Une saison compromise

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En effet, depuis la mi-mars, le ciel est resté désespérément avare en pluie, ce qui a naturellement conduit à un jaunissement précoce du couvert végétal et particulièrement des céréales (fourrages, orge, blé tendre, blé dur). Après les maigres récoltes de fourrages effectuées pendant les dernières semaines du mois passé, les agriculteurs constatent avec amertume les faibles rendements en orge, première céréale alimentaire à mûrir. Pour ce qui est du blé tendre et du blé dur, les prévision des fellahs sont des plus pessimistes. Au nord de la wilaya, où les conditions écologiques sont les plus favorables (en 1996, les rendements y avaient atteint 40 qx/ha), les champs de blé offrent un spectacle désolant : jaunissement précoce, taille insignifiante des épis, nombre de grains réduit et présence encombrante de mauvaises herbes. Certains agriculteurs rencontrés sur le plateau d’El Asnam, tablent sur un rendement qui ne dépasserait pas 12 qx/ha. Au sud de la wilaya, les prévisions sont encore plus inquiétantes. Certaines parcelles sont à peine couvertes d’une fine nappe végétale qui a vite viré à la couleur ocre. Un exploitant de la commune de Dirah avoue ne pas pouvoir mobiliser une moissonneuse batteuse pour si peu. Dès la mi-avril, des signes d’impatience et d’appréhension commençaient à se manifester chez les paysans. Certains ont même cédé à la fatalité en recevant sur leurs terres les “Achabs”, nomades des Hauts Plateaux transhumant sur les pâturages du Tell et louant traditionnellement les parcelles déjà moissonnées pour y faire paître leurs troupeaux d’ovins sur les chaumes restants. Cette fois, les transhumants, fuyant la rigueur des terres désolées de la steppe de M’sila et Djelfa, ont prématurément installé leurs chapiteaux sur les plaines et les coteaux de la wilaya de Bouira.Il y a lieu de noter que c’est la deuxième année consécutive que la production céréalière a été compromise. L’année passée, c’était la rouille jaune (maladie cryptogamique) qui avait anéanti quelque 20 000 hectares de blé tendre (farine). Les agriculteurs avaient alors montré du doigt la semence qui leur a été livrée et dont la qualité ne serait pas conforme aux normes sanitaires de conservation. Force est aussi de constater que les faibles rendements en céréales sont aggravés par des méthodes culturels désuètes et inadaptées ; les défoncements périodiques qui se pratiquaint jadis — pour favoriser l’infiltration des eaux et assurer l’espace de pénétration des racines — sont devenus très rares. La lutte contre les mauvaises herbes qui gênèrent une croissance dommageable pour la culture principale est également une pratique peu généralisée. Les programmes de reconversion céréaliculture/arboriculture initiés par le ministère de l’Agriculture n’ont pas eu beaucoup d’adeptes dans la wilaya de Bouira. L’arboriculture fruitière a surtout été adoptée dans les zones de montagne et dans des poches de terrain de vaine pâture ou traditionnellement incultes. Certains exploitants, particulièrement sur les terres des EAC, ont initié, avec le concours de soutiens publics et de crédits, des actions de viticulture sur des superficies allant de 5 à 10 hectares. Le remboursement des sommes échues se fait sur la production céréalière de chaque année, sachant que les vignobles mettront 4 à 5 années pour commencer à produire si tout se passe bien. Ces paiements ont mis certains exploitants dans une situation d’asphyxie financière. Ils ne peuvent alors ni reculer ni continuer pour maintenir correctement leurs investissements. Une véritable impasse qui fait douter Mohamed, un exploitant d’une ferme située dans la daïra de Bouira, de la possibilité de continuer de compter sur l’agriculture pour faire vivre ses quatre enfants. “Une idée commence à mûrir dans ma tête. Bouira n’arrive pas encore à être bien approvisionnée en poisson frais. Les amateurs qui occupent les trottoirs de la ville voient leurs marchandises pourrir en l’espace d’une demi-journée. J’ai alors pensé à une camionnette frigorifique qu’un ami de Boumerdès pourra mettre à ma disposition. Un voyage Zemmouri-Bouira équivaudra certainement à ma rente trimestrielle actuelle”. Chimère ou projet qui se tient, la réalité est là : l’agriculture, dans son organisation actuelle et par le système de production en vigueur, n’arrive pas à attirer vers elle les investisseurs pour créer des richesses et résorber une partie du chômage.

Amar Naït Messaoud

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