-il, «le pot aux roses fut ainsi découvert. Rosa fut accablée alors qu’elle faisait part d’une histoire déroutante». Rachid Adjaoud, qui procéda lui-même à l’arrestation de cette espionne, surnommée «Matahari», expliquera que cette dernière avait affirmé au colonel Amirouche qu’elle s’était évadée de la prison de Sarkadji en escaladant ses grandes murailles pour rallier les rangs de l’ALN. Version qui, selon notre interlocuteur, ne peut tenir debout, puisqu’au même moment des hommes de grande valeur croupissaient toujours dans la même prison sans pouvoir franchir ses fortifications géantes, ce qui fait douter de la thèse «rocambolesque» soutenue par cette femme. Elle finit d’ailleurs par tout avouer. C’est ainsi que les doutes du colonel Amirouche se réveillèrent. «Pratiquement tous ceux que nous avions interrogés ont fini par divulguer le complot. Toute une guerre a ses dépassements. Certes, nous avions, quelque part, commis des erreurs, mais une chose est sûre, à ce moments-là la situation était vraiment délicate», enchaînera le lieutenant Adjaoud. De ce fait, plusieurs questions taraudaient et hantaient les esprits quant à la décision finale d’assainir les rangs. Un «comité d’épuration» est ainsi mis sur place, conduit par Rachid Adjaoud et Hacène Mahiouz assistés de Hmimi Oufadel et Mohand Oulhadj. «Mohand Oulhadj a été très peiné par l’affaire de la « Bleuite », mais il fallait à tout prix épurer les rangs de l’ALN», justifie aujourd’hui Rachid Adjaoud qui insista, devant les jeunes stagiaires, sur le fait que le colonel Amirouche n’était en aucune manière «un sanguinaire» ou «un opposant aux intellectuels».

Menad Chalal

Partager