Interdit d’interdire !

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Pour un brouillamini de prétextes, fussent-ils de bons alois, des citoyens s’arrogent le droit de fermer des routes, de cadenasser des sièges de mairie et de daïra pour réclamer des droits, en mettant les nerfs de leurs concitoyens à vifs et non ceux des responsables auxquels ces scènes de protestation sont destinées à être vues ou qui sont censés interpeller.

Ainsi donc, pour arracher un droit ou un privilège, des citoyens recourent à des actions, sempiternellement menées dans cette Kabylie rebelle, consistant à obliger les humbles quêteurs de savoir, de remèdes à leurs maux ou tout simplement de victuailles à patienter ou à se débrouiller. Les pneus et objets hétéroclites dressés sur la route n’ont cependant heurté ni le sommeil ni la quiétude de ceux auxquels ils sont censés provoquer ne serait-ce qu’une indigestion.

Aussi, on assiste en ces jours de vacances, de repos et de fêtes à un autre phénomène pour le moins curieux. Interdire ou boycotter la joie de vivre, de faire montre de son savoir-faire, de perpétuer une tradition ancestrale. Du Festival du tapis d’Aït Hichem à celui de la chanson amazighe, les «sinistrés» des réseaux sociaux s’en donnent à cœur joie pour limiter le champ d’action des amoureux de la vie. Aux côtés des pénuries d’eau et des embouteillages qui malmènent, l’on se retrouve à quêter des bouffées d’air pur et des moments de joie et de détente, en voyant se dresser devant les consciences des remparts qui font douter les espoirs, ou simplement l’espoir de vivre dans une Algérie prospère.

Il est fort à craindre que la locomotive des dénégations ne s’arrête que pour embarquer les enfants du Djurdjura et des Bibans. Sinon, comment transformer la Fête du bijou, chère aux Ath Yenni, en Salon. C’est comme faire de sa salle de bains, un cabinet d’aisance. La sublime idée des Belles nuits de Tigzirt, que promouvoit un fervent défenseur de la joie de vivre, a été mise à l’index sous le fallacieux prétexte que le moment est au Hirak qui pourtant, lui, mène son action dans la joie, en entonnant des chants de lutte et d’espoir. Le Festival de la chanson amazighe, qui a baissé rideau avant-hier, n’est-il pas un espace où se revendiquent, en vers et en musique, les aspirations du peuple. Se tromper d’ennemi peut s’avérer aussi dangereux qu’une arme à feu retournée contre soi-même. N’est-il pas urgent de conjurer le sort et de se remettre à l’évidence que faire la part des choses est plus qu’une entreprise sage et judicieuse.

Les Belles nuits d’Oran, en raï majeur, et les fantasias de Tiaret, que termine un bob méchoui, ne sont nullement perturbées par les réseaux soucieux de faire durer les plaisirs et la fête ici bas. Si entreprendre d’interdire est beaucoup plus aisé qu’autoriser, convenons que les issues de sortie de crise se ferment à double tour. Se remettre en cause, en disant tout bonnement «Pardon à la vie» pour ne pas avoir à dire «J’ai oublié de vivre» ne peut qu’être la voix de la sagesse et la voie qui mène aux béatitudes. Il y a le feu en la demeure quand on passe à côté des belles choses. «Laissez vivre les autres ! La vie est à peu près leur seul luxe ici bas», chantait Brassens.

Ali Boudjelil

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