Solidarité et kermesse chez les Iwaqurène

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Pour cette année, les trois jours festifs de l’Achoura ont prolongé une pratique héritée de l’histoire villageoise lorsque les Iwaqurène habitaient les deux hameaux de Ighzer et Taddart Lejdid. Evacués en 1957 après le bombardement des deux hameaux par l’armée française, les habitants ont majoritairement élu domicile dans la plaine de Raffour appelée à l’époque ’’Camp de toile’’ en référence au camp installé par l’armée sur les lieux. Nous sommes à Raffour, une agglomération relevant de la commune de M’chedallah et qui est séparée du chef-lieu de commune d’à peine 2 km. Coquette petite ville de quelque 12 000 habitants, Raffour occupe la berge gauche de l’oued Sahel dans la Haute Soummam. A l’abord du village, une oliveraie embellit le décor sur le côté gauche. Lui succède l’imposant centre culturel Matoub-Lounès qui, nous apprend-on, ne fonctionne pas à pleine capacité en raison de son sous-équipement. L’avenue centrale grouille de monde. La cité est traversée dans toute sa longueur par la RN 26, qui dessert la vallée de la Soummam jusqu’à la ville de Béjaïa. De loin, des vœux sont envoyés par une puissante sonorisation, vœux adressés par un représentant de Tajmaât d’Ighzer Iwaqurène pour souhaiter bonheur et bonne santé à la population. Le premier libraire à qui nous nous sommes adressés nous dirigea sur le local de l’association ’’Ighzer Iwaqurène’’. Sur la placette faisant face au local, une nuée d’enfants, d’hommes et de femmes entourent le ’’prêcheur’’ qui s’époumonne à souhaiter la bienvenue à tout le monde et la prospérité aux villageois.Dans le bureau de l’association, on nous présenta les actions menées par ses membres au profit de la communauté. Dda Ali et Dda Chérif, membres actifs de Tajmaât, insistent sur la nécessité de prendre en charge la jeunesse pour lui épargner toute forme de déviation. Et la tradition de la commémoration de l’Achoura fait partie de ces actions de solidarité qui ont une forte portée pédagogique en direction de la jeunesse. Sur le mur principal du bureau, sont affichées les subdivisions du arch d’Ighzer Iwaqurène : Ath Taghzout, Ath Akkouche, Ath Askeur et Ath Buhbuyen sont les quatre fractions (idermen) de la tribu. La commémoration de la fête de l’Achoura est particulièrement marquée par le sacrifice de veaux et de moutons. C’est l’occasion pour tous les habitants du village de manger de la viande. 60 veaux et 6 moutons ont été égorgés. Ce sont généralement des dons de citoyens bienfaiteurs. Si, après les dons il est constaté un manque de viande, la caisse de l’association est mise à contribution pour l’achat d’autres bêtes. La part de viande appelés takhamt comporte toutes les catégories de la bête : côtelettes, filet, abats, etc. A chaque chef de famille, il est accordé un nombre de parts égal au nombre de membres de sa famille y compris les nouveaux-nés et les invités. Les têtes de veaux sont restituées à celui qui a fait le don, tandis que les têtes de veaux achetées sont vendues et l’argent qui en provient est distribué aux ’’nécessiteux’’, un terme que Dda Ali récuse car il serait quelque part péjoratif. Parallèlement à cette timechret, tajmaât organise des circoncisions collectives. On fait ramener un médecin, on prépare des médicaments (antiseptiques et antibiotiques) et on distribue aux familles concernées denrées alimentaires et argent. Les cérémonies de cette année sont rehaussées par la présence de l’ENTV et de BRTV dont les équipes ont filmé les cérémonies et ont réalisé des entretiens avec les organisateurs. Nos deux interlocuteurs nous apprennent que le siège de l’association Ighzer est construit avec l’argent des citoyens. Un R+2 assez spacieux, que ses membres voudraient rentabiliser par des activités commerciales. Mais l’épée de Damoclès demeure le service du fisc. On nous signale que l’association est prête à aider le centre culturel Matoub Lounès qui demeure sous-utilisé. ’’Nous voudrions y mettre les équipements informatiques, mobiliers… mais qui le gérera ? Y aura-t-il un droit de regard ?’’, s’interroge Dda Ali. Les ambitions de l’association Ighzer vont au-delà du conjoncturel. On se pose des questions sur les terrains agricoles limitrophes laissés à l’abandon. Aussi, vu l’emplacement stratégique de Raffour, et le nombre de ses habitants, l’association pense qu’on pourrait en faire une commune à part entière. A quelques dizaines de mètre de là, une placette publique et un local accueillent les activités d’une autre association appelée Taddart, représentant les habitants issus de Taddart Lejdid. les fractions de l’arch Iwaqurène qui y sont représentées sont : Ath Belqacem, Ath Maâmar, Ath Saïd et Ath Slimane. Là, une foule nombreuse rassemble femmes, hommes et enfants réunis pour les cérémonies de vœux, mais sans sonorisation. Les représentants de l’association nous apprennent que 20 veaux ont été égorgés dans le rez-de-chaussée de la bâtisse servant de local. La distribution de la viande se fait à peu près de la même façon que chez la première association. ’’Pendant les années 1970, les bêtes étaient égorgée sur le site même de Taddart Lejdid et la viande est transportée jusqu’à Raffour pour être distribuée. Agréée en 1993, l’association Taddart s’occupe de tous les problèmes relatifs au village. Pendant cette fête de l’Achoura, elle a fait ouvrir un magasin où l’on reçoit des dons en denrées alimentaires et que l’on distribue par la suite aux pauvres. Nous avons remarqué dans ce magasin des dizaines de sacs de semoule, plusieurs quintaux de pommes de terre, et divers autres aliments qui attendent ’’preneurs’’. Le siège de ’’Taddart’’ possède une salle de réunion et un magasin dans lequel sont stockés des aliments, détergents et autres objets domestiques dont aurait besoin quiconque serait ’’malmené par le sort’’. Pour les funérailles, il est prévu une tente dans le cas où l’enterrement se fait sous la pluie. Le premier micro-ordinateur acquis par l’association est venu du Canada. C’était un don d’un fils de la région. N’ayant bénéficié d’aucune subvention, l’association forme quand même le projet de constituer une bibliothèque pour la jeunesse. Le règlement intérieur appliqué au village concerne tous les aspects de la vie, particulièrement les funérailles, les fiançailles et le mariage. L’association ’’Taddart’’ s’est distinguée au cours des deux dernières années en servant de partenaire crédible dans le projet PPDR (développement rural) avec les administrations agricole et forestière. L’action de plantations fruitières étant menée à son terme (220 ha), les membres de l’association déplorent les ’’freins bureaucratiques’’ imposés au chapitre ’’habitat rural’’ qui n’arrive pas à être concrétisé sur le terrain. Et pourtant, soutient-on beaucoup de personnes sont intéressées par le retour sur la terre des ancêtres. Exemple rare de solidarité, d’entraide et de promotion de la citoyenneté, la communauté d’Iwaqurène a su allier l’attachement à la modernité avec le ressourcement dans les traditions les plus saines de la Kabylie.

Amar Naït Messaoud/M. Smaïl

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